Actualités : Lettre au président Zeroual
Par Abdelkrim Djaâd
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L’Algérie a cette obsessionnelle manie à se chercher querelle. Et,
parfois, à se faire la guerre.
Elle se repait de ses cruautés. Dès qu’elle est traversée par des
convulsions, elle entre en furie et se saigne à blanc. Terre de
violences et des inquisitions. Bastion inexpugnable de tous les
ressentiments, l’Algérie des langues vernaculaires, des tribus, des
zaouïas et des impostures, se bat contre elle-même en révulsant.
D’une horreur à l’autre, elle panse ses blessures dans l’oubli souverain
des drames auxquels elle a miraculeusement survécu. Bête blessée qui
lèche ses plaies tout en projetant déjà les prochains combats. Vous
aviez eu, Monsieur le Président, à vivre le dernier épisode de ce
tragique destin durant cette décennie où le pays fut mis à feu et à sang
par quelques idéologues de pacotille et par des satrapes dignes des
cours médiévales.
Vous aviez, tout comme nous, entendu les nuits de Béni-Messous et de
Bentalha. Les couteaux à lame dentée qui éventraient des femmes, le
regard suppliant le bourreau. Les nuits de nos campagnes quand les
chemins vicinaux sont jalonnés de crânes empalés. La nuit des enfants
démembrés. Celle de Djaout, Liabès, Belkhenchir, Boucebsi et tant de
têtes bien faites qui ont roulé jusqu’aux bouches d’égouts. Il vous en
souvient, peut-être, Monsieur le Président, de cette dame pansée sur un
lit d’hôpital dont les larmes grosses ravinaient le visage parcheminé.
Elle vous disait avec ce regard embué «faites quelque chose, Monsieur le
Président». Alger venait alors d’être dévastée par un autre attentat
meurtrier. La tête rentrée, la colère contenue et avec cette
désespérante impuissance vous lui répondiez «mais que puis-je faire
madame que je n’ai pas encore fait ?» Deux douleurs, deux fragilités,
deux silences dans un hôpital sous un ciel de linceul. Vous habitiez
alors votre fonction et rien ne venait altérer votre détermination à
traquer les terroristes où qu’ils se trouvaient. Quand bien même les
deux pensionnaires de la prison militaire de Blida qui ingurgitaient des
hectolitres de thé à la menthe avec des missi-dominici dépêchés par
d’obscures officines, alimentaient les maquis en fetwas enflammés.
L’Algérie est oublieuse. Assurément !
Puis cette démission spectaculaire, sans demander votre reste, lesté que
vous étiez par des amitiés encombrantes. Vous aviez sous-estimé alors la
face cachée du pouvoir. Celle des chausse-trappes, des rancœurs, des
lâchetés et des ambitions naines.
Avec un pic de la dette qui atteignait des sommets et un prix du baril
de pétrole qui restait désespérément bas, couplés à une barbarie
islamiste jamais égalée, vous aviez eu, toutefois, à remettre à votre
successeur un pays presque apaisé qui commençait doucement à recouvrer
son autorité. Par votre intransigeance dans la lutte antiterroriste, par
votre humilité et votre proximité affectueuse avec l’Algérie besogneuse
qui peine à la tâche, celle d’en bas et des honnêtes gens, vous aviez,
malgré vous peut-être, suscité du respect et de la sympathie dont aucun
homme politique, depuis 1962, n’a eu à se prévaloir, hormis Mohamed
Boudiaf. Mais là, c’est déjà une autre histoire.
Depuis, vous vous êtes drapé dans un silence monacal refusant les
sollicitations de citoyens pour un retour aux affaires et accessoirement
les avantages faramineux qu’a accordés Monsieur Bouteflika à ses
prédécesseurs. Retiré dans votre province, vous coulez des jours
tranquilles de retraité privilégié regardant son pays se déliter dans
une indifférence réelle ou feinte.
Qu’est devenue l’Algérie ? Un cloaque putride, Monsieur le Président !
Un chef d’Etat malade qui n’en peut mais…. un système clientéliste bâti
sur la prébende et la rapine, des clans mafieux qui ont phagocyté même
le FLN, une corruption généralisée comme mode de gestion et des luttes
de pouvoir qui risquent d’exploser la fragile unité nationale.
En plantant ce décor, nous ne sollicitons pas, toutefois, votre retour,
comme tant d’autres qui ont espéré prospérer sous votre autorité.
D’abord ce n’est pas là notre rôle. Ensuite, nous ne croyons pas aux
hommes providentiels et aux messies porteurs de miracles qui reviennent
nous faire la leçon. De toutes les façons, cela participe de votre
intime conviction et de votre propre arbitre.
Mais votre voix compte, Monsieur le Président, quand les nôtres sont
ténues. La sympathie que vous avez capitalisée est un précieux levier
pour remettre quelque peu l’Algérie sur pied. Pensez-vous, Général
Zeroual, que les colonels Amirouche et El Haouès, s’ils étaient encore
des nôtres, auraient tapé le carton pendant que leur pays se liquéfie ?
N’est-il pas temps, quand tous les autres sont aphones, que vous fassiez
entendre votre voix quand bien même ne serait-elle pas entendue par ces
sphères obscures où le pouvoir s’exerce avec des intermittents ?
Ne pouvez-vous pas appeler à de la retenue pour ce quatrième mandat qui
risque de miter ce qui reste encore de cette Algérie oublieuse ? Du
piémont aurésien où vous rongez les sangs, vous devez, Monsieur Zeroual,
livrer à l’opinion publique, et pas seulement, votre sentiment sur un
pays pris dans la tourmente d’un naufrage annoncé.
On comprenait votre retrait élégant d’une vie politique chahutée par
toutes les mièvreries, mais voilà, les temps sont mauvais et il souffle
sur l’Algérie un vent dévastateur. Donnez-nous votre voix pour qu’on
puisse faire entendre les nôtres. Donnez de la voix pour que l’Algérie
ne perde pas tout à fait la sienne.
Ce silence derrière lequel vous vous refugiez, semble de nos jours
dérisoire. Peut-être même pathétique. Ne gâchez pas votre hauteur de vue
et votre noblesse d’âme dans de futiles oiseuses conjectures. Avec notre
affection et notre profond respect.
A. D.
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