Chronique du jour : Lettre de province
Gaïd Salah–Mediene, ou les clés de la transition


Par Boubakeur Hamidechi
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Dorénavant seule la question de la transition préoccupera la réflexion de ceux qui possèdent quelques parcelles de notoriété politique susceptibles de faire avancer l’idée. En effet la plupart des personnalités sollicitées préfèrent replacer l’origine de la crise du système politique et l’effondrement des institutions de la république dans une perspective plus large, voire ancienne. Laquelle appelle à un sursaut urgent, impossible à différer, alors que l’opération en cours est en train de verrouiller la moindre possibilité de changement. Bien plus qu’un vocable usuel, le terme de «transition» est en passe de constituer un mot d’ordre autour duquel se déclinent, depuis quelques jours, les analyses et postulats de sa mise en œuvre. Ex-officiers généraux et anciens chefs de gouvernement se sont succédé dans les colonnes des journaux pour aborder le sujet. Mais c’est certainement à Hamrouche que l’on doit la formule la plus claire pour prendre à témoin l’opinion. Les clés de la crise, expliquait-il en substance, sont entre les mains de trois hommes. Bouteflika, Gaïd Salah et Mediene y sont désignés sans faux-fuyants et, par voie de conséquence, soupçonnés d’être coresponsables de l’insoutenable dégradation de l’état de la nation.
Même si l’auteur de ce diagnostic y inclut le nom du Président dans cette troïka, ceci ne doit être interprété que comme une convenance ou même une prudence dans le langage politique. Dans les faits, il imputait implicitement l’impasse au bicéphalisme de l’armée. Hamrouche, dont la plupart des analyses font essentiellement référence au rôle central de l’ANP dans l’édification de l’Etat algérien, n’a par ailleurs jamais fait mystère de ses certitudes que celle-ci doit pouvoir contribuer à la transition en devenant aujourd’hui le passeur du gué entre ce qui doit nécessairement disparaître et ce qui est appelé à émerger impérativement. La démarche qu’il suggère, que beaucoup d’autres partagent dans leurs écrits, n’est pas de l’ordre du putschisme primaire dont se défient, par mauvais souvenirs, les authentiques démocrates. Elle serait simplement dictée par le devoir républicain de préserver les fondamentaux d’un Etat au moment où il en devient chancelant. Même si l’on sait que les libertés politiques sont rarement entre de bonnes mains lorsqu’elles sont confiées aux militaires, a-t-on, par contre, le droit de préjuger à l’avance des objectifs d’une hiérarchie qui décide de changer de camp en refusant de cautionner les pratiques mafieuses d’un régime politique «civil», pour lequel la mise à sac du pays est la finalité de sa présence ? Or paradoxalement, c’est le sentiment contraire qui ronge une opinion impuissante face à ce déferlement de mensonges nauséabonds. A juste raison, elle est d’ores et déjà dans un autre état d’esprit concernant l’attitude trouble qui caractérise cette singulière neutralité à l’heure du naufrage. Ainsi le rôle de l’armée, ce nœud gordien, de tous les pouvoirs postindépendance se pose dans les termes inverses que ceux du passé. Car l’indéfinissable réserve qu’elle prétend observer est tout à fait commentée comme un blanc-seing au profit d’un candidat grabataire autorisé implicitement à garder la haute main sur les destinées du pays, quitte à les exercer en les livrant à une faune sans légitimité. Coupable explicitement de l’avoir ramené en 1999, la hiérarchie militaire serait, au sens exact du terme, complice de ce qu’il adviendra de l’Algérie au lendemain du 17 avril. Gaïd Salah et Mediene, qu’il faut d’ailleurs citer inlassablement, apparaissent comme des donneurs de caution alors que de toutes parts, on sollicite leur responsabilité pour mettre un terme à cette malédiction nationale.
Longtemps identifiée à une armée des pouvoirs, elle se retrouve justement dans l’inconfortable posture des prétoriens qui servent de bouclier à un régime virtuel ! Celui qui porte le label d’un Bouteflika mais dont les attributs de la fonction sont confisqués par une conjuration de l’ombre. Or l’Algérie n’attend pas de la caserne qu’elle lui en fournisse un autre de substitution mais qu’elle fasse ce que toute armée est en devoir d’accomplir. Celui d’empêcher l’ultime escroquerie politique de se réaliser. C’est ce genre de souhait qui rendra possible la transition, ce fameux sujet de dissertation doctrinale sur lequel planchent de respectables personnalités. Car il est temps que les mythes s’effondrent et que l’Algérie reconstruise ses institutions à travers un véritable débat national sans exclusive ni exclusion. Mais pour ce faire, faut-il encore que l’armée, elle-même, dé-diabolise les a priori qui l’affectent en se mutinant contre l’autocratie rampante. Sinon… Sinon qui comprendrait alors qu’une armée, réputée «populaire», capitule au moment où l’Etat est l’otage de réseaux d’intrigants ?
B. H.





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