Par Mohand Bakir
Inspecteur de l’éducation et cadre du mouvement Ettahadi, Salah
CHOUAKI a été assassiné par le terrorisme islamiste, le matin du 14
septembre 1994 à proximité de la cité des Anassers à Alger.
Salah CHOUAKI avait consacré sa vie à la jeunesse, dénonçant des
pratiques éducatives qui menaient «à l’exclusion de l’enfance et de la
rationalité». Jusqu’à sa dernière interview, il avait tenu des paroles
lucides défendant le point de vue que «les problèmes de l’école [se
vivent] dans la rue, dans le monde du travail, par le chômage et par le
comportement de toute cette jeunesse, comportement que l’on peut voir à
travers l’actualité politique, dans la rue et à travers des fluctuations
politiques que nous connaissons depuis quelques années.». Avec Rabah
Stambouli, ils s’apprêtaient à tenir les assises de l’école moderne.
Rabah Stambouli a été assassiné quelques jours avant Chouaki. Ces
assises devaient être l’occasion d’un large débat autour de l’école
sortie de tout isolat, Chouaki n’avait de cesse d’avertir qu’il faut
éviter de «passer à côté de l’essentiel de la question [puisqu’] il n’y
a pas de projet d’école sans projet de société». Salah Chouaki avait à
son actif une longue expérience d’éducateur, sa réflexion sur l’école
était exceptionnelle. Il était la cheville ouvrière de la double page
hebdomadaire qu’ Alger républicain consacrait au sujet. Ses
contributions à la presse ont été nombreuses. Mais, ses centres
d’intérêt débordaient largement ce thème central. Il a été, aussi, au
cœur du colloque sur la «politique et religion» organisé par le
mouvement Ettahadi-Tafat. Chouaki était parmi les dirigeants de ce
mouvement de résistance républicaine. Il est né le 11 novembre 1940 à
Tizi- Rached wilaya de Tizi-Ouzou. Il passera une partie de son enfance
à Sidi Mhamed Benaouda, à Relizane, ou son père était instituteur. Son
père était inscrit au PCA. Lycéen lors de la grève de 1956, il n’est pas
repris au lycée Bugeaud et poursuivra ses études à Blida. Une fois son
baccalauréat obtenu, il accomplira son cursus à l’École nationale
supérieure. Les lycées Émir Abdelkader et El Idrissi ont accueilli ses
débuts d’enseignant. Il finira par occuper la fonction d’inspecteur de
français. Il était respecté de ses collègues qui le surnommaient «le
dernier des mohicans» tant il incarnait un exemple de rectitude
professionnelle. Salah Chouaki était agrégé en latin/grec, il lui avait
été proposé, dans le cadre de la coopération, d’aller enseigner au lycée
Louis-Le-Grand, à Paris, ce qu’il avait décliné du fait des
responsabilités qui découlaient de son engagement politique. Militant du
PCA, il s’est opposé au coup d’État de juin 1965. Membre fondateur du
PAGS, il a connu l’incarcération et la mise sous contrôle judiciaire. À
la charnière des années 1990, face à la montée de l’islamisme, il s’est
battu pour que le PAGS saisisse le danger mortel qu’est l’islamisme. Il
a été parmi les fondateurs du mouvement Ettahadi-Tafat. Il ne cessait de
croiser le fer dans les colonnes de la presse avec les chantres du
compromis avec l’islamisme et autres théoriciens régressionistes. La
veille de son assassinat, les autorités avaient annoncé le transfert
d’Abassi Madani et de Ali Belhadj de la prison militaire de Blida vers
une villa des hauteurs d’Alger afin de les inclure dans «le dialogue»…
Un dialogue tenu sous le feu des balles qui ont fauché tant et tant
d’astres scintillants que le patron exécutif du FIS de l’époque, Mourad
Dhina, nous conseillait avec un sarcasme assumé de les considérer comme
des martyrs. Ses paroles étaient des plus explicites : «Ces
intellectuels même s’ils ne portent pas des armes, se positionnent dans
le champ de bataille, ils se mobilisent contre le “choix du peuple”. Il
est normal que ceux qu’ils agressent se défendent.» Des balles et des
lames acérées contre des idées...
M. B.