
Actualités : À PROPOS DE L’ÉTOILE JAUNE ET LE CROISSANT DE MOHAMMED AÏSSAOUI Quelques autres vérités historiques
Par Me Redouane Rahal
Voici un livre qui sort de l’ordinaire et qui réconcilie l’homme
avec lui-même dans un monde agité par l’intolérance et la xénophobie.
C’est une enquête bien menée par Aïssaoui Mohammed, journaliste de son
état au Figaro littéraire de Paris sur le sort des juifs sauvés par la
Mosquée de Paris et son recteur. L’idée centrale du livre est l’apport et la contribution efficace de
Si Kaddour Benghabrit, alors recteur de la Mosquée de Paris pendant
l’occupation de la France par l’Allemagne nazie de 1940 à 1944, dans la
sauvegarde et la protection de juifs recherchés par les polices de Vichy
et de Berlin. Plus de 1732 ont été cachés dans les caves de la mosquée
en attendant leur évacuation vers la zone française non occupée ou vers
l’Afrique du Nord. Profitant de son statut, SiKaddour Benghabrit a pris
des risques en cachant provisoirement des juifs à l’intérieur même de la
mosquée ou en délivrant des attestations reconnaissant à certains
d’entre eux leur appartenance à l’Islam. Ce sont la biographie de Si
Kaddour Benghabrit et l’origine de l’édification de la Mosquée de Paris
qui font défaut dans ce livre. Présenté tantôt comme le fondateur de la
mosquée tantôt comme ministre plénipotentataire honoraire du sultan du
Maroc, alors sous protectorat de la France, Si Kaddour Benghabrit, tel
que rapporté dans le livre, mériterait d’être mieux décrit. C’est
pourquoi, je tiens à apporter quelques indications qui complèteraient le
livre par la biographie de Si Kaddour et l’origine de l’édification de
la Mosquée de Paris. En 1906, s’est tenue à Algésiras dans la région de
Cadix en Espagne une conférence internationale sur le sort du Maroc
convoité par plusieurs pays européens. A cette conférence, le Maroc
était représenté par le grand vizir du sultan Moulay Hafid, le Fquih Si
Guebbas. A l’issue de la conférence, ce dernier fut invité par les
autorités coloniales françaises à visiter l’Algérie pour le sensibiliser
sur les réalisations qui y ont été accomplies depuis 1830. Le résultat
de la conférence fut le partage par la suite du Maroc entre la France et
l’Espagne. En visitant Alger et en particulier l’Institut supérieur des
études islamiques, qui formait le personnel des juridictions musulmanes,
les professeurs d’arabe ou des interprètes pour les administrations
algériennes, le fquih SiGuebbas, à la fin de son périple, en Algérie,
demande aux autorités françaises de mettre à sa disposition des
Algériens bilingues pour l’enseignement et l’administration chérifiens.
C’est ainsi que toute une promotion de l’Institut supérieur des études
islamiques lui fut confié. Parmi ces jeunes fonctionnaires détachés se
trouvaient SiKaddour Benghabrit, Si Maâmeri, Si Mohamed Khatib, Si
Tedjini Ahmed, Si Abdelkader Bouzar, etc. Ces fonctionnaires ou leurs
fils vont jouer un grand rôle dans l’évolution du Maroc. Si Kaddour
Benghabrit, en tant qu’interprète, était le lien entre le sultan et la
Résidence générale de France à Rabat, Si Maâmeri fut désigné comme
précepteur du futur Mohammed V, avant d’être désigné à l’indépendance du
Maroc en 1956 ministre de la Maison royale. Si Mohamed Khatib, père de
Dr Abdelkrim Khatib, un des fondateurs de l’Armée de libération du
Maroc, avec Nadir Bouzar, fils de Abdelkader Bouzar, qui a négocié la
reddition de l’Emir Abdelkrim Khatab en 1926 lors de la guerre du Rif.
SiAhmed Tedjini fut le confident et l’ami de Mohammed V, père de Hachemi
professeur à l’université d’Alger après 1962. Si Kaddour Benghabrit est
natif de Sidi-Bel- Abbès vers 1880, de parents originaires de Tlemcen.
D’abord fonctionnaire à la Résidence générale de France à Rabat, il fut
détaché comme interprète auprès d’abord du sultan Moulay Hafid, puis du
sultan Moulay Youcef qui a remplacé ce dernier après 1912. Durant la
Première Guerre mondiale de 1914-1918, des milliers d’Algériens furent
mobilisés et nombreux y furent tués sur les champs de bataille
européens, avec également des contingents de Marocains, de Tunisiens et
de musulmans de l’Afrique noire. Le général Lyautey, premier président
général de France au Maroc, a cumulé également la charge de ministre de
la Guerre de la France de 1916-1917. C’est à l’issue de la guerre que le
général Lyautey a suggéré au gouvernement français l’édification d’une
mosquée à Paris en hommage aux milliers de musulmans morts pour la
France ; et que l’argent des Habous algériens pourrait servir largement
à la réalisation de cet édifice. La mairie de Paris accorda le terrain
et Si Kaddour Benghabrit fut désigné comme co-président avec le général
Gouraud de la société chargée de la construction de la mosquée, connue
plus tard sous l’appellation de la Société des Habous et des Lieux
Saints de l’Islam. Pendant la construction, la société devait faire face
à des problèmes de trésorerie pour l’achèvement des travaux. C’est alors
que Si Kaddour Benghabrit fait une tournée en Algérie auprès des caïds,
aghas, cadis, chefs religieux et personnalités algériennes pour un
soutien financier en faveur de la future mosquée de Paris. C’est grâce à
cette tournée que fut achevée cette dernière et inaugurée en 1926 en
présence du sultan Moulay Youcef du Maroc et de personnalités
algériennes. A cette occasion, le sultan remit à titre personnel une
contribution financière à la Société des Habous imitant en cela le bey
de Tunis, qui avait visité auparavant la mosquée alors en voie
d’achèvement et versé une contribution. C’est pourquoi les statuts de la
Société des Habous et des Lieux Saints de l’Islam furent toujours
déposés à la préfecture d’Alger avec un conseil d’administration
constitué de 6 voix pour l’Algérie, 1 pour le Maroc et pour la Tunisie
et 2 pour les Français musulmans de France. C’est dans ces conditions
que Si Kaddour Benghabrit, suspecté par la Résidence générale de France
à Rabat de trop influencer le sultan Moulay Youcef dans l’application
stricte du traité de protectorat, alors que les Français projetaient
l’administration directe, fut éloigné du Maroc en le désignant comme le
premier recteur de la mosquée lors de son inauguration avec le titre
pompeux aussi de ministère plénipotentiaire honoraire du sultan à Paris.
La plupart des imams étaient des Algériens comme Si Benchehida Mohamed
et Si Mohamed Benzouaou... Donc, Si Kaddour n’a pas été le fondateur de
la mosquée mais son gestionnaire de 1926 au 24 juin 1954, date de son
décès, et enterré dans les jardins de ce lieu de culte. Mais durant la
Deuxième Guerre mondiale, alors que Paris était occupé par les nazis de
1940 à 1944, Si Kaddour Benghabrit, usant de ses titres et fonctions, va
jouer un grand rôle de soutien et de passeur, de juifs recherchés, soit
vers la zone non occupée de la France soit vers l’Afrique du Nord. En
agissant comme il l’a fait, Si Kaddour était mû par humanisme et
réalisme. Parmi les juifs sauvés, certains témoignent que 1732 personnes
sont passées par les caves de la mosquée et deviennent après la
libération de la France des artistes ou des journalistes de renom.
Certains imams de la mosquée, algériens pour la plupart, furent arrêtés
durant la guerre, mais refusant de mettre en cause leur recteur, furent
vite libérés par la suite. C’est le mérite de M. Aïssaoui, originaire
d’Oran, qui a su mettre en valeur, par des témoignages puisés à la
source, l’action bénéfique de Si Kaddour Benghabrit et de ses adjoints
envers les juifs de France, alors pourchassés et traqués par les polices
française et allemande, au service d’Hitler. Cela mérite d’être dit,
écrit et diffusé, car le musulman, face à l’adversité, est aussi
compatissant que tout autre être humain. C’est dommage que ce livre n’a
pas été analysé ou commenté par les médias français. Quoiqu’il en soit,
M. Aïssaoui, sans être historien de profession, a fait œuvre de
défricheur de faits historiques avérés mais restés méconnus ou occultés
parce que hors normes et ayant pour origine un grand résistant musulman
algérien en la personne de Si Kaddour Benghabrit qui, par son action,
quelque clandestine, rappelle la formule de François de Salles : «Le
bien fait peu de bruit et le bruit peu de bien.» C’était un juste dans
le sens donné par la communauté israélite pour tous ceux qui ont aidé ou
protégé les juifs persécutés durant la guerre de 1939 à 1944.
R. R.
|