Bouteflika, candidat à sa
propre succession, après 15 longues années d’un règne despotique, ne
s’impliquera pas dans sa propre campagne électorale. Cela ne s’est
jamais produit, depuis l’invention de la politique comme la forme la
plus aboutie pour la gestion des affaires de la cité.
Sofiane Aït Iflis - Alger (Le Soir)
Le Président-candidat, dont la dernière image télévisuelle diffusée
a confirmé son impotence, ne prendra pas part à la campagne électorale.
Il en est incapable, vu son état de santé. Il ne se déplace qu’en chaise
roulante et ne peut débiter un laïus qui dépasserait un quart de minute.
Au Conseil constitutionnel où il s’était rendu le 3 mars dernier pour y
déposer son dossier de candidature, même avec les prouesses du montage,
il n’a pu que balbutier un bout de phrase, pendant 15 secondes chrono.
En vrai, il est dans une situation d’empêchement, telle que stipulée par
l’article 88 de la Constitution. Mais du fait d’institutions
dévitalisées et instrumentalisées, cette résolution est évacuée. Pis
encore, au lieu d’une déclaration d’incapacité, c’est l’aptitude à
gouverner qui se trouve certifiée par le Conseil constitutionnel. C’est
cette candidature virtuelle et donc difficilement vendable, dont les
partisans du 4e mandat parmi la classe politique s’échinent,
maladroitement, il faut le dire, à en faire la promotion. Dans cette
frénésie à justifier l’injustifiable, l’ubuesque se le dispute au
ridicule.
Apprécions le morceau d’anthologie signé Amara Benyounès, secrétaire
général du Mouvement populaire algérien (MPA) et ministre de l’Industrie
: «Le cerveau de Bouteflika fonctionne mieux que tous nos cerveaux
réunis», avant d’enchaîner quelque temps après, pince sans rire, avec
une formule dans le même registre : «Bouteflika gouverne avec sa tête
mais pas avec ses pieds.» Les propos du genre traduisent toute la
difficulté que les thuriféraires éprouvent à justifier leur
positionnement derrière un homme réduit par la maladie à suivre
l’actualité de son pays depuis sa résidence, lieu également de sa
convalescence.
Ils préparent aussi à rendre éventuellement moins contestable la
candidature du Président que les électeurs ne verront ni n’entendront
animer la campagne électorale.
Le Premier ministre Abdelmalek Sellal, ouvertement impliqué dans cette
campagne de promotion de la candidature de Bouteflika, a répété à
plusieurs reprises que le Président-candidat n’est pas obligé de mener
campagne électorale. Amar Saâdani, le secrétaire général du Front de
libération nationale (FLN), reprenait à son compte l’affirmation de
Sellal, à savoir que Bouteflika n’a pas à s’en faire pour sa campagne
électorale, les partis qui le soutiennent l’animeront à sa place. Il est
vrai qu’il n’y a aucune obligation légale qui contraindrait un candidat
à s’investir dans sa campagne électorale mais les usages ont quasiment
élevé l’implication du premier concerné par les joutes au rang
d’obligation.
Car ça ne tombe pas sous le sens qu’un postulant à quelque mandat
électif, celui de président de la République, à plus forte raison, ne se
rende pas à l’effort de persuasion de l’électorat dont il sollicite les
suffrages.
Pour un tel exercice, la présence physique est aussi importante que la
pertinence du discours et des slogans qui lui assurent la publicité.
Avec Bouteflika, c’est un cas de campagne électorale atypique qui sera
inauguré : un candidat qui ne sera présent dans sa campagne que par son
portait, celui des premières années de magistère, accroché en arrière
des tribunes sur lesquelles se relaieront les préposés au remplacement.
Ailleurs, une telle candidature ne se conçoit même pas, tant est que
l’urne ne se laissera pas abuser. Et comme elle est retenue ici, c’est
que l’élection présidentielle sera un coup de force électoral, un de
plus, un de trop dans cette Algérie prisonnière d’un système qui a érigé
la cooptation et la fraude électorale comme les seuls modes de pourvoi à
la responsabilité politique.
S. A. I.