Corruptions : Mise en application par l’Algérie de la Convention
des Nations Unies contre la corruption
Rapport des experts internationaux
Pour rappel, selon un communiqué officiel, «l’Algérie
a accueilli, du 13 au 16 mai, une délégation d’experts au titre du
mécanisme d’examen par les pairs de l’application de la Convention des
Nations unies contre la corruption (Uncac), en sa qualité d’Etat-partie
à cette Convention comptant parmi les premiers pays ayant ratifié cet
instrument» (voir «Soir Corruption» du 20 mai 2013). Cet examen ne
concerne, dans une première phase, que les incriminations et la
coopération internationale. Un mois après cette visite, l’Office des
Nations unies contre le crime et la drogue (Unodc), qui assure le
secrétariat permanent du suivi de l’application de cette convention,
rendait public le résumé du «rapport analytique» de ces experts.
Uniquement un résumé, car l’Algérie s’est opposée à la publication du
rapport intégral. Nous publions ci-dessous des extraits de ce rapport.
Djilali Hadjadj
«L’Algérie a ratifié la Convention des Nations unies
contre la corruption (CNUCC) le 19 avril 2004 par voie d’ordonnance n°
04-12… La lutte contre la corruption constitue une action stratégique
prioritaire du processus global des réformes engagées depuis 1999. La
mise en conformité de la législation nationale avec la CNUCC, notamment
par la promulgation de la loi n°06-01 du 26 février 2006 sur la
prévention et la lutte contre la corruption (LPLCC), s’inscrit dans
cette démarche et vise à lutter efficacement contre un phénomène
complexe. La spécialisation des services chargés de la lutte contre la
délinquance économique et la corruption a toujours été privilégiée. Elle
existe depuis les années 1960 aussi bien pour les services chargés des
enquêtes administratives et financières que pour ceux chargés des
enquêtes judiciaires (sections de recherches, brigades économiques).
Aujourd’hui, on retrouve, en plus des services de police judiciaire
classiques, plusieurs organes et structures spécialisés dans la
détection, les investigations et le traitement judiciaire des affaires
de corruption…
Détection. L’Organe national de prévention et de lutte contre la
corruption (ONPLC) : créé par la loi n°06-01 en 2006, l’ONPLC est devenu
opérationnel en janvier 2013. C’est une autorité administrative
indépendante jouissant de la personnalité juridique et de l’autonomie
financière. Il rend compte au président de la République, et il est
l’acteur principal de la stratégie nationale contre la corruption. Il
est également chargé de recueillir et d’analyser les statistiques et les
tendances de la corruption et de diriger les efforts d’éducation et de
promotion des pratiques de bonne gouvernance. Le cas échéant, il
transmet aussi des affaires au ministère de la Justice pour des
poursuites judiciaires.
Enquêtes. La Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) : la lutte
contre la délinquance économique et financière fait partie des missions
dévolues à la DGSN, sous-direction des affaires économiques et
financières. Cette structure centrale spécialisée est chargée du suivi
de l’orientation et de la coordination des actions de la police
judiciaire, notamment dans les affaires de corruption. Au niveau de
chaque sûreté de wilaya, les enquêtes relatives aux affaires de
corruption sont prises en charge par la brigade économique et
financière. La Gendarmerie nationale. Il existe au sein du service
central d’investigations criminelles un bureau spécialisé contre la
criminalité économique et financière. L’action de ce service est relayée
au niveau territorial par des unités spécialisées. Le Service central de
la police judiciaire (SCPJ) des Services militaires de sécurité du
ministère de la Défense nationale : le SCPJ a pour mission de constater
les infractions à la loi pénale et au code de justice militaire, d’en
rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs tant qu’une
information n’est pas ouverte. L’Office central de répression de la
corruption (OCRC) : créé en 2011 par le décret n°11-426, opérationnel
depuis mars 2013, l’OCRC est un service central d’enquête spécialisée
chargé de la lutte contre la corruption. Il regroupe des éléments des
différents services de police judiciaire ainsi que des experts
financiers. Il est chargé de rassembler les preuves et de procéder à des
enquêtes sur des faits de corruption et d’en déférer les auteurs devant
la juridiction compétente.
Observations sur l’application des articles examinés
L’incrimination de la corruption des agents publics figure dans la
législation algérienne depuis le premier code pénal algérien promulgué
en 1966. La LPLCC a redéfini ce délit de manière à être en conformité
avec les dispositions de la CNUCC. L’article 25 de la LPLCC distingue
entre la corruption passive et la corruption active et étend le champ
d’application de cette infraction à toutes les personnes dont les
fonctions ou les activités sont couvertes par la notion d’agent public
telle que définie par l’article 2 de la CNUCC. L’article 32 de la LPLCC
incrimine le trafic d’influence actif ou passif et reprend le libellé de
l’article 18 de la CNUCC. L’article 32 de la LPLCC incrimine la
corruption active et la corruption passive dans le secteur privé. Il est
à noter que l’article va au-delà des dispositions de la CNUCC et ne
s’applique pas exclusivement aux actes liés à des activités
«commerciales, économiques ou financières».
Soustraction, abus de fonctions et enrichissement illicite. L’article 37
de la LPLCC incrimine le fait pour un agent public, auquel incombe la
charge de la preuve, de ne pas pouvoir raisonnablement justifier une
augmentation substantielle de ses avoirs par rapport à ses revenus. Le
même article considère ce délit comme une infraction continue. Le recel
lié à l’enrichissement illicite est également incriminé. Les articles 4,
5 et 6 précisent les conditions de déclaration de patrimoine pour
certains agents publics. Il faut noter que l’article 36 considère comme
une infraction pénale le fait pour un agent public, auquel incombe cette
obligation, d’omettre de déclarer ses avoirs ou de fournir une
déclaration de patrimoine incomplète.
Poursuites judiciaires, jugement et sanctions; coopération avec les
services de détection et de répression. Conformément à la LPLCC, la
peine est fixée proportionnellement à la gravité du délit, et comprend
un éventail de peines d’emprisonnement et d’amendes. Certaines
situations, telles que le statut de fonctionnaire public, sont
considérées comme des circonstances aggravantes. Parmi les
fonctionnaires publics, seuls les membres du Parlement jouissent d’une
immunité de poursuites durant leur mandat, conformément aux articles 109
et 110 de la Constitution. Les membres du Parlement peuvent renoncer à
cette immunité comme elle peut être levée par le Parlement. Les membres
du gouvernement, les magistrats et la police judiciaire ne bénéficient
pas de cette immunité mais ont droit à une délocalisation des poursuites
judiciaires.
Protection des témoins et des personnes qui communiquent des
informations. Bien que l’article 45 de la LPLCC incrimine le fait
d’exercer des représailles, d’intimider ou de menacer des témoins, des
experts, des victimes et leurs familles, l’Algérie signale que ses lois
ne comprennent pas de mesures spécifiques de protection, de
réinstallation ou de témoignage derrière écran. Toutefois, l’Algérie a
signalé que des mesures de protection de témoins sont actuellement
considérées et pourraient être adoptées dans le futur.
Les articles 69-bis, 72, 74 et 353 du Code de procédure pénale
permettent aux victimes et à leurs avocats d’être entendus au tribunal à
toutes les étapes de la procédure, et à la victime de se constituer
comme plaignant dans toute procédure pénale.
Prescription, antécédents judiciaires. En Algérie, le délai de
prescription de l’action publique est de 10 ans pour les crimes, 3 ans
pour les délits et 2 ans pour les contraventions.
Toutefois, l’article 8-bis du Code de procédure pénale prévoit
l’imprescriptibilité de l’action publique s’agissant de corruption et de
détournement de deniers publics. L’imprescriptibilité est également
prévue par l’article 54 (LPLCC) dans les cas de corruption lorsque le
produit du crime a été transféré hors du territoire algérien. Les
prévenus absents peuvent être condamnés par défaut puis rejugés après
leur arrestation.
Conséquences d’actes de corruption, réparation du préjudice.
Outre la possibilité de l’exclusion temporaire ou permanente des marchés
publics, l’article 55 (LPLCC) permet aux tribunaux d’annuler tout
contrat, transaction, permis, concession ou autorisation obtenus au
moyen d’un acte de corruption. De plus, le décret présidentiel n°10-236
du 7 octobre 2010, relatif aux marchés publics, permet d’inscrire sur
une liste noire les personnes et les entités interdites de soumissionner
aux marchés publics. L’article 124 du Code civil permet à une personne
d’intenter une action pour les dommages causés par un acte illicite
commis par un tiers, cela inclut des actes de corruption. La réparation
civile n’exclut pas les sanctions pénales.
Difficultés d’application, le cas échéant. Les mesures suivantes
pourraient renforcer davantage le dispositif anticorruption en vigueur :
continuer à mettre en œuvre des mesures pour rassembler et examiner les
déclarations de patrimoine des agents publics afin de contrecarrer
l’enrichissement illicite ; continuer à envisager l’adoption et la mise
en œuvre de mesures pour renforcer la protection des témoins, des
experts et des victimes dans les cas de corruption et continuer à
envisager l’adoption et la mise en œuvre de mesures pour renforcer la
protection des personnes qui signalent des actes de corruption contre
les représailles et autres traitements injustifiés dont elles pourraient
faire l’objet sur leur lieu de travail.
Coopération internationale
Entraide judiciaire. Même si certaines dispositions de la CNUCC ne sont
pas prises en compte dans le droit interne de l’Algérie, la LPLCC, le
Code de procédure pénale ainsi que la loi sur le blanchiment d’argent et
la lutte contre le terrorisme prévoient l’entraide judiciaire sous
réserve de réciprocité. De plus, certaines conventions bilatérales
ratifiées par l’Algérie prévoient l’entraide judiciaire la plus large
possible. Le ministère de la Justice est l’autorité centrale dans toutes
les conventions bilatérales d’entraide judiciaire. En l’absence d’accord
bilatéral, les demandes passent par le canal diplomatique et le
ministère de la Justice les transmet aux autorités judiciaires
compétentes… Toutefois, une requête d’entraide judiciaire peut être
refusée si elle peut porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à
l’ordre public ou à d’autres intérêts essentiels de l’Algérie. Par
ailleurs, selon sa législation nationale et les normes conventionnelles
auxquelles l’Algérie est adhérente, cette dernière peut transmettre des
informations sur une infraction prévue par la CNUCC de façon spontanée.
Certaines conventions d’entraide judiciaire dont l’Algérie est partie
prenante prévoient en outre que les informations et preuves fournies
lors d’une requête d’entraide judiciaire doivent rester confidentielles
sauf si les deux parties en ont décidé autrement.
Difficultés d’application. Envisager de transposer dans le droit interne
certaines dispositions de la CNUCC en matière d’entraide judiciaire et
d’extradition par l’adoption des mesures législatives déjà initiées.»
Fin de citation.
LSC
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