Chronique du jour : A fonds perdus
Des dogmes cruels et destructeurs


Par Ammar Belhimer
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Le trait marquant du néolibéralisme est incontestablement l’accroissement des inégalités sociales.
Jacques Dorion, directeur adjoint de la rédaction de Marianne, a raison de titrer : «Rentiers de tous les pays, réjouissez-vous», dans le numéro de ce 26 février.
Dans une analyse très documentée, il relève une information passée inaperçue : «le record historique pour les dividendes versés dans le monde, qui ont atteint 1 030 milliards de dollars en 2013».
«En soi, le résultat est impressionnant, mais la tendance l’est encore plus», précise Dorion, les dividendes ayant progressé de 43% depuis 2009.
Principaux bénéficiaires de cette tendance : les actionnaires des grosses entreprises cotées en bourse ; en France, valeur refuge de nos pétro-compradores, ils ont perçu l’année dernière 50 milliards de dollars de dividendes ; seules Wall Street et la City font mieux. La parenthèse des pétro-compradores indigènes s’impose ici car selon une récente étude rapportée par TSA ce vendredi, 5,3% des biens acquis par des étrangers non-résidents à Paris et sa région (Ile-de-France) reviennent à des Algériens, à égalité avec les ressortissants britanniques, derrière les Italiens (19,7% des acheteurs étrangers), les Chinois (7,1%) et les Américains (7%).
L’étude ne fournit aucune indication sur la provenance ou le mode de transfert, naturellement illégal, des fonds qui constituent une véritable saignée pour l’économie nationale.
En France donc, le CAC 40 se porte bien, contrairement à l’économie réelle, PME comprises : «Selon les dernières statistiques, les profits de ces ténors sont passés de 59,8 milliards d’euros en 2012 à 73,6 milliards en 2013 (+23%), et devraient atteindre 87,3 milliards (+19%) au terme de cette année», nous apprend encore Dorion.
Pendant ce temps, de l’autre côté de la balance, la situation ne cesse de se détériorer. En 2011 (dernière année connue, les statistiques concernant l'année 2013 ne devant pas être disponibles avant fin 2015), 8,7 millions de personnes, soit 14,3% de la population française, vivaient en dessous du seuil de pauvreté (fixé à un revenu mensuel de 977 euros par mois).
Autre pays chantre des inégalités malgré (surtout, pourrait-on dire) une crise dont il ne semble pas voir le bout du tunnel — également prisé par nos apprentis investisseurs immobiliers promis à une ruine certaine : l’Espagne. Elle vient d’être épinglée par une enquête révélée par la Confédération syndicale internationale qui atteste que les salaires des dirigeants d’entreprise sont les seuls à avoir été épargnés par la crise économique. Les salaires continuent de baisser partout en Espagne – sauf aux échelons supérieurs de la hiérarchie. C’est ainsi que la rémunération brute moyenne des dirigeants a grimpé jusqu’à 80.330 euros par an (soit une hausse de près de 7% au cours de 2013) – contre une contraction moyenne de 36 522 euros chez les cadres moyens (soit une baisse de 3% en 2013) et jusqu’à 21 307 euros dans les autres catégories (moins 0,4% au cours des 12 derniers mois).
Par ailleurs, au cours de l’année 2013, 47 000 Espagnols ont accédé au cercle des grosses fortunes (avec au moins un million d’euros à leur actif), ce qui représente une progression de 13%, selon le rapport sur la richesse mondiale 2013 du Crédit suisse.
La Confédération syndicale espagnole CC.OO déplore que même si l’activité économique a cessé de ralentir au cours des deux derniers trimestres de l’année passée, la destruction de l’emploi s’est poursuivie «à un rythme alarmant». Deux raisons expliquent la persistance de la crise : d’abord parce que la construction, secteur à forte incidence en termes de création d’emplois non qualifiés, n’est pas éligible à une sortie de crise ; ensuite, parce que le tarissement des flux de crédit en faveur des entreprises et des ménages limite les chances de réussite d’un grand nombre de projets d’investissements.
Une nouvelle «monstruosité sociale» se fait alors jour partout en Europe : celle des travailleurs pauvres, la crise économique ayant favorisé des conditions de travail plus rigoureuses et un affaiblissement des salaires.
En 2013, la moitié seulement des Européens en danger de pauvreté (ceux dont les ressources ne sont pas suffisantes pour payer un loyer, acheter certaines denrées essentielles ou dont le revenu est inférieur à 60 pour cent de la moyenne nationale) est parvenue à s’extirper de cette situation après avoir décroché un emploi, selon le rapport annuel 2013 sur l'évolution de l'emploi et de la situation sociale en Europe présenté par la Commission européenne.
«Malheureusement, il n’est pas possible d’affirmer que le fait de disposer d’un emploi équivaille nécessairement à un niveau de vie décent», reconnaît László Andor, commissaire européen chargé de l’Emploi, des Affaires sociales et de l’Inclusion, lors de la présentation du rapport fin janvier.
«Une hausse significative du risque de pauvreté dans la population en âge de travailler est une des conséquences sociales les plus tangibles de la crise économique en Europe», souligne encore Andor.
C’est pourquoi, la Commission européenne avertit : «Il nous faut créer des emplois, mais de qualité, afin de parvenir à une reprise durable, qui n’aura pas pour seul effet de lutter contre le chômage, mais également de réduire la pauvreté.»
Voilà qui autorise Michel Santi à écrire que le «néolibéralisme est une relique barbare» : «Appliqués bêtement et à la lettre, les dogmes (du néolibéralisme) sont souvent cruels et destructeurs» et ont précipité les économies dans l’abîme, «tout en consacrant la corruption et le capitalisme sauvage au rang de divinités»(*).
Et nous alors ?
Le dernier rapport produit par le FMI au titre des consultations de l’article IV écrit à notre propos : «La croissance économique en Algérie au cours de la dernière décennie a été relativement plus favorable aux pauvres qu’aux riches, en aidant à réduire les inégalités. Une analyse des données de l'enquête des ménages indique que le coefficient Gini(**) de l'Algérie est passé de 0,34 en 2000 à 0,31 en 2011, soit une augmentation de la part des dépenses des ménages les plus pauvres par rapport aux dépenses totales des ménages dans l'économie. En moyenne, dans tous les ménages, les dépenses réelles ont augmenté de 6,4 pour cent au cours de la même période. La plus forte croissance a été vécue par les 10e et 30e déciles, tandis que la plus faible croissance s'est produite dans le décile le plus riche»(***).
A. B.

(*) Michel Santi, Le néo-libéralisme est une «relique barbare» ! Marianne, Mardi 18 février 2014
(**) Les économistes recourent généralement à l’indice de Gini, un indice global d’inégalité, pour apprécier la répartition des revenus (par comparaison avec une situation théorique d’égalité parfaite). En sens inverse, plus cet indice est proche de zéro, plus on s’approche de l’égalité (tous les individus ont le même revenu). Plus il est proche de un, plus on est proche de l’inégalité totale (un seul individu reçoit tous les revenus).
(***) FMI, Country Report, n°14/32, Algeria 2013 Article IV Consultation, february 2014.





Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2014/03/04/article.php?sid=161204&cid=8