Chronique du jour : Les choses de la vie
Avril 2004-Avril 2009 : le même vainqueur et le même perdant !


Par Maâmar Farah
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A quelques semaines du scrutin du 8 avril 2004, je publiais la chronique qui suit dans ce même espace. L’histoire, si elle se répète encore une fois, apporte néanmoins des nouveautés. En 2014, les Algériens ne sont plus dupes. Et les enfants de Kabylie et du Sud ne sont plus seuls. Des intellectuels sont de la partie cette fois-ci, ainsi que des adolescents dont le rêve de liberté est porté par la Toile… Heureux que la majorité des candidats et des partis de l’opposition aient réagi promptement face à la nouvelle farce ! Il est néanmoins curieux que la principale victime de 2004 apporte, encore une fois et peut-être malgré elle, sa caution à un cirque qui lui a déjà tant coûté…Voici cette chronique et bonne lecture – ou relecture…
La semaine dernière et dans ce même espace, nous hurlions que Bouteflika sera le nouveau président de la République, non pas que nous ayons quelques sympathies politiques pour son programme ; mais un déchiffrage lucide de certains faits précis nous a conduit à prédire une issue qui nous semble de plus en plus certaine ! Évidemment, cela ne peut pas faire plaisir à tout le monde, et notamment aux rêveurs qui continuent à croire que le nouveau président ne sera pas Bouteflika ! Libre à eux d’entretenir cette illusion, ils n’en seront que plus désenchantés le 9 avril ! Ce n’est point ici de la géomancie ou du charlatanisme, l’affaire est trop sérieuse pour que nous la confiions aux cartomanciennes. Elle concerne l’avenir d’un pays qui ne va pas, malheureusement, profiter de cette occasion en or pour connaître un changement salutaire dans sa gestion et ses mœurs politiques. Nous sommes les premiers à regretter ce qui va arriver, car l’Algérie mérite mieux ! Plus qu’une simple lecture journalistique de certains événements surgis au cours des dernières semaines, cette affirmation est autorisée d’abord par la certitude que Bouteflika est le candidat du système.
Appelez-le comme vous voulez : décideurs, cabinet noir ou rose, puissance de l'ombre ; tout indique aujourd’hui que le système a opté pour l’actuel président. On ne va pas nous faire croire que Sidi Saïd, le chef de l’UGTA, s’est introduit frauduleusement dans la salle où se tenait le meeting de Bouteflika ! Un tel soutien, qui engage en fait plus de deux millions de travailleurs, ne peut avoir été décidé sur un simple coup de tête ! Quand Ahmed Ouyahia, l’un des hommes les plus fidèles de ce système, s’aligne derrière Bouteflika et quand HMS, cette nébuleuse drivée par certains puissants du moment, choisit la même voie, on ne peut plus rien attendre de l’issue du prochain scrutin. Et quand les organisations patronales en font de même, il est ridicule de parler d’actions individuelles. Quand l’Union nationale des fellahs apporte sa caution à la candidature du président, cela n’est pas également le fruit du hasard ! Quand l’Organisation des moudjahidine, les anciens condamnés à mort, les associations d’enfants de chouhada et de moudjahidine, les victimes du terrorisme, les grands syndicats, la presque-totalité des associations venant de tous les horizons, les petits et les grands groupes de pression, les notabilités locales, les zaouïas, les confréries, les tribus, les clubs sportifs et scientifiques, les chanteuses et les chanteurs, les ligues, les unions, les alliances, les fédérations et tout ce qui pèse de l’argent en Algérie, sont avec Bouteflika, n’est-ce pas la preuve par neuf que le système a choisi son candidat ?
Ce système est une grande galaxie, pas toujours visible, pas toujours homogène, mais qui a cette extraordinaire capacité de retrouver sa cohérence dans les moments décisifs, c’est-à-dire à chaque fois que ses intérêts fondamentaux sont potentiellement menacés. En apparence, Ahmed Ouyahia et Bouguerra Soltani sont des rivaux politiques, ils peuvent même se livrer un combat superficiel pour amuser la galerie et tromper leurs vrais ennemis ; mais lorsque la survie du système est en jeu, ils se retrouvent vite côte à côte, la main dans la main. Rien n’unit idéologiquement et politiquement les patrons et les syndicats, mais comme ils font partie du même système, ils ne peuvent pas s’opposer dans des élections de cette importance ! Toutes les forces organisées et structurées, qu’elles soient réellement représentatives ou non, se trouvent toujours du bon côté de la barrière.
Elles n’ont pas besoin d’attendre que le vent tourne. Elles savent se ranger dans le camp utile au même moment, comme si elles recevaient un seul et même ordre. Et si quelques brebis égarées choisissent d’autres sentiers, elles sont vite rattrapées, sermonnées et invitées à rentrer dans les rangs. Si elles refusent, elles sont immédiatement chassées du système et traitées de tous les noms. A partir du moment où ces éléments dévoyés se trouvent en dehors du grand cercle, ils n’ont plus le droit de revenir aux petits ensembles d’où ils sont originaires. Ils deviennent comme des pestiférés. Ils sont porteurs d’un virus dangereux qui peut contaminer tout le réseau et détruire l’harmonie du système. Ce sont des «adversaires du peuple», des «perturbateurs», des «manipulateurs», des «défenseurs d’intérêts extérieurs manœuvrés par la main de l’étranger», «des ennemis de l’unité nationale», des «traîtres à la nation», «des extrémistes», «des terroristes de la plume», etc. Quant aux candidats, ils sont certes autorisés à jouer le rôle de lièvre, servir d’alibi pour couvrir la farce «démocratique», mais si jamais ils prennent au sérieux leur rôle de candidat, avec des programmes politiques solides et une organisation préélectorale bien assise, ils deviennent un danger potentiel pour le système ! Le problème actuel de ces candidats avec le système est qu’ils ne donnent pas l’impression de jouer dans une comédie et qu’ils croient en leurs chances. Benflis, élu démocratiquement secrétaire général du FLN et qui dispose d’atouts non négligeables, a été épuisé dans une bataille secondaire, celle qui a tourné autour du petit ensemble FLN, afin de réduire ses chances de monter plus haut et de menacer le grand ensemble ! (…)
Les dés étant pipés, faut-il laisser faire ? Je continue de croire, dussé-je rester seul, que les partis, laminés par une vie politique squelettique, fourvoyés dans des Parlements qui votent tout et rien, ne représentent plus la seule alternative du combat démocratique. Plus encore, ils paraissent bien pâles aujourd’hui devant la montée des mouvements populaires, nourris par la colère et la haine de ceux qui souffrent de l’injustice, du mépris et de la corruption. De ceux que le système a oubliés et qui demeureront la principale menace pour sa survie. Ils n’ont appartenu à aucun petit cercle et sont en dehors du grand ensemble, mais ce sont des millions de voix, unies dans la souffrance, portées par la même fougue rebelle, caressant le même espoir de bâtir une autre Algérie, celle de la fraternité, de l’égalité des chances et de la citoyenneté ! Après la Kabylie, les vents sahariens qui ont soufflé ces derniers jours sur le Nord n’ont pas apporté que les tempêtes de sable. Ecoutez la colère qui monte de Ouargla. Là-bas aussi, les gamins ont grandi trop vite !
M. F.





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