
Soirmagazine : C’est ma vie
Le tombeur de ces dames
Par Naïma Yachir
Beau parleur, instruit, pas très séduisant mais plaisant, Wahab ne
passait pas inaperçu, non pas par son physique, mais par son verbe
facile et son intelligence.
A l’université déjà, il savait attirer les jeunes étudiantes quand il
dissertait sur Platon ou Mao.
Téméraire, ambitieux, il ne reculait devant rien. Défier tout et tout le
monde, c’est ainsi qu’il concevait sa vie. Et ce qu’il détestait
par-dessus tout, c’est qu’on lui résiste. Mal en pris à cette étudiante
de 18 ans qui, belle, altière, riait de celles qui, pendues à ses
lèvres, délectaient ses discours. Elle passait devant elles et ne
prêtait jamais attention au conférencier qui jubilait à mesure que le
cercle qui se formait autour de lui grandissait. Wahab, avec ses yeux de
lynx, n’a pas manqué de remarquer cette «petite sainte nitouche, mais
néanmoins jolie» qui ose circuler sans même jeter un coup d’œil sur
cette foule hypnotisée par ses paroles. «Toi, ma petite, tu ne perds
rien pour attendre», se disait-il.
Il ne roulait pas en DS, n’habitait pas une maison cossue, mais avait
tout pour séduire les jeunes filles de l’époque qui rêvaient d’un
intellectuel de l’époque des années 1970 de toutes les révolutions, et
qui savait leur parler d’amour comme Baudelaire, ou de politique. Lui,
en était un. Major de promo, il était diplômé en droit et préparait un
DEA et de surcroît travaillait. Souhila était sa proie idéale, d’autant
qu’elle était courtisée par un étudiant, beau, riche, mais qui ne
conversait pas beaucoup et rougissait à chaque fois qu’il l’invitait à
prendre un thé à la cafétéria. Tout le contraire de Wahab. Ce dernier
déclenchera un plan machiavélique pour se rapprocher de Souhila sans que
l’innocente se doute de ses desseins. C’est à la bibliothèque de
l’université que tout a commencé. Alors que Souhila préparait son examen
avec son binôme, Wahab installé sur leur trajectoire les observait
discrètement. Toutes les deux butaient sur une leçon de droit politique.
Sa camarade avait remarqué Wahab et ne voulait pas rater l’occasion de
lui demander de l’aide. «Celui-là encore, ce «Monsieur Je-Sais-Tout»,
lui dit-elle. «Mais on s’en moque, l’essentiel c’est qu’il nous
explique, tu sais qu’il est très fort», lui répond-elle. Souhila se
laisse convaincre. Et voilà Wahab sur scène. Il leur prodigua un
véritable cours magistral qui les laissa pantois. Elles quittèrent la
salle, heureuses. «On n’a même plus besoin d’ouvrir un livre ou un
cahier. Demain on va cartonner.»
Elles ne croyaient pas si bien dire, car l’examen s’est bien déroulé,
mieux encore, les notes étaient au-dessus de ce qu’elles espéraient.
Elles ont tout simplement décroché les meilleures.
Souhila, contente, tenait à remercier son bienfaiteur. Elle le chercha
partout ce jour-là. Aucun signe de lui. Quant à son courtisan, il
n’avait aucune chance. Son esprit était accaparé par Wahab, cet
intellectuel hors normes. Au deuxième jour, l’inquiétude la gagne. Elle
ne peut plus la taire. Elle en parle à son amie qui lui rit au nez.
- Mais ma parole, tu es amoureuse, toi.
- N’importe quoi, je voulais juste le remercier. C’est quand même grâce
à lui que nous avons eu la meilleure note. On est tranquille, nous avons
ainsi assuré notre année.
- Mais je croyais qu’il te pompait l’air, que tu le snobais?
- ça n’a rien avoir avec ce que je pense de lui, il est balaise, il nous
a sorties de la gadoue, la moindre des choses, c’est de lui témoigner
notre reconnaissance.
- D’accord, si tu insistes, je vais voir sa copine.
- Parce qu’il sort avec une fille ?
-Mais tu es naïve, qu’est-ce que tu crois ?
- Bon, laisse tomber.
Souhila, contrariée, ne comprenait pas ce sentiment qui l’envahissait et
qu’elle n’osait pas nommer. «non, se disait-elle, pas moi.»
Elle rentre chez elle, exténuée, et l’esprit préoccupé. Elle pensait à
Wahab qu’elle n’avait pas vu depuis trois jours, à cette copine qui est
sortie du néant.
Puis elle se ressaisit. Elle est prise d’une migraine qui l’empêche de
trouver le sommeil. Elle avalera un comprimé qui soulagera ses douleurs.
Elle dormira toute la nuit et se réveillera résolue à le voir coûte que
coûte.
(A suivre)
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