Chronique du jour : Les choses de la vie
Lettre à une brave Française


Par Maâmar Farah
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Vos commentaires sont non seulement clairs mais j'y ai décelé, au-delà des convictions d'une militante, une combativité sans égale, un désir ardent de s'impliquer pour continuer à y croire et une volonté affichée de ne pas se laisser abattre. Je vous souhaite bien du courage. Quant à moi, et après des décennies d'espoir, j'en suis à la phase d'un «réalisme» plus proche du scepticisme «positif» que du renoncement ou du fatalisme.
Je m'explique : je ne crois plus dans les concepts tels que «changer les choses par une action commune», «faire la révolution», etc. On le voit dans des pays proches : ce sont les partis rétrogrades qui bénéficient de ces «révolutions» et ces dernières, censées apporter la liberté aux forces vives, l'émancipation aux femmes, les droits aux travailleurs, l'égalité des chances, la justice, etc. n'ont apporté que ruine et désolation, guerres et privations, davantage de restrictions pour les femmes, plus d'exploitation pour les ouvriers, etc.
Dès le début, je ne m'étais pas enflammé pour ces «révolutions» qui tournent court partout. J'ai encore assez de lucidité pour penser par moi-même et savoir qu'une révolution est un acte populaire de changement, pas un tchat sur réseaux sociaux ; c'est une libération qui doit profiter à la majorité, apporter progrès, justice et liberté aux masses les plus larges. En bref, on ne peut appeler révolution une révolte fomentée par la droite la plus rétrograde ! J'étais minoritaire. Mais je partais d'un principe simple : comment faire confiance aux islamistes qui prenaient partout le devant de la scène ? Comment faire confiance à Obama et Sarkozy, chefs de file de l'impérialisme mondial qui soutenaient militairement ces «révoltes» ? Depuis quand l'impérialisme souffle-t-il dans le vent des révolutions populaires ? Non ! Le monde devenait fou.
Et puis, il y avait ce BHL qui venait avec un agenda politique sioniste (nous continuons à faire la différence entre les Juifs et les Sionistes comme on nous l'a appris dès notre jeune âge mais, hélas, beaucoup, parmi les politiques de l'islamisme ne pensent pas comme nous), ce même BHL qui déclarait qu'il intervenait en Libye dans l'intérêt d'Israël et du sionisme international. Quand je l'écrivais, je recevais des lettres de France : «antisémite !», «vous voyez le complot sioniste partout !». Pourtant, je ne faisais que reprendre les propres termes de BHL. L'Histoire a prouvé que le plan impérialo-sioniste, soutenu financièrement et médiatiquement par le petit Etat «virtuel» du Qatar et l'anti-démocratie d'Arabie saoudite, a failli réussir... Mais heureusement que Russes, Chinois et Iraniens, répondant à l'appel de tant de peuples dans le monde qui en ont marre de la mystification, se sont impliqués pour stopper la machine diabolique en Syrie ! Heureusement que l'armée syrienne, comme l'armée algérienne avant elle et aujourd'hui l'armée égyptienne, est sortie pour sauver l'Etat nation et faire reculer les nouveaux Taliban ! Nous assistons, depuis, à une déroute des terroristes, aux doutes et au recul de l'impérialisme et au dégrisement des monarchies rétrogrades qui pensaient faire tourner la roue de l'Histoire dans le sens contraire. Le prince du Qatar n'est-il pas la première victime de ce retour de la «raison» ?
Vous allez me dire : quel retour de la raison avec Bachar El Assad ? Il faut faire gaffe à la manipulation. Les forces qui combattent Bachar El Assad sont Al-Qaïda et les terroristes islamistes. Nous les connaissons bien ! Il ne faut pas croire votre grande presse qui manipule à grande échelle ! Je préfère de loin le laïc Bachar, même s'il n'est pas un exemple de démocratie vision occidentale, aux barbus qui appliqueront la Charia et ne feront pas mieux que les Talibans. Bachar était, il n'y a pas si longtemps, un exemple pour l'Occident qui le traitait avec toutes les faveurs : pays de la liberté des femmes, de la tolérance envers les chrétiens, princesse très «people», etc. D'ailleurs, il était l'invité d'honneur de Sarko à un défilé du 14 Juillet. Il y eut un autre accueil royal de la part du même «roi» de France. C'était en l'honneur de son «ami» Kadhafi que la France a tué pour que disparaissent les preuves du financement d'une certaine campagne présidentielle !
Voilà où nous en sommes, Madame ! Nous n'avons pas de troisième choix et les démocrates, qu'on finit par décourager ici pour qu'ils viennent massivement chez vous, sont une espèce en voie de disparition dans nos pays ! Il y a les militaires, les «dictateurs» modernes d'un côté et les dictateurs sanguinaires et obscurantistes de l'autre. Souvent, nous faisons le choix du moins mauvais et nous savons de quoi nous parlons. Actuellement, nous critiquons librement le Président, nous regardons toutes les chaînes satellitaires de la région, nous recevons tous les sites internet Si les islamistes prennent le pouvoir, nous n'aurons plus droit à tout cela. Et l'idéal démocratique ? Bien sûr, il faut continuer à y croire. mais donnez-nous deux siècles pour dépasser la Terreur, la restauration et les aventures communardes, donnez-nous deux siècles pour combattre un mal par un autre, pour tuer les rêves des despotes qui naissent souvent dans les clameurs célébrant la liberté retrouvée. Donnez-nous le temps de nous débarrasser des égorgeurs et de leurs complices ! Les égorgeurs ? Ça ne vous dit rien ? Il est vrai que la sophistication de vos révolutionnaires BCBG leur a permis d'éviter de telles pratiques barbares : ils avaient inventé un appareil pour égorger leurs ennemis ! La guillotine n'a pas été créée par un islamiste barbu, mais par les ingénieurs d'une révolution saluée partout dans le monde ! Donnez-nous le temps de compter nos républiques : nous n'en avons qu'une et elle s'éternise ! Oui, il nous faut une deuxième, une troisième et peut-être même une quatrième et d'autres chambardements pour arriver à cette démocratie qui vous semble parfois, là-bas, imparfaite.
Voilà, Madame, pourquoi j'ai cessé de croire aux combats politiques et aux grands slogans qui les accompagnent. Et si j'ai fait cette large digression, c'est juste pour vous dire que l'Algérie est un cas à part dans ce monde arabe tourmenté. Cette «révolution» nous l'avons faite il y a 20 années et ce «printemps» nous en avons goûté le sang avant les autres. Aujourd'hui, 200 000 morts auront donné une monarchie bâtie autour d'un sexagénaire malade qu'on veut pousser vers un 4e mandat pour πperpétuer l'ordre établi : celui de l'ultralibéralisme et de la médiocrité !
En France, c'est différent. Il me semble que tous les maux actuels viennent du fait que les socialistes sont appelés à la rescousse chaque fois que votre pays s'enfonce dans la crise et comme ils sont loin des idées de gauche, ils pensent régler les problèmes avec une mauvaise politique de droite. Ils perdent leur identité et leur électorat et décrédibilisent le grand mouvement patriotique et progressiste de la vraie gauche. Au bout, un retour de la droite et un virage de plus vers l'Europe des multinationales et de l'argent, vers plus de misère pour les plus pauvres et davantage d'enrichissement pour les plus aisés ! Il ne faut pas avoir peur des grands chantiers — INDISPENSABLES ! — du socialisme, c'est cela qui rendra sa grandeur et sa personnalité à la France et sa fierté au peuple français !
Voilà, Madame, d'un trait, quelques réflexions que m'inspire la lecture de votre réponse si enthousiaste.
Bonne chance ! Gardez votre enthousiasme, c'est votre force et j'en mesure la puissance à travers votre écrit ; j'en apprécie d'autant la force pertinente des idées et l'authenticité des engagements que je les ai naïvement perdues, sans savoir comment, ni pourquoi...
Cordialement, Maâmar
M. F.

P. S. : Annie est une parente à mon ami Georges Londiche (site d'amitié algérie-française («A cœurs ouverts») dont j'ai pu apprécier l'aide précieuse qu'il a bien voulu nous apporter au cours de l'opération de sauvetage de la jeune Chélifienne Romaïssa. Au cours d'un échange de courriels, Annie m'a demandé des éclaircissements sur la situation en Algérie. A la lecture de ma réponse, elle semblait désappointée par mon manque d'enthousiasme et l'absence de combativité. Comment lui expliquer que ces dirigeants que nous nous payons sont uniques au monde : oui, ils ont réussi à tuer l'espoir et à planter partout la même désespérance, sur des terres promises pourtant au plus bel avenir ? Je lui ai parlé alors de «scepticisme» positif, pour ne pas paraître fataliste...
 





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