Contribution : Contribution
Le général Benhadid, l’état-major et le DRS
Par Mahdi Chérif*
Le général Hocine Benhadid dans une contribution à El Watan, le 12
février 2014, a donné son point de vue sur les véritables motifs qui se
cachent derrière les changements qu’a connus l’institution militaire
ainsi que sur la situation politique que vit notre pays. Il l’a fait
avec des phrases chenillées qui ne s’embarrassent pas de chemins balisés
pour frayer leur chemin. Un texte qui écrase tout sur son passage. Son
opinion sur le plus haut dignitaire de l’ANP, ou sur des personnalités
de la proximité immédiate du président de la République, ressemble à un
tir intense et ravageur. Preuve que lorsqu’on a commandé des tankistes
on devient un peu tankiste. L’analyse qui est la sienne, avec son style
et ses mots, est introduite par une brève rétrospective historique qui
tente de trouver — par l’analogie — une explication aux évènements qui
agitent actuellement la scène politique. Une maraude de voltigeur sans
carte précise, sans boussole, sans repères et qui finit par s’égarer
dans des chemins de traverse. Sa narration de certains évènements
emprunte de l’effet gigogne. Chaque péripétie procède de la précédente à
la façon mécanique des poupées russes. Lorsque l’interviewer l’interroge
: «Cette crise (celle dont on dit qu’elle oppose le chef d’état-major
actuel au général Mohamed Médiène) et ces tensions rappellent-elles au
général Benhadid, proche de Liamine Zeroual, la crise de 1998, quand une
partie de l’armée et des services faisaient la guerre à la présidence ?»
Il répond : «Non, c’est un autre cas de figure, une lutte d’un autre
genre, un conflit qui remonte au duel Nezzar-Benloucif. Benloucif avait
été nommé chef d’état-major par Chadli qui lui était proche, il fallait
donc le dégommer et lui créer des problèmes au point qu’il a été
emprisonné…. » Ces rapprochements surprenants appellent quelques
remarques, d’abord la suivante : en 2013 -2014 qui est Benloucif et qui
est Nezzar ? Mohamed Médiène serait Benloucif ? Et Gaïd Salah, Nezzar ?
Remarquable raccourci. Il est vrai qu’un tank ne donne pas de petits
coups de volant pour éviter les ornières. Il vire de bord en stoppant
une de ses chenilles. Ça cahote et ça grince. Avant d’évoquer la
question des changements que vient de subir une institution stratégique
de la République et de commenter les évènements qui agitent la scène
nationale, voyons un peu ce «duel Nezzar-Benloucif » que le général
Benhadid tient pour la querelle qui a généré la crise actuelle. Au
moment où des manœuvres de la dernière chance ramènent l’armée au cœur
de la décision politique par une remarquable concentration de pouvoir
aux mains de son chef, cette courte digression historique permettra de
parler de l’état-major, objet de tant d’attentions aujourd’hui, et des
buts et des intentions de ceux qui l’ont, hier, créée. Revenons, pour un
meilleur éclairage, aux origines et prenons comme fil d’Ariane la
narration du général Benhadid. La mise à l’écart du général-major
Benloucif a été décidée par le président Chadli Bendjedid à la suite
d’une enquête interne relative à la période où Benloucif était
secrétaire général du MDN. Cette enquête avait mis au jour d’importantes
malversations. Le Président Chadli, pour remettre de l’ordre dans la
direction des finances du MDN, soumise pendant quelque temps à un mode
de gestion assez particulier, y avait affecté le général-major Ahmed
Djenouhet, ancien maquisard, issu de la même région que Benloucif, connu
pour sa probité morale et, à tous ces titres, non susceptible de céder à
la pression pour faire du tort à tel ou tel cadre de l’ANP. Si le
général Djenouhet avait subodoré le moindre relent de règlement de
comptes dans le dossier des malversations découvertes par des comptables
et des experts, il en aurait immédiatement averti le Président. Les
personnalités militaires qui ont constitué la commission qui a eu à se
pencher sur les conclusions de l’enquête étaient des anciens de l’ALN.
Hachemi Hadjeres (président de la commission), Mohamed Attaïlia ou
Djenouhet n’ont jamais accusé le général Khaled Nezzar d’avoir, guidé
par une inimitié malsaine, manœuvré pour envoyer Benloucif devant le
Tribunal militaire «afin de prendre sa place». El Watan avait publié, à
l’époque, un document sous le titre : «Le rapport des généraux» dont
aucun des termes n’a jamais été démenti. Le général-major Benloucif
avait fait appel pour sa défense au gotha du barreau d’Alger. Le premier
qui a eu à connaître du dossier, et qui a accompagné le général
Benloucif lors de sa première comparution devant le procureur Boukhari à
Blida, était le tonitruant Arezki Bouzida. Bouzida aurait rameuté la
planète entière s’il avait trouvé la moindre brindille de règlement de
comptes dans l’affaire qu’il avait accepté — brièvement — de prendre en
charge. Terminons en disant que l’ancien secrétaire général du MDN
avait, de lui-même, écrit une lettre d’excuses et de demande de pardon
au président de la République. Il est surprenant que le général Benhadid
ignore les tenants et les aboutissants de cette affaire de droit commun
qui avait défrayé la chronique quotidienne des mess et des bivouacs de
l’ANP à l’époque de la survenance des faits. A propos de la démission du
Président Zeroual, le général Benhadid, non seulement ne relève pas la
façon dont la question est formulée, mais semble entériner par sa
réponse l’approche du journaliste quand ce dernier dit : «Une partie de
l’armée et des services faisaient la guerre à la présidence.» En
réalité, le départ de Liamine Zéroual n’a été imposé ni par l’armée ni
par les Services. Personne n’a autant été mis dans l’embarras par la
décision inopinée de Zeroual de renoncer à sa charge à mi-mandat que
Mohamed Lamari ou les Services, et à leur tête le général Mohamed
Médiène. Liamine Zeroual n’était pas homme à se laisser dicter une
conduite. Au moment de sa démission, pour des raisons qui lui
appartiennent, et qui n’ont rien à voir avec d’éventuelles pressions
«d’une partie de l’armée et des Services», la haute hiérarchie
militaire, confrontée à une offensive terroriste sans précédent, avait
un seul souci : la cohésion des rangs derrière son chef suprême, Liamine
Zeroual. On se souvient, qu’au moment où le FIS était au zénith de sa
puissance et qu’il défilait, conquérant, dans les rues d’Alger, des
hommes politiques, y compris certains que la considération des militants
indépendantistes avait placés sur le podium de l’Histoire, des
personnalités créditées longtemps de patriotisme et des clercs
professant, avec aplomb, d’incroyables fadaises, se liguaient pour
appeler les forces patriotiques à la reddition. La touchante photo de
famille, sous le porche de Sant’ Egidio, a immortalisé pour l’Histoire
l’incohérence des obédiences algériennes. Peu importe les visages. Ils
se ressemblaient tous. La légende a retenu la calotte blanche du
patriarche, la barbe bon chic bon genre de l’ami des tueurs du
boulevard, la tresse de jais de la porte-parole, autoproclamée, des
travailleurs et le col blanc de celui qui a mis le sigle des pères de
Novembre sur un strapontin du FIS. Liamine Zeroual, Mohamed Lamari,
Mohamed Médiène et leurs compagnons avaient fait la réponse qui
convenait aux partisans de la cote mal taillée. C’est ce moment, crucial
pour nos forces de défense qui résistaient pied à pied au terrorisme,
que le brillant général Benhadid, qui avait fait un stage aux Etats-Unis
et qui montrait de remarquables qualités professionnelles, choisira pour
démissionner de l’armée. Liamine Zeroual ne s’est jamais expliqué sur
les motifs qui ont dicté sa décision de retrait. Pourquoi ne pas retenir
pour vraies celles qu’il a toujours mises en avant : «L’alternance et la
place qu’il convenait de laisser aux jeunes» ? Sont-elles, par les temps
qui courent, raisons subversives qu’il convient de taire ? C’est grâce à
son consensus sur les questions essentielles que la haute hiérarchie de
l’ANP a mis en œuvre une démarche humaine, réaliste et économe de sang
algérien, pour mettre un terme à la sanglante équipée de l’AIS. On ne
rendra jamais assez justice à Mohamed Médiène au moment où tout était
prêt pour une offensive déterminante contre les fiefs armés du FIS,
d’avoir conseillé de privilégier le dialogue patient avec les chefs de
l’AIS jusqu’à l’issue heureuse dont les Algériens se sont réjouis. La
nomination du général Nezzar à la tête de l’état-major ? Le Président
Chadli Bendjedid qui connaissait l’ANP, ses cadres, ses besoins, sa
psychologie, avait choisi l’officier qui lui paraissait le mieux apte à
remplir la fonction de chef d’état-major. Pourquoi, comment et dans
quelles circonstances cela a été fait, exposé sans sensationnel, ni
parti-pris, infirmerait les allégations du général Benhadid. Il serait
utile de revenir un jour, pour l’Histoire, sur cette période où un tas
de facteurs objectifs ont rendu indispensable la création d’un organisme
de commandement et d’organisation apte à son but et à sa fonction. Cela
aurait pu se faire bien avant. L’ANP aurait mieux organisé ses bivouacs
précaires du Sud pour un minimum de confort pour ses personnels, mieux
choisi ses matériels, anticipé certains évènements sur ses frontières,
élaboré à temps sa doctrine de défense, donné de meilleures chances à
ses personnels jeunes et qualifiés. Mais on ne refait pas l’Histoire. Il
y avait dans les années 1960 et 1970 les besoins objectifs de l’armée et
il y avait les phobies de Boumediène. Chadli n’avait pas les raisons
qu’avait Houari Boumediène pour refuser la création d’un étatmajor.
Depuis l’équipée malheureuse du colonel Zbiri, le 14 décembre 1967, le
simple fait de prononcer le mot «état-major» devant le chef du Conseil
de la Révolution suffisait à déclencher chez lui une crise d’urticaire.
Il ne voulait à aucun prix passer par un organe intermédiaire pour
donner ses ordres à «son» armée. Il voulait avoir un contact direct,
personnalisé, immédiat avec «ses» chefs de région ou «ses» chefs de
bataillon. Sa vision de l’usage de l’armée était une occupation spatiale
du territoire pour un contrôle de la population et lui-même, statut du
commandeur et épée de Damoclès en même temps, se tenant omnipotent et
omniscient, au droit vertical de chaque responsable d’unité militaire.
Revenons à ce que dit Benhadid en ce qui concerne l’éviction des
généraux Hadjres, Ataïllia, Betchine, Abdelmadjid Cherif, etc. par
Khaled Nezzar. Que n’a-t-il point revu ses notes, ou consulté les
anciens, avant de s’engager dans des développements approximatifs qui le
conduisent à une narration erronée de la réalité. C’est en 1984 que
l’état-major de l’ANP a été créé et c’est à partir de cette date
également qu’ont été mis sur pied les commandements des forces avec des
structures organiques propres et avec une répartition des missions et
des tâches mieux définies, notamment dans les fonctions d’organisation,
de préparation, d’emploi et enfin de gestion et d’administration. Cette
nouvelle configuration permettait à l’armée de préserver sa cohésion et
de n’intervenir que lorsque les intérêts fondamentaux de la nation
étaient menacés. Il est vrai que la désignation du général Nezzar à la
tête de l’état-major, après le général Abdallah Belhouchet (et non pas
après Benloucif), ne s’est pas faite sans tractations ni manœuvres.
Cette nomination a donné lieu à une petite guerre de tranchées frisant
quelquefois le ridicule. Les commentaires acrimonieux n’avaient pas
manqué et avaient tenté par leurs chorus, tour à tour tonitruants ou
feutrés, de fléchir le cours des choses. Il avait fallu du temps à des
dignitaires militaires, avançant des états de service dans l’ALN, ou
forts d’une proximité avec le sommet du pouvoir, pour admettre qu’il
était temps pour eux de passer la main. Les mutations, les promotions et
les départs à la retraite qui accompagnent la mise en place des
nouvelles structures de commandement avaient été quelque peu retardés
par la défense «égoïste» de véritables fiefs représentés par telle
région militaire ou autre direction centrale du MDN. Ce n’était pas
nouveau. Le général Benhadid, qui connaît le parcours du combattant de
l’ANP jusqu’à la professionnalisation actuelle, le sait bien. Chaque
mutation de l’armée algérienne a connu une période de transition riche
en psychodrames et quelquefois (au début) en rébellions. L’histoire de
l’armée algérienne est d’abord celle des hommes de réflexion et de
décision qui ont vu, avant les autres, mieux que les autres, les
insuffisances du système militaire algérien et qui ont tenté de le
corriger. Krim Belkacem, attelé à l’œuvre de modernisation de l’ALN,
après le Congrès de la Soummam, se heurtera à l’esprit «secteur» qui
causera bien des soucis. Houari Boumediène, après la libération du pays,
désireux d’adapter l’armée à ses nouvelles missions, sera contraint de
réduire par la force le wilayisme».
Chadli Bendjedid, à son tour, dans un environnement régional à la
stabilité chaotique, devra trancher dans le vif pour imposer les
réformes indispensables, au grand dam de compagnons d’armes qui
confondaient responsabilités révocables avec sinécures intouchables.
Chadli Bendjedid, parce qu’il était issu de l’armée et qu’il connaissait
ses handicaps et ses besoins, a su laisser les mains libres à de
parfaits professionnels pour proposer et concrétiser les changements que
l’évolution des techniques, le nombre et la qualification des jeunes
personnels, ainsi que l’environnement régional, riche en secousses dont
personne ne pouvait prévoir quand surviendraientelles de la rupture,
imposaient. Beaucoup parmi ceux qui, arrivés au bout de leurs forces
physiques ou de leurs compétences professionnelles, seront contraints de
partir, tiendront rigueur à Khaled Nezzar, considéré comme celui qui
avait voulu, obstinément préparé et inflexiblement mis en œuvre, les
nouveaux canevas d’organisation et de commandement qui les mettaient
hors course. Que le général Nezzar soit, pour cette catégorie de vieux
personnels, l’auteur d’une disgrâce «injustifiée» pourrait se
comprendre, mais que le général Hocine Benhadid, exemple parfait de ces
jeunes et brillants cadres militaires qui ont eu accès aux
responsabilités qu’ils méritaient, grâce justement aux restructurations
et aux réformes décidées par le Président Chadli et mises en œuvre sur
le terrain par le général Nezzar, reprenne à son compte de vieux griefs
laisse dubitatif sur la façon dont il conçoit le commandement d’une
armée moderne. Une assemblée de respectables anciens combattants
blanchis sous le harnais, ou un collège de jeunes et dynamiques
compétences ? Au sommaire exceptionnel de l’armée algérienne, riche en
litiges avec elle-même, sans qu’un seul eut pu durablement provoquer son
délitement, l’état-major – structure de commandement intégrée, en
symbiose avec les Services de sécurité – a toujours démontré ses
capacités de veille et d’intervention. Ses chefs, jusqu’au regretté
Mohamed Lamari, l’ont tenu – heureusement pour l’Algérie – loin des
solutions occasionnelles. L’état-major, tout au long des décennies de
son existence – s’est toujours déterminé d’après les intérêts essentiels
du pays : la libération de l’Algérie, l’unité nationale, la récupération
de nos richesses nationales, la défense de nos frontières, le refus de
la régression, la lutte contre le terrorisme. L’unité de l’armée a
toujours été la préoccupation première de ses chefs. Elle était
garantie, non par l’incantation ou par la menace de sanctions, mais
fondée sur le partage, par le plus grand nombre, d’une idée simple et
claire : l’intérêt national avant celui des personnes ou des régimes.
C’est toute la différence entre une armée nationale au service de son
peuple et une phalange de prétoriens venus aux leviers de commande et
imposant, sans états d’âme, des choix particuliers. La réaffirmation des
fondamentaux qui ont présidé à la constitution de l’état-major de
l’Armée nationale empêcheront les périls qui s’annoncent d’imposer leurs
rythmes et leurs poids. Le général Benhadid parle de l’actuel chef de
l’état-major en des termes à la limite de l’appel à l’insubordination.
Ces propos venant d’un officier qui a été promu au grade prestigieux de
général contribuent à instiller le doute sur la cohésion de l’armée.
Est-ce une chose à faire dans ces moments de grande incertitude que vit
notre pays ? Le remède préconisé ne risquerait-il pas d’être plus
ravageur que les maux qu’il prétend guérir ? Ce qui est attendu des
hommes qui ont eu l’honneur insigne de faire partie de l’ANP est d’avoir
une vue dialectique des évènements. Il est attendu d’eux de ne pas
toucher à l’unité des rangs de leurs camarades encore sous l’uniforme,
non pas pour plaire à tel ou tel chef imposant des partispris qui
peuvent ne pas entraîner leurs suffrages, mais pour la sauvegarde de
l’Algérie. La dynamique d’une évolution non maîtrisée peut amener le
pays à des extrémités tragiques. Le pouvoir actuel a épuisé son capital,
dilapidé son crédit, gaspillé ses dividendes, usé ses arguments. Il
survit d’incantations et d’anathèmes. L’usure du temps a fait son œuvre.
Terrible doit être la perspective annoncée de partir et «laisser tout
ça». Mais il leur faudra bien se résigner à l’inéluctable. L’artifice du
quatrième mandat n’est qu’un ultime expédient. Ils sont déjà dans leurs
fins dernières. Peu importe la durée du soubresaut. Il passera.
Souvenons-nous du mot de nos pères, le mot qui parle d’oued et de
cailloux. Préservons l’essentiel : la cohésion de l’ANP. Ne tombons pas
dans le piège du scénario du pire. Les survivants de l’ALN – ils ne sont
plus très nombreux –, les anciens qui savent ce qu’a coûté la libération
du pays, les jeunes qui ont été à l’écoute de leurs pères, connaissent
la spécificité de l’armée algérienne. Ses mythes fondateurs, son ciment,
son liant, son hagiographie, son substrat ancien, leur sont familiers.
La première particularité de l’armée algérienne est de n’avoir pas été
une armée née de la décision d’un pouvoir politique, une fois
l’indépendance «octroyée» par une nation étrangère colonisatrice. Elle a
été, sous son sigle premier, le fer de lance de la lutte pour
l’indépendance. Elle est restée l’épine dorsale de l’Etat national. Elle
garde dans sa mémoire, dans ses musées, dans le nom de baptême de ses
innombrables promotions, aux frontispices de ses quartiers, dans le logo
de ses engins, dans l’intitulé de ses grandes manœuvres, le nom des
djebels de ses grandes batailles et les noms des héros qui les ont
menées. Elle sait être, dans les moments d’épreuves, la résurgence du
FLN-ALN sous un habit plus moderne et avec un jargon plus technique.
C’est vrai, il y a de quoi céder au doute, ou à la colère, lorsque des
partis, oublieux du rôle historique qui a toujours été celui de cette
armée, prétendent la mettre au service d’intérêts qui ont cessé de
recouper ceux de leur peuple. C’est justement, au moment où ils
l’espèrent réduite à merci, orpheline, désemparée, qu’il faut lui faire
confiance. Elle sait qu’il y va de l’Algérie. Unie et solidaire, elle
saura surprendre. Le général Benhadid a évoqué le DRS. Il a exprimé ses
sympathies. Courageux en ces moments de sordides manœuvres. Certains ont
dû faire un immense détour par Mila et convoquer les mannes de
Abdelhafid Boussouf pour dire leur sentiment sur le DRS. On peut
rejoindre Benhadid, au moins sur ces points : démanteler les Services de
sécurité algériens, les saucissonner ou les mettre entre des mains
inexpertes, peut produire des dynamiques ravageuses pour la stabilité du
pays. Ce ne sont pas des milices libyennes incontrôlées ou des affidés
d’Al Qaïda qui sont à l’affût sur nos frontières, mais les increvables
fabricants du «qui-tue-qui ?», les intérêts stratégiques d’Israël, les
espoirs des expansionnistes marocains, les architectes cyniques des
printemps arabes, les héritiers de la pensée de Kadafi et de son royaume
touareg, les haineux de l’Algérie française et leurs supplétifs
algériens toujours volontaires pour une nième trahison. Il m’est pénible
de prononcer le nom de Saâdani. Il le faut bien. Les sorties
intempestives du Gafsi viennent à point pour nous rappeler, à propos de
cette tragique affaire de Tibhirine, le fameux «il y a des vérités qui
ne sont pas bonnes à dire», proféré juste avant le deuxième mandat sur
la chaîne LCI. Cela a valu à nos Services de sécurité une longue et
terrible suspicion soutenue par des ONG dopées par l’argent du Qatar,
des avocats activistes et des milieux manipulés par certains segments
algériens. Sur qui compter pour recentrer le débat et dire sans
outrances, mais fortement, qu’une restructuration des Services (sans
doute nécessaire et du seul ressort du président de la République) ne
doit pas obéir à des considérations étroites ? Sur nos hommes politiques
? Il en existe de clairvoyants et de sincères, mais «combien de
divisions blindées possède le pape ?», a dit Staline, lorsque interpellé
par Roosevelt à Yalta, il a donné son avis sur l’efficacité de
l’autorité morale. MmeLouisa Hanoune avait mis le doigt sur la plaie en
disant «pas de présidentielle par procuration». Elle a frappé le système
au défaut de la cuirasse, au point faible de ses artifices. Reste-t-elle
toujours dans cette logique à laquelle tous les Algériens souscrivent ?
De temps à autre, l’Histoire offre à certains des occasions
extraordinaires pour marquer leur temps. Madame Hanoune, ne vous laissez
pas circonvenir, ne vous laissez pas impressionner, restez à la hauteur
de votre long et difficile combat. Répétez toujours et encore : «Pas de
présidentielle par procuration !» Vous resterez dans l’Histoire. Mouloud
Hamrouche vient de commettre une déclaration. Ç’en est une, en effet.
Une incroyable déclaration ! Elle rappelle «les peuplades d’Algérie» du
général de Gaulle. Lisons plutôt : «Pour que notre pays vive ces
échéances dans la cohésion, la sérénité et la discipline légale et
sociale, il est primordial que les différents intérêts de groupes, de
régions et de minorités soient préservés et garantis.» Mais de quelles
MINORITÉS parlez- vous donc, monsieur Hamrouche ? De quels GROUPES ? De
quelles RÉGIONS ? A quel habitant de la Kabylie oserez-vous dire qu’il
fait partie d’une minorité ? Demain, cette logique de la région
conduirait la population algérienne du Sud à revendiquer, pour elle
seule les richesses pétrolières et à chercher des alliés extérieurs pour
imposer ses revendications. Le scénario du Katanga ! Demain, cette
logique du groupe conduirait la population du Mzab à exiger d’avoir,
chez elle, à la tête de l’administration et des services de sécurité
uniquement des enfants du Mzab. Demain, cette logique de la minorité
conduirait à grossir la maigre cohorte qui défile derrière les
banderoles du MAK. A propos, M. Hamrouche, êtes-vous toujours en contact
avec Ghazi Hidouci ? Je parlais plus haut de ces supplétifs algériens
toujours à l’affût d’un bon coup de poignard à donner dans le dos de
l’Algérie. Vous savez à quoi je fais allusion en citant Ghazi Hidouci.
Je n’en dirais pas davantage sur ce sujet. Les intérêts des groupes, des
régions et des minorités sont une sape creusée — en parfaite
connaissance de cause ? — sous le radier de l’unité nationale. Chacun se
souvient des 26 milliards de l’inénarrable Abdelhamid Brahimi qui ont
mis le feu aux poudres et des déclarations de ceux qui les ont validées.
Je suis prêt à reparler dans le détail de cette période, des jeux
troubles et des trahisons qui ont conduit au pire. Le général Betchine
est heureusement encore de ce monde. L’écœurement l’avait poussé à la
démission. Peut-être manque-t-il au «colonel » Hamrouche, quand il
s’exprime comme il le fait, l’expérience que possède le plus jeune des
colonels du DRS. (Désolé pour les guillemets. Je les accole chaque fois
que je suis dans l’incertitude). C’est cette expérience faite de
connaissance de l’histoire récente de l’Algérie, des hommes qui l’ont
faite, des enjeux qui les ont unis ou séparés, des grands équilibres de
la société algérienne, des défis régionaux compliqués, des subversions
dont la nature haineuse transparaît, çà et là, derrière d’opaques
rideaux de fumée, c’est cette expérience et ce savoir-faire qui ont fait
des Services de sécurité algériens — toutes institutions confondues — le
rempart du pays. C’est cette expérience, dans le cadre de l’ANP, avec la
carapace de l’ANP et sous le haut commandement de l’ANP, qui a rendu
possible la mise en œuvre de solutions intelligentes et déterminées pour
relever les défis que les aléas de l’Histoire imposent cycliquement à
l’Algérie — la résistance de la décennie 1990 en est un exemple. C’est
dans cet ordre d’idées — la défense de l’économie nationale — que des
investigations ont mis au jour les actes de prédation dont se sont
rendus coupables Chakib Khelil et ses complices et qui mettent en danger
la sécurité nationale. Des leviers internes «institutionnels » ont été
mis en œuvre pour paralyser ou dévitaliser le DRS, pour l’empêcher
d’aller plus loin, mais les ordonnateurs de l’opération ont signé, ce
faisant, leur déchéance morale. La peur panique de voir Chakib Khelil
rendre des comptes, et impliquer des personnes inattendues, les a
conduits à ce hasardeux coup de poker. Personne n’est dupe, de l’humble
artisan au fond de son échoppe, au petit fonctionnaire dans son bureau,
aux jeunes qui surfent sur le Net, aux journalistes effarés par tant de
cynisme, aux cadres de la nation désespérés de voir où en est arrivé
leur pays, en passant par chaque officier de l’ANP que l’exaspération
étouffe et qui connaît le détail des prédations ou qui les connaîtra…
Tôt ou tard, de cette mise à nu, de cette réprobation généralisée, «… de
là naîtront engins…» (Relisez donc, messieurs, le bon La Fontaine, là où
il parle de graines et de… chanvre !). «Les dieux aveuglent celui qu’ils
veulent perdre», disaient les anciens Grecs. Un mot pour finir. Certains
appliquent avec un plaisir sadique au général Médiène, l’adresse de la
reine mère au roi Bouadallah sur le point d’embarquer pour l’envers
sombre de l’Histoire. Assurément Médiène, homme probe et discret, mérite
mieux de ses contemporains. Loyal jusqu’au bout, logique avec lui-même,
attaché à la stabilité de son pays, il avait fait l’erreur de penser que
l’impensable ne pouvait pas être envisagé : l’Algérie, encerclée par les
chaos arabes, affrontant de grands défis, gouvernée cinq ans encore, par
un grand malade. On apprend à tout âge.
M. C. *
Moudjahid. Ancien Secrétaire général de l’état-major. Membre
fondateur de l’association nationale des retraités de l’ANP
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