Contribution : L’Egypte : berceau ou tombeau de l’islam politique ?
Par Djemila Benhabib, journaliste et écrivaine
Après avoir été la maison mère de l’islam politique, l’Égypte
serait-elle devenue son tombeau ? En d’autres mots, les Frères musulmans
viennent-ils de subir, avec la destitution de Morsi, un sérieux revers
historique annonciateur de leur déclin à l’échelle internationale, plus
particulièrement en Turquie, en Tunisie ou encore à Ghaza, ou une simple
rebuffade locale, ponctuelle, comme ils en ont connu plusieurs tout au
long de leur tumultueuse existence depuis leur création en 1928 par
Hassan Al-Bana, instituteur, chef charismatique et redoutable tribun ?
Leur dégringolade aussi rapide et brutale que leur
fulgurante ascension depuis la disgrâce de Hosni Moubarak le 11 févier
2011 était-elle inscrite dans ce ciel capricieux de la place Tahrir ? A
qui profite-t-elle ? Que penser de ce coup d’Etat ? L’islam politique
a-t-il un avenir sans les Frères musulmans ? Pourtant, le conte de fée
était presque parfait. Combattus, emprisonnés et sévèrement réprimés
sous Nasser, relâchés et intégrés dans le jeu politique sous Sadate puis
sous Moubarak, par la suite, dans une moindre mesure, les Frères
promettaient un avenir si radieux au peuple égyptien. Pour certains
observateurs, la symbiose entre islam et démocratie ne faisait plus
aucun doute. Les monarchies du Golfe jubilaient. Une chose est sûre,
pour ceux qui, le 9 février 2011, déclaraient ne pas «chercher le
pouvoir», leur goût insatiable de l’autorité a précipité leur chute.
Mais tout compte fait, aurait-il pu en être autrement ?
Les promesses non tenues
En ce 9 février 2011, une voix s’élève dans le brouhaha de la place
Tahrir. Les intentions sont claires : «Nous sommes avec la volonté du
peuple, avec la majorité du peuple égyptien. Nous ne sommes pas la
majorité», explique ce haut responsable de la Confrérie des Frères
musulmans qui insiste sur un fait : «On ne souhaite pas présenter de
candidat à la prochaine élection présidentielle. Pour autant, «le
président doit quitter son poste. Une nouvelle ère doit commencer »,
poursuit le sexagénaire terne et sans charisme. Cet inconnu du grand
public, c’est Mohamed Morsi, le prochain président de la Goumhouriya (la
République). Sa feuille de route politique est assez mince : hormis un
poste de député, qu’il a occupé entre 2000 et 2005, il n’a à son actif
aucune réalisation d’envergure. Le fait est qu’il a investi toutes ses
énergies pour gravir les échelons de la Confrérie alors qu’il n’était
qu’un simple étudiant en génie civil au Caire. C’est aux Etats-Unis,
néanmoins, où il a passé vingt ans de sa vie, qu’il gagne la confiance
des Frères en prêchant la bonne parole au Centre islamique de Californie
qui veille notamment sur l’éducation des femmes musulmanes. Le 24 juin
2012, une sorte de miracle le propulse au sommet de l’Etat, après six
décennies de pouvoir militaire. Il est élu par une courte majorité de
51,7% des voix et un taux de participation de 46% d’électeurs inscrits
grâce à un report de voix en sa faveur pour barrer la route à Ahmed
Chafiq, le feloul, le cacique du système. A ceux qui ne voient en lui
qu’une espèce d’oiseau de malheur sorti soudainement de sa cage, le
nouveau président se fait rassurant et répète à maintes reprises que son
parti respecte les libertés individuelles «tant qu’elles sont conformes
aux lois générales, aux mœurs et aux traditions du pays». Ce sont
justement ces quelques précisions qui font craindre le pire en
particulier aux femmes démocrates et aux coptes qui représentent autour
de 10% de la population. Le diable n’est-il pas dans les détails ?
D’autant plus que la victoire de Morsi intervient dans un contexte de
tensions politiques extrêmes, d’insécurité croissante à l’égard des
femmes, de violences confessionnelles et d’une profonde crise
économique… en l’absence de Constitution.
Les élections, la Constitution et la volonté du peuple
Le 19 mars 2011, deux mois après la chute de Moubarak, il faut
décider de l’ordre des étapes à suivre en recourant à un référendum.
Faut-il d’abord réécrire la Constitution ou opter rapidement pour des
élections ? Avec 77,2% des voix, les Égyptiens tranchent massivement
pour la seconde option. Ce résultat constitue la première victoire
électorale des Frères musulmans, qui ont pesé de tout leur poids pour
faire aboutir la réforme proposée par une commission de juristes mise
sur pied par le Conseil supérieur des forces armées et qui compte dans
ses rangs un avocat influent de la Confrérie et, bien entendu, aucune
femme. A contrario, ce succès marque un premier revers pour le mouvement
révolutionnaire réfractaire à la réforme en question. Dans un éclair de
lucidité, quelques-uns de ses représentants demandent aux militaires de
retarder les échéances électorales prévues pour leur laisser le temps de
s’organiser. Certaines personnalités réclament carrément la rédaction
d’une Constitution entièrement nouvelle, estimant que l’ancienne, même
révisée, n’offre pas les garanties d’une démocratisation réelle du pays,
en vain. Les Frères, conscients qu’ils viennent de remporter une manche,
appellent leurs adversaires à «respecter la volonté du peuple et son
choix». La prochaine étape pour eux consiste à légaliser leur formation
politique jusque-là seulement tolérée. C’est ce qu’ils obtiennent à
peine un mois et demi plus tard, le 30 avril 2011, non sans avoir
promis, encore une fois, qu’ils ne présenteraient pas de candidat à
l’élection présidentielle sous la bannière de leur nouveau-né : le Parti
liberté et justice, inspiré d’un autre parti islamiste, le Parti de la
justice et du développement, l’AKP, en Turquie. Cependant, pour
plusieurs observateurs, leur accession au pouvoir devient de plus en
plus évidente d’autant plus qu’ils bénéficient du faramineux financement
du Qatar et de la couverture médiatique de la chaîne satellitaire Al-Jazeera.
Dans ces conditions, le couronnement présidentiel devient un simple jeu
d’enfant ! On connaît la suite. Le score des législatives est largement
concluant pour les Frères. A l’aide de leurs alliés idéologiques
salafistes et de quatre autres petits partis islamistes, ils raflent
près de 80% des sièges de l’Assemblée du peuple ! On s’était attendu à
une lutte entre Frères et libéraux, mais on a plutôt assisté à
l’émergence spectaculaire d’un parti salafiste, al-Nour (la lumière),
prônant ouvertement le jihad et l’application immédiate de la charia. La
partie s’est donc terminée entre islamistes et ultra-islamistes.
Résultat des courses ? Le Parti de la liberté et de la justice, issu des
Frères musulmans, a obtenu 235 sièges sur 498, soit 47% environ, et le
parti al-Nour est arrivé en deuxième position, avec 121 sièges (24%). Le
parti libéral Wafd a eu 9% des sièges et le bloc égyptien, coalition de
partis libéraux laïques, 7%. Et quatre autres listes de petits partis
islamistes : Al-Wassat, la Construction et le développement (la branche
politique de la Gamaâ Islamiya), Al-Assala et Al-Fadila, ont récolté
environ 5% des voix (28 sièges). Autant dire que les révolutionnaires,
ceux qui ont risqué leur vie pour ouvrir de nouveaux horizons au peuple
égyptien en injectant un peu d’espoir et de dignité sont sortis de la
course électorale les mains presque vides.
Du pharaon au nouveau calife
Il s’est pris pour le calife cet ingénieur nouvellement propulsé à
la tête du pays. En quelques mois, sa soif de pouvoir devient sans
limite. Il fait main basse sur l’Assemblée législative prenant soin
d’écarter de vieux routiers de l’armée pour y placer ses hommes. Le
maréchal Tantaoui est ainsi évincé au profit d’un jeune général, Abdel
Fattah al-Sissi, fort prometteur. La rue applaudit. Plus encore, le 22
novembre 2012, il décrète que ses décisions ne peuvent faire l’objet
d’aucun recours devant la justice et limoge, dans la foulée, le
procureur général Abdel Meguid Mahmoud. Des jeunes militants
révolutionnaires débarquent devant les grilles du palais présidentiel.
L’ordre est donné de les mater. Le sang coule. Quelques jours plus tard,
le projet de Constitution est adopté avec 63,8% des voix et un taux de
participation de 32,9% des 52 millions d'électeurs inscrits dans un
climat émaillé de violences et de contestations. Le point de non-retour
est atteint. Le Conseil national des femmes, les laïques, la gauche, les
coptes, les libéraux ainsi que plusieurs organisations de la société
civile dénoncent les irrégularités pendant le scrutin en deux phases et
les fraudes massives. Tous appréhendent la nouvelle Constitution, qui
remplace celle de 1971, adoptée à l'époque du président Sadate et
amendée à plusieurs reprises, qui porte atteinte aux libertés et ouvre
la voie à une islamisation plus poussée de la législation à travers une
référence plus littérale à la charia. Des femmes se coupent les cheveux
sur la place Tahrir en guise de protestation contre le harcèlement
sexuel dont elles ont été victimes tout au long du processus
référendaire. Plusieurs ont en mémoire les différentes propositions que
les islamistes ont formulées à l’Assemblée nationale s’agissant
d’abaisser l’âge du mariage à 13 ans (alors qu’il est de 18 ans), de
limiter encore plus la possibilité de divorcer pour les femmes, déjà
très restrictive, un acquis fragile obtenu au prix d’une longue bataille
menée par les Egyptiennes depuis le début des années 1990. Certains
parlementaires ont appelé à l’abrogation de toutes les lois en
contradiction avec la charia. Une autre trouvaille des islamistes au
Parlement a été de demander l’abrogation du décret interdisant
l’excision, adoptée en 2007 sous l’impulsion de Suzanne Moubarak.
Lorsqu’on sait que 85% des Égyptiennes ont été victimes de mutilations
génitales, on comprend que cette mesure était un immense pas en avant.
Des tracts sont distribués près des mosquées avec cet argumentaire :
«Excisées, les femmes deviennent plus pudiques et protègent l’honneur de
la famille.» Ce n’est pas tout. Les ikhwan (les Frères) ont également
supprimé le quota pour la représentation des femmes au Parlement sous
prétexte que c’était une disposition de l’ère Moubarak. La proportion de
femmes à la Chambre basse a fondu passant de 12% à 2%. En mars 2013, les
Frères ont vivement réagi à la déclaration de la Commission de l’ONU sur
le statut de la femme à l’effet que la violence contre les femmes et les
filles ne peut se justifier «par aucune coutume, tradition ou
considération religieuse». Ils avaient même prédit avant même son
adoption qu’elle conduirait à la «déchéance totale de la société». Rien
de moins. Du côté des journalistes, rien ne va plus. Accusés de
traîtrise et d’athéisme, le fossé se creuse de plus en plus entre les
médias indépendants et les Frères qui décident d’encercler la cité des
médias où se trouvent toutes les chaînes de télévision privées pour
protester contre ce qu’ils jugent comme «un parti pris des médias contre
les islamistes». Dans Al Watan, l’éditorialiste Khaled Montasser revient
sur la question. «A chaque fois que les Frères commettent des erreurs,
ils cherchent à en faire porter la responsabilité aux médias. Le guide
suprême de la confrérie a attaqué dans son prêche les médias. Essam Al-Eriane,
cadre de la confrérie, l’a aussi fait via Twitter, en traitant les
journalistes de sorciers du pharaon. Il a demandé de leur couper les
mains et de les poursuivre», témoigne le journaliste. L’opération de
nettoyage se poursuit. Les Frères n’ont pas le cœur à rire. Un nouveau
mandat d'arrêt contre l'humoriste Bassem Youssef, accusé d'atteinte à la
religion et d'insulte au président s’ajoute à différentes poursuites
intentées contre plusieurs journalistes lesquelles désormais deviennent
très fréquentes. Le cheikh Mazhar Chahine, l’une des icônes de la
révolution et imam de la célèbre mosquée Omar Makram, sur la place
Tahrir, est mis à la porte en raison de son opposition au nouveau
régime. Le président des non-droits de l'homme et surtout de la femme
lui préfère Adel Al-Khayyat, un dirigeant de la Gamaâ islamiya,
organisation responsable d’attentats contre des touristes, qu’il nomme
gouverneur d'Alexandrie, deuxième ville du pays. Le 23 juin 2013, la
tension monte d’un cran alors qu’un tribunal égyptien accuse les Frères
musulmans de conspiration avec le Hamas et le Hezbollah dans le but de
libérer 34 prisonniers islamistes (dont le futur président Mohammed
Morsi) en prenant d’assaut la prison Wadi El-Natroun au nord-ouest du
Caire profitant du chaos durant la révolution de janvier 2011. Bref,
rien ne va plus. Et puis, comment ne pas s’inquiéter de ce bourbier du
Sinaï, région du nord-est frontalière avec Ghaza et Israël, où
prolifèrent les groupes djihadistes proches du Hamas ? Bref, le bulletin
de notes de Morsi devient de plus en plus désastreux !
Les tombeurs de Morsi sur les traces de Saâd Zaghloul
Tout compte fait, les méthodes de l’ancien régime et celles des
Frères musulmans ne sont pas si éloignées. Contrairement au Parti
national démocratique de Moubarak qui est resté au pouvoir suffisamment
longtemps pour construire un réseau d’influence et de corruption, et
consolider son emprise sur toutes les institutions du pays, le temps a
manqué aux Frères. Le processus de «frérisation» accéléré de l’Etat n’a
pas abouti. Leur devise constante : «L’islam est notre religion, le
Coran est notre Constitution, Mohamed est notre modèle», a montré ses
limites et leur boussole idéologique a précipité leur chute. Au niveau
économique et social, les deux ont eu recours aux emprunts et à
l’endettement tout en favorisant les grosses fortunes. Richesse
scandaleuse d’un côté, de l’autre pauvreté avilissante. L’alliance
sacrée du glaive et du goupillon n’a eu de cesse d’éloigner l’Égypte de
l’une des aspirations de la Révolution : la justice sociale. Aucun
changement significatif n’a été réalisé pour se démarquer de l’ancien
régime. Aucune transformation des structures n’a même été envisagée et,
surtout, aucune mesure de rupture n’a été prise. Si parmi ses premières
actions, la révolution iranienne a entrepris la nationalisation des
avoirs du chah et de son entourage, rien de tel n’a été fait en Égypte.
Il devenait de plus en plus évident que les islamistes n’avaient pas de
programme politique pour sortir le pays du marasme dans lequel il était
enfoncé. De plus en plus d’Égyptiens se posent la même question :
jusqu’où vont aller les islamistes ? Vont-ils transformer le pays des
pharaons en cauchemar théocratique ? Vont-ils élargir la répression à
d’autres sphères de la société ? Liquider la Révolution de cette façon
ignoble n’est-ce pas un crime ? Alors que les révolutionnaires avaient
épargné à l’Égypte le désespoir, voilà que les islamistes replongent le
pays dans la honte et le ressentiment. La Révolution piétine et semble
dans l’impasse. Le mouvement Tamarrod (rébellion) initié par trois
jeunes journalistes de la classe moyenne, admirateurs de l’ancien
président Nasser qui a chassé le roi Farouk en 1952, se lance dans une
campagne de collecte de signatures – via les réseaux sociaux – pour
exiger le départ de Morsi de la même façon que l’avait fait Saad
Zaghloul, figure de proue de l’indépendance et fondateur du parti laïque
Wafd, 94 ans plus tôt, pour exiger le départ des Anglais. Deux millions
de formulaires avaient été recueillis en 1919 en faveur du leader
nationaliste alors que l’Égypte ne comptait à cette époque-là que 14
millions de citoyens. La statue de Saâd Zaghloul, la tête coiffée d’un
tarbouche et la main droite ouverte et tendue gracieusement vers le ciel
semble indiquer la direction à suivre à une autre révolution. Les
tombeurs de Morsi visent la barre symbolique des 15 millions de
soutiens, soit 2 millions de plus que le nombre de suffrages recueillis
par les Frères au second tour de la présidentielle. «On imaginait une
motion de défiance géante», explique Mahmoud Badr, l’un des initiateurs
du mouvement. La mobilisation paye et culmine dans des
méga-manifestations le 30 juin. Le sort de Mohamed Morsi est scellé. Le
général Abdelfatah Al-Sissi envisage d’organiser un référendum sur le
maintien du président au pouvoir. «Nous avons rejeté cette proposition,
en lui expliquant que le peuple égyptien n'accepterait pas une
demi-mesure pareille, qu'il voulait le départ du président et que le
peuple étant le commandant en chef de l'armée, celle-ci devait se
soumettre à sa volonté.», précise encore Mahmoud Badr.
L’étoile filante et la démocratie illusoire
Elle est comme une étoile… enfin, une étoile filante. Ines Abedel
Dayem, flûtiste de renommée internationale formée en France, n’a cessé
de briller, tout au long de sa fructueuse carrière, et de collectionner
les honneurs d’une capitale à l’autre. Elle est comme beaucoup de femmes
égyptiennes : déterminée et farouchement entêtée à réussir. A chaque
fois que ses doigts de fée glissent sur sa flûte, les étoiles se mettent
à vibrer. Ines Abedel Dayem aurait pu devenir l’un des nouveaux visages
du gouvernement égyptien formé par Hazem El-Beblaoui, Premier ministre
intérimaire. Son nom a d’ailleurs circulé pendant quelques jours dans le
quotidien Al-Ahrampour diriger le ministère de la Culture devenant ainsi
la première femme à occuper cette responsabilité depuis sa création vers
la fin des années 1950. Puis, plus rien ! Evincée de la tête de l'opéra
du Caire le 5 juillet 2012, elle était devenue la bête noire des
islamistes qui avaient parachuté un petit fonctionnaire barbichu à la
tête du ministère pour casser ce bastion de la résistance. Sa révocation
coïncidait avec l’appel d'un parlementaire à l’interdiction des ballets
(à cause de la tenue des danseuses). On imagine leurs cris d’horreur !
Dans ce contexte, le symbole de la nomination de Ines Abedel Dayem à la
Culture prenait tout son sens. Seulement, les salafistes du parti Al-Nour
ne l’ont pas vu du même œil. Faisant partie de la nouvelle coalition
anti-Morsi, ils ont imposé leur veto à sa nomination de la même façon
qu’ils l’ont fait pour Mohamed El Baradei au poste de Premier ministre
et pour l’avocat social-démocrate Ziad Bahaa Eldin à la tête du
gouvernement. Afin de faire consensus pour constituer son gouvernement,
El-Beblaoui a dû se résoudre à abandonner son idée première de nommer
ces trois personnalités laïques à des postes-clés. Toutes ces manœuvres
politiques n’augurent pas grand-chose de bon, pas plus pour la culture
que pour les femmes… que pour l’Égypte. Cette alliance de circonstance
avec Al-Nour ne peut durer, car sa participation à la coalition anti-Morsi
est garante des intérêts du camp islamiste pour faire blocage au
processus de démocratisation et de modernisation réel du pays. Cet
accord à court terme pour la destitution de Morsi était donc
envisageable — car il s’agissait pour les salafistes d’abord et avant
tout d’écarter leur principal concurrent, à savoir les Frères musulmans
en vue des prochaines élections —mais n’a que peu d’avenir politique. A
plus long terme, l'enjeu pour le parti dans la perspective de nouvelles
élections est de regagner le terrain perdu par les Frères. Le parti en a
la capacité et les moyens. Il reste avec les Frères musulmans la seule
organisation politique à avoir la structure pour mener une campagne
électorale efficace. On assistera alors à un retour à la case départ. En
1997, en Turquie, c’est un coup d’Etat militaire qui a contraint le
Premier ministre d’alors, l’islamiste Necmettin Erbakan, à démissionner.
Quelques mois plus tard, son parti, le Refah, a été interdit. L’AKP,
fondé par Recep Tayyip Erdogan et Abdullah Gül, lui a succédé. A plus
long terme, si l’armée déçoit, le mécontentement populaire peut se
retourner à nouveau contre elle, mais au profit de qui ? Pour ancrer le
pays dans une logique de transition démocratique efficace il est plus
que nécessaire de couper l’herbe sous le pied des partis qui
instrumentalisent la religion à des fins politiques. Ce n’est qu’en
exigeant la séparation du pouvoir politique et religieux et en
consacrant ce principe dans la prochaine Constitution que l’Égypte
pourra enfin cheminer vers une perspective politique intéressante non
seulement pour son peuple mais pour l’ensemble de la région. C’était
justement le slogan du parti Wafd dans les années 1920 : «La religion
est pour Dieu et la patrie pour tous» à l’origine d’une autre
Révolution. En sommes-nous si loin ?
D. B.
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