
Culture : CONFÉRENCE-DÉBAT DE DJEMILA BENHABIB À L’UNIVERSITÉ DE TIZI-OUZOU «Les victoires électorales de l’islamisme politique mettent en péril les acquis laïcs et progressistes»
Après Béjaïa, où elle a animé un café littéraire, la journaliste et essayiste Djemila Benhabib était l’hôte, dans l’après-midi de mardi dernier, de la ville de Tizi-Ouzou pour une vente-dédicace de ses deux derniers ouvrages publiés par les éditions Koukou. La cérémonie s’est déroulée à la librairie Chikh, en présence d’un nombreux public et de journalistes. En début de soirée, l’auteur de Ma vie à contre-Coran s’est rendue à l’université Mouloud- Mammeri de Tizi-Ouzou où elle a animé une conférence-débat.
Une opportunité pour cette pourfendeuse des thèses de l’islamisme
politique dans son pays d’accueil, le Canada, où ce courant tente
d’investir l’espace public, de revenir sur son parcours militant pour
les droits de la femme et contre l’islamisme politique et qui a été à la
source de son investissement dans l’écriture d’essai politique qui est
une autre façon d’alerter sur les dangers que constituent les tenants de
l’internationale islamiste au canada et dans le monde dit arabe et
musulman. Plusieurs ouvrages seront consacrés à ce thème qui l’ont
rendue célèbre au pays du Cèdre où elle est connue par les médias de ce
pays, en raison de son talent de polémiste et ses thèses sans
concessions anti-islamistes. Devant un parterre d’étudiants de
l’université Mouloud-Mammeri, Djemila Benhabib reviendra sur ses
motivations éditoriales, et notamment, sur la genèse de Ma vie à
contre-Coran, son premier pamphlet politique qui a été diversement
apprécié dans les pays de l’espace nord africain et musulman mais qui
l’a révélée au grand public. Elle expliquera que l’idée d’écrire cet
essai a germé suite au débat et à la controverse suscités par les
revendications communautaires au Québec portant sur la place du
religieux dans l’espace public au début des années 2000. Des demandes
ont été faites par plusieurs groupes religieux pour bénéficier d’un
traitement de faveur par les institutions juridiques et de l’Etat
québécois. Mais ce qui a fait réagir le plus l’auteure algéro-canadienne,
c’est la demande formulée par des musulmans établis au Québec
d’instituer des tribunaux musulmans et de bénéficier de dérogation pour
jouir d’un traitement juridique spécifique des questions familiales et
civiles. Des revendications qui feront grand bruit et qui susciteront
une grande mobilisation à l’échelle de tout le Canada qui a fait avorter
le projet. Riche de son expérience et de sa connaissance de la réalité
de l’islamisme politique telle que vécue quelques années auparavant en
Algérie, Benhabib n’hésitera pas à descendre dans l’arène politique pour
s’opposer aux militants islamistes. D’autant plus, dira-telle, que les
islamistes ont mobilisé beaucoup de femmes au service de leur
propagande. Dans Les soldats d’Allah à la conquête de l’Occident,
l’auteure décortique la connivence de l’Occident et, notamment, des USA
avec les tenants de l’idéologie islamiste dans le monde musulman. Le
pacte dénommé «pétrole contre sécurité» sera signé entre les Etats-Unis
et le royaume d’Arabie Saoudite dans les années 1940. Les Américains se
sont engagés à soutenir les Saoudiens dans leur projet d’expansion de
l’idéologie wahhabite en échange du pétrole. «Un marchandage qui a été
néfaste pour le développement de la démocratie dans le monde dit arabe
et musulman», selon la conférencière qui expliquera devant les étudiants
de l’université de Tizi-Ouzou que l’islamisme politique «n’est pas le
produit d’une culture ni d’une religion, il est surtout le rejeton de
l’histoire en ce sens qu’il est façonné par un ensemble de conditions
socio-historiques, économiques et culturelles». Djemila Benhabib
ramènera le débat à l’actualité des révolutions dites arabes Son dernier
essai, L’automne des femmes arabes, récemment publié en Algérie par les
éditions Koukou, est le fruit d’une enquête de terrain qu’elle a menée
en tant que journaliste en Tunisie et en Egypte. Déceler l’impact des
derniers bouleversements politiques sur les peuples de la région et,
notamment, les femmes, est la quête de l’auteure de Ma vie à
contre-Coran, dont les premiers enseignements qu’elle tire de son
immersion dans les rues tunisienne et égyptienne post-révolution,
prennent la forme «d’un double mouvement : le premier est lié à la
prédominance du discours religieux dans l’espace public et dans l’arène
politique, et le deuxième est lié à la place des femmes dans la société
et à la question de leur émancipation.» «En voulant remplacer la notion
d’égalité par la notion hyper floue de complémentarité, le mouvement
Ennahda, au pouvoir en Tunisie, tente de liquider un acquis fondamental
de l’héritage bourguibien de la modernité qui a instauré l’égalité en
droits entre les hommes et les femmes.» Les velléités de mise au pas des
sociétés égyptienne et tunisienne par les islamistes confortent la
conviction de Djemila Benhabib sur les dangers de l’islamisme politique
contre lequel il même une campagne, n’hésitant pas à battre en brèche
les thèses d’une école de pesée occidentale pour qui l’islamisme est
soluble dans la démocratie.Elle n’hésitera pas, en outre, à prévenir
contre la tentation au retour vers des systèmes autocratiques du type de
celui de Moubarak, de Ben Ali ou de Bouteflika qui est toujours en cours
en Algérie comme refuge contre le péril islamiste. «L’alternative ne
peux être que démocratique », clamera D. Benhabib qui insistera sur
l’implication des femmes et la séparation des pouvoirs politique et
religieux, la voie royale pour faire barrage à l’islamisme qui constitue
une menace permanente sur la démocratie. «Ce sont les femmes qui
achèveront les révolutions du printemps arabe», écrit-elle sur la
couverture de son ouvrage L'automne des femmes arabes, un titre
révélateur sur les enjeux qui attendent les femmes dans ces sociétés
comme la Tunisie et l'Egypte où, écrit encore Benhabib, «les victoires
électorales de l'islamisme politique mettent en péril les acquis laïcs
et progressistes obtenus de haute lutte par le passé».
Saïd Aït Mébarek
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