
Soirmagazine : L’ENTRETIEN DE LA SEMAINE HUSSEIN AÏT-OUYAHIA, RESPONSABLE DE L’ASSOCIATION LUDECO (GENÈVE) : «Les jouets, des objets préférentiels pour la thérapie des enfants en situation de handicap»
Entretien réalisé par Salem Hammoum
De Ghaza au Rwanda en passant par plusieurs pays d’Amérique latine
et de l’Orient pour aller à la rencontre des enfants qui n’ont pas été
gâtés par la vie, Hussein Aït Ouyahia est un véritable seigneur de
l’humanisme. Originaire d’Ath-Yahia dans la wilaya de Tizi-Ouzou, il est
titulaire d’un master en ingénierie de l’environnement décroché à
l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, en Suisse, où il a émigré en
1980. La noble mission dont il s’est investie est de venir en aide aux
enfants en situation de handicap ou qui ont vécu l’horreur de la guerre
ou des cataclysmes. Recélant un trésor d’ingéniosité, il a su comment
rendre le sourire à ces enfants grâce aux jouets auxquels il a redonné
une fonction thérapeutique dans son atelier de Genève. Suivons-le dans
cet entretien qu’il nous a généreusement accordé lors de sa visite de
travail au centre médicopédagogique de Bouzeguène où il a débarqué avec
un lot de 395 jouets éducatifs. Soir magazine : Qui est Hussein Aït-Ouyahia et que fait-il en
Suisse ?
Hussein Aït-Ouyahia : Originaire d’Ath-Yahia, je suis responsable de
l’association de Ludeco basée à Genève, en Suisse, qui conduit le
programme depuis l’année 2000. Notre tâche consiste à collecter des
jouets ramenés auprès des élèves des écoles de Genève et je dirige un
atelier avec des personnes en phase de réinsertion professionnelle, une
activité permettant à ces personnes qui viennent consacrer 20 heures de
leur temps par semaine d’avoir la possibilité d’entretenir leurs
compétences et d’en avoir de nouvelles par le recyclage des ces jouets.
Une fois relookés, sont ensuite distribués aux enfants en difficulté à
Genève ou à l’étranger, ce qui m’amène aujourd’hui en Algérie au centre
médicopédagogique de Bouzeguène où j’ai ramené une ludothèque qui va
être utilisée par les professionnels du centre comme outil thérapeutique
pour leur travail avec les enfants.
Pouvez-vous citer quelques-uns de ces pays étrangers et dire les
raisons de votre mission là-bas ?
Il m’est arrivé de faire des distributions de ludothèques mobiles à
Ghaza et au Rwunda et dans des pays qui ont été touchés par des
cataclysmes ou par des guerres en particulier et équiper des centres
pour enfants traumatisés, des orphelinats de ce précieux matériel qui
permet aux enfants de jouer comme tous les enfants du monde, mais aussi
d’avoir à disposition un matériel qui leur permet d’exprimer leurs
souffrances et leur vécu et par-là de permettre aux professionnels de
les décoder pour qualifier ce genre de situation et utiliser ces jouets
comme un outil thérapeutique.
Comment définissez-vous les jouets ?
Pour moi, le jouet est un outil de communication, qui permet aux
enfants de s’exprimer, de communiquer entre eux et avec les adultes qui
s’occupent d’eux dans la cas d’un suivi médicopédagogique comme c’est le
cas dans le centre de Bouzeguène. L’essentiel étant que les enfants du
monde entier puissent partager leurs jouets, sachant que dans certains
pays, les enfants ont des jouets en excès et dans d’autres pratiquement
pas. On fait de l’objet un outil thérapeutique car c’est très important
que des enfants hospitalisés ou qui subissent un suivi médicopédagogique
puissent avoir ces jouets pour jouer librement mais aussi pour des
activités dirigées avec les personnels qui les encadrent.
Le rôle du jouet n’est donc pas le même selon qu’on se trouve dans un
pays prospère ou dans un pays pauvre ?
Avec la pub et le marketing agressifs, le jouet a une connotation
plus forte dans certains pays que dans d’autres où il redevient naturel,
car coupé de son contexte mercantile et économique de marketing
agressif, et où il retrouve finalement une espèce de pureté, et où il
redevient un objet préférentiel avec lequel les enfants vont jouer tout
simplement.
De quoi vit votre association ?
A Genève, on est théoriquement financés par l'Etat et la ville.
C’est toujours une lutte pour obtenir des subventions. Pour cette
opération montée à Bouzeguène, on a contacté notre partenaire de Tizi-
Ouzou, M. Aït Hamadouche, président du comité de wilaya du CRA pour
prendre attache avec le centre et organiser la logistique de sorte que
cette opération puisse avoir lieu. En fait, ce que nous cherchons ce
sont des partenaires sérieux et intéressés pour avoir des jouets et qui
savent pertinemment que ces jouets peuvent être utilisés comme outils de
communication.
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous investir dans cette mission
humanitaire ?
Je fais ce métier depuis 20 ans. Ce qui m’a poussé, c’est le besoin
personnel d’entrer en contact avec des enfants, et au fur et à mesure de
mon activité je me suis rendu compte qu’il est très important que des
enfants puissent avoir ce matériel à leur disposition notamment les
enfants qui ont connu la guerre, qui sont hospitalisés ou dans des
orphelinats.
Vous avez reçu une formation spécifique ?
Je suis ingénieur formé à l’Ecole polytechnique fédérale de
Lausanne, master en ingénierie de l’environnement, et je suis arrivé
petit à petit à construire des programmes environnementaux au sens
large, c'est-à-dire en incluant la dimension sociale. Je prends des
jouets dans des maisons à Genève et je les ramène dans un atelier. Ce
qui me permet de créer du travail pour les personnes en chômage en vue
de la réhabilitation de ces jouets afin de les donner à des enfants qui
n’en ont pas pour des raisons thérapeutiques ou tout simplement comme un
simple jeu.
Votre action est diversement perçue...
Mon action est mieux perçue à l’étranger, c’est une lutte permanente
à Genève pour avoir des subventions et maintenir ce projet parce qu’il y
a une grande partie d’information qui doit être entreprise sur le rôle
des jouets pour les enfants. Ce n’est pas très bien compris mais il y a
aussi une dimension politique qui fait que c’est un combat permanent.
Parlez-nous de votre expérience en Algérie...
Mon expérience en Algérie est formidable dans le sens où il y a une
réelle volonté d’utiliser ce matériel pour des enfants hospitalisés ou
qui sont dans des situations de handicap. Franchement, je ne peux que
féliciter certains professeurs responsables de services pédiatrie qui
savent pertinemment que ces jouets sont des outils thérapeutiques.
En quoi a consisté l’activité d’aujourd’hui au centre de Bouzeguène ?
C’est une séance de formation, un petit séminaire pour permettre aux
éducateurs de connaître le matériel mis à leur disposition. Tout est
inventorié et il y a une nomenclature particulière qui a été élaborée
par Luduco et qui permet de classer les jouets. Ce séminaire a pour
objectif de favoriser l’utilisation de ces jouets par les thérapeutes
avec les enfants. Objectif atteint dans un premier temps. Dans une autre
phase, il est évident qu’ on projette l’élargissement de ce séminaire à
d’autres professionnels d’autres centres psychopédagogiques conduits par
des associations en Kabylie ou au niveau national.
Quelle est en fait la particularité de ces jouets ?
La particularité de ces jouets est d’abord qu’ils ont été donnés par
des enfants. Il ne s’agit pas de jouets qui ont été achetés dans des
magasins (une chaîne de solidarité par le jouet) mais d’un partage à
Genève par des enfants dans les écoles qui ont donné ces jouets.
Ensuite, ils ont été préparés, réparés et contrôlés par des personnes
qui travaillent dans l’atelier Luduco de Genève et qui sont en phase de
réinsertion socioprofessionnelle qui ont une valeur ajoutée à ce niveau
là. Ils ont voyagé et subi beaucoup de mouvements pour atterrir
finalement là. Par rapport à leur valeur pédagogique et éducative, il
est évident que c’est un choix particulier. Il s’agit d’une ludothèque
mobile, d’une collection d’objets pour des enfants de 2 à 12 ans qui
leur permettront de développer toute leur aptitude notamment affective,
psychomotrice et cognitive.
Des projets pour l’Algérie ?
L’Algérie peut être à l’avant-garde de l’utilisation des jouets pour
des enfants en situation extraordinaire, hospitalisés ou en situation de
handicap. Ce sont des opérations qu’il faut encourager et favoriser par
l’apport de matériel idoine. J’espère une suite à ce séminaire. C’est un
point essentiel.
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