Par Naïma Yachir
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Le visage juvénile, les yeux en amande où on y lit une profonde
tristesse, Lamia commande machinalement une tranche de pizza. Elle
dépose ses cabas parterre et ajuste sa fille agrippée à son épaule. Les
yeux hagards, le bébé, oserons-nous dire, balance sa tête et des sons à
peine audibles émanent de sa bouche. La mère avale sa première bouchée
de sa modeste pitance et tente de la calmer en lui tapotant tendrement
sur le dos. Le regard absent, Lamia est soudain attirée par les
hurlements d’un enfant. Elle penche la tête vers l’extérieur et aperçoit
une femme traînant son gamin d’environ cinq ans par les cheveux. Ses
yeux tout à coup s’embuent. Elle s’empresse d’essuyer discrètement
quelques larmes ruisselant sur sa joue. La gorge nouée, elle ne put
s’empêcher la réflexion : «Il y a des mères qui ne se rendent pas compte
de leur bonheur : élever un enfant en bonne santé.» Une dame la regarde
avec compassion et enchaîne : «C’est une bénédiction de Dieu et elle ne
s’en contente pas.» Lamia, le cœur meurtri, parle de Chahrazed. «Elles
mesureront combien elles doivent s’estimer heureuses et ne violenteront
pas leurs petits si elles devaient s’occuper d’un enfant handicapé.
Chahrazed a quatre ans. Elle est sourde, muette et aveugle. Elle n’a pas
l’usage de ses quatre membres et pèse à peine 15 kg. A la délivrance,
les sages-femmes ont utilisé les forceps. Le métal a endommagé son
cerveau. Elles m’ont expliqué que c’était le seul moyen de me sauver la
vie. Le résultat, le voilà. Mais j’aime ma petite, je reviens d’une
séance de rééducation, avec chaque jour l’espoir que Chahrazed fasse
quelques pas. Alors quand je vois des mamans traiter ainsi leurs
enfants, cela me fend le cœur.» Lamia avait gros sur le cœur.
«Excusez-moi de vous embêter avec mes histoires, mais c’est toujours
comme ça quand je quitte le service de rééducation et que le personnel
dans ses non-dits me fait comprendre que Chahrazed n’a aucune chance de
s’en sortir. Mais moi je ne les écoute jamais. Je m’accrocherai jusqu’à
mon dernier souffle. Je crois en Dieu, et je sais qu’il ne me laissera
pas tomber.»