Actualités : Paroles d'un boycotteur
Nous vous faisons peur en renonçant simplement à notre droit d'aller
voter !
Par Mâmar Farah
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En Bouteflika-boys obéissants et hargneux, MM. Bensalah et Sellal me
rappellent les envolées d'Ouyahia et Belkhadem lorsqu'ils fustigeaient,
eux aussi, les boycotteurs, avant un vote qui se solda par une
abstention record ! J'ai envie de dire aux nouveaux chargés de mission,
— remplaçant les deux anciennes vedettes d'un Muppet Show qui n'en finit
pas —, qu'ils n'ont rien inventé et qu'ils se comportent exactement
comme leurs prédécesseurs. Ils nous auraient étonnés et peut-être même
séduits s'ils avaient ajouté à cette litanie de l'insulte et de
l'exclusion quelque trait de génie propre aux grands hommes politiques.
Hélas, vous vous alignez sur les harangueurs zélés des dictatures les
plus odieuses.
Ceux qui ne marchent pas avec le leader respecté et bien-aimé sont des
traîtres à la nation ! Que de fois les peuples n'ont-ils pas entendu ces
sentences dites avec la verve de l'offenseur et la petitesse du
laudateur ! Et que de fois, dans les départs précipités des despotes,
quittant hâtivement leurs palais, n'a-t-on oublié d'emporter dans les
bagages ces serviteurs zélés qui réalisent soudainement que la
République n'est pas un homme.
Ici, on pourrait leur rappeler aussi qu'une Révolution est passée par là
pour bannir les «zaïms» et le culte de la personnalité ! Non, messieurs,
ce n'est pas parce que vous avez momentanément le pouvoir, issu d'une
flagrante manipulation de la Constitution, que vous êtes l'Algérie et
nous le néant, que vous êtes dans le vrai et nous dans le faux, que vous
êtes des patriotes et nous des traîtres! Vous vous accrochez à un homme.
Nous nous accrochons à plus de 2 millions de m2 de terres, à ces vallons
et ces montagnes, à ces dunes et oueds, à ces casbahs et dechras des
cimes; nous nous accrochons à l'Algérie, à son peuple, à sa jeunesse, à
l'espoir; nous nous accrochons aux rêves des martyrs qui ne
demanderaient qu'à retourner dans leurs tombes, si par un quelconque
miracle, ils revenaient pour voir ce que vous avez fait de leur pays et
de l'esprit révolutionnaire qui clamait : «Un seul héros : le peuple !»
Boycotter une élection n'est pas un acte contre nature, une folie, une
trahison. Face au coup de force que vous vous apprêtez à commettre, en
imposant un homme malade, à bout, qui a mis presque deux années pour
arriver à prononcer quelques mots inaudibles, d'une voix éraillée et
vacillante ; nous pensons que le meilleur moyen de nous opposer à cette
folie est de nous retirer de la mascarade, de ne pas cautionner un acte
que l'Histoire ne pardonnera pas, de boycotter la farce électorale qui
va se jouer devant le monde. Et d'ailleurs, lorsque M. Sellal nous
exhibe la «stabilité» d'une Algérie admirée par les étrangers, il nous
semble que le Premier ministre est un peu en retard.
Les dernières réactions à l'apparition de Bouteflika ont plutôt provoqué
la risée générale. Pire, les comparaisons hasardeuses de M. Sellal (Merckel-Bouteflika)
ont fait le tour du Web avec les commentaires acerbes d'une célèbre
émission française.
Je viens d'apprendre qu'une télé allemande en fait de même. De star de
la vidéo-web algérienne, notre Premier ministre gagne en célébrité
et va bientôt passer pour un humoriste qui, à défaut de réussir dans le
métier, fait de la politique intermittente !
J'ai évoqué, dans le premier paragraphe, les précédentes sorties des
anciens Premiers ministres A l'époque, nous étions si peu nombreux, les
partisans du boycott. Et pourtant, la réponse du peuple fut cinglante
pour ces dirigeants qui nous traitaient presque de «traîtres» ! Nous
étions dans le vrai puisque notre point de vue exprimait celui de la
majorité des Algériens ayant refusé de se rendre aux urnes. Aujourd'hui,
M. Sellal aura tout le plaisir de constater que nous sommes beaucoup,
beaucoup plus nombreux.
Et quand M. Sellal parle de «ceux qui appellent à la fitna», il oublie
de préciser que l'homme le plus actif sans ce domaine, pour ses appels à
la déstabilisation, est à la tête du FLN et que s'attaquer aux services
de renseignement de son pays, pour un parti institutionnel, est la pire
des fitnas ! N'est-ce pas l'entêtement à présenter un homme malade à des
élections dont il sera totalement absent, qui peut provoquer la fitna ?
C'est comme si l'on disait à tous les Algériens : vous n'êtes pas
capables de diriger ce pays. Seul cet homme peut le faire et c'est
pourquoi, nous le gardons, même s'il ne parle pas, ne marche pas.
Même s'il ne peut pas présider un Conseil des ministres ou se rendre à
un sommet africain. Même s'il ne peut pas prononcer un discours, ni
diriger convenablement une nation où pullulent les compétences ! Voilà
un début de fitna. Les boycotteurs appellent à la raison, à la justice.
Ils vous disent : «Cet homme doit prendre sa retraire, comme tous les
travailleurs.
En plus, il est fatigué et le monde entier le sait. Libérez-le.
Laissez-le partir dignement...» La grande fitna éclatera tôt ou tard si
vous gardez cet homme et que des ombres, tournant autour de lui,
prennent l'Algérie en otage. S'ils ne l'ont déjà fait ! Voilà notre
langage.
C'est celui de la sagesse. Non, nous ne sommes pas fous et nous savons
très bien apprécier les risques. Boycotter, c'est rester à la maison le
jour du vote. Ce n'est pas brûler les bureaux de vote. Nous appelons à
la civilité et à la non-violence ! Nous ne sommes pas du camp de BHL et
nous chasserons tout printemps qui ne porte pas les empreintes de la
vie, de la renaissance, de la joie et de l'espoir.
Ce printemps hideux qui transforme une nation en torchère, nous n'en
voulons pas ! D'ailleurs, des responsables de partis politiques, dont
certains furent au gouvernement, vont sortir dans la rue. Les ennuis ne
font que commencer pour vous.
Et ces ennuis concernent aussi M. Bensalah qui nous dit, d'un air
menaçant : «Votre heure sonnera !» C'est plutôt votre heure qui sonnera
bientôt pour laisser monter, dans le ciel de mon pays, les chants
d'espoir qui accompagneront votre départ.
C'est un vieux journaliste qui vous le dit. J'écrivais des éditoriaux
quand l'un de vous était délégué dans une daïra et l'autre sur les bancs
de l'Université. J'écrivais dans le grand El Moudjahid des années 1970,
quand ce pays avait un projet pour son peuple et que les importateurs et
autres arrivistes enrichis par le miracle du néo-libéralisme, n'avaient
pas encore pris le pouvoir ! Je n'ai pas honte d'avoir soutenu le parti
unique : il avait plus de dignité que ces formations dont le seul
programme politique est de déifier un mortel.
Je n'ai pas honte d'avoir accompagné Boumediène dans tous ses
déplacements en Algérie : j'ai vu un peuple soutenir un président
révolutionnaire et intègre et non des zombies se prosterner devant des
portraits titanesques. Je n'ai pas honte d'avoir côtoyé des ministres
qui faisaient leur marché à Clauzel et allaient au cinéma en famille.
Je n'ai jamais imaginé que le jour viendra où nous serons comparés à la
Corée du Nord. Avec les fusées et la bombe atomique en moins. Je suis un
petit boycotteur qui a été touché par ce que vous avez dit. Nous n'avons
ni pétrole, ni chars. Et pourtant, nous vous faisons peur en renonçant
simplement à notre droit d'aller voter.
Nous sommes des Algériens simples qui aimons ce pays et voulons lui
épargner les tempêtes qui s'annoncent. Nous ne sommes pas des amis de
Chakib Khelil et de tous ceux qui amassent des fortunes et des biens
immobiliers à l'étranger.
Nous ne sommes pas des privilégiés du Club-des-Pins où nos enfants
allaient jadis se baigner sans salamalecs ! Nous ne fréquentons pas les
grands hôpitaux parisiens et nos maladies sont soignées ici ! Nous
faisons confiance aux médecins algériens, contrairement à vous ! Nous
faisons confiance au peuple algérien qui saura vous répondre en refusant
de cautionner ce mandat de trop.
M. F.
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