Chronique du jour : Kiosque arabe
Question naïve à une «quinte flush»


Par Ahmed Halli
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Question naïve, mais pertinente, que Benflis devrait se poser s'il avait gardé encore quelques illusions, basées sur la solubilité d'un système dans une éprouvette, étiquetée démocratique : peut-on battre un candidat soutenu par toutes les institutions et administrations du pays? Autrement dit, et pour mieux baigner dans l'authenticité algérienne : un candidat qui tient toutes les cartes en main (droite), ou qui s'est octroyé une «quinte flush» majeure, comme dirait Kerry, peut-il se laisser battre? Peut-on le battre autrement qu'en renversant la table, et les règles, du jeu? La réponse saute aux yeux, même s'ils sont bandés et même Candide ne s'y tromperait pas, en dépit de tout le vacarme orchestré autour de lui. Malgré cette évidence, mes concitoyens candidats et électeurs s'entêtent à ignorer la morale de la fable qui met en scène, la course du lièvre et de la tortue, et qui dit à l'arrivée : «rien ne sert de courir, il faut partir à point». D'où viennent alors cette espèce d'incertitude et cette attente fiévreuse, que partagent supporters et adversaires du candidat numéro un, et hyper-favori? Et si tout cela n'était qu'une comédie burlesque, se terminant par un coup de théâtre, une fin inattendue, surprenant aussi bien les acteurs que les spectateurs?
Pour nos confrères du Moyen-Orient, la partie est d'ores et déjà jouée, même s'ils mettent un point d'honneur à émettre les supputations d'usage, plus proches du vœu pieux, que des conclusions logiques. Il y en a quand même qui s'indignent de cette obstination à durer, à perdurer, même s'ils sont affligés eux-mêmes du syndrome du «seul maître à bord». Ainsi, l'éditorialiste du quotidien jordanien Al-Destour résume le sentiment général de voir un homme s'accrocher autant au pouvoir. Dans un article consacré à la «saison électorale» dans le monde arabe, Arib Rantaoui estime que «le candidat soutenu par l'institution militaire et par la machine bureaucratique de l'État, sera inéluctablement vainqueur. Bouteflika, "candidat de la nécessité", n'a pas besoin de s'impliquer dans la campagne électorale, pour la simple raison que son état de santé ne lui permet pas de supporter les efforts requis pour une telle campagne. Aussi, on ne voit pas comment son état de santé pourrait lui permettre de diriger un pays de poids comme l'Algérie. Bouteflika a commis l'erreur de se laisser tenter par un nouveau mandat, alors que nous aurions souhaité qu'il prenne une retraite bien méritée, pour clore un registre riche en actions politiques», conclut l'éditorialiste.
Dans ce contexte, et bien qu'il soit adossé au même mur, le candidat Sissi en Égypte semble nettement mieux loti que le nôtre, et pas seulement du fait qu'il soit plus jeune et plus neuf. Arrivé au pouvoir après un système aussi décrié que celui imposé par les Frères musulmans sous Morsi, Sissi a pourtant repris les anciennes méthodes qui ont conduit ses prédécesseurs à l'échec. Ainsi, le système mis en place, après le soulèvement populaire du 30 juin 2013 contre Mohamed Morsi, s'ingénie-t-il à reprendre à son compte la théorie du «complot étranger», que les Algériens ont expérimentée, et expérimentent encore avec succès. Pour montrer à quel point elle fait partie de l'attirail culturel dominant en Égypte, et dans le monde arabe, Ala Aswani l'illustre avec une anecdote puisée dans sa vie d'étudiant aux États-Unis. Dans cette université de l'Illinois (Chicago), la secrétaire de section gérait et entretenait une petite cafétéria. Pour l'alimenter en café, thé, et autres assortiments, elle réclamait une petite participation financière aux étudiants et aux professeurs.
Parmi les contribuables, il y en avait un qui était président de l'Union des étudiants égyptiens. Il avait versé deux ou trois fois sa quote-part, mais bien que consommateur assidu, il s'était abstenu depuis longtemps de donner sa contribution. Réprimandé par la secrétaire pour son comportement, cet étudiant était monté sur ses ergots, en faisant valoir qu'en tant que président de son association, il était un représentant de l'Égypte et qu'il avait droit à des égards. La secrétaire lui répondit que les seuls égards qui lui étaient dus étaient ceux dévolus à tous ceux qui versaient leur contribution. Il avait donc le choix entre payer son dû ou s'abstenir de consommer gratuitement à la cafétéria. Il avait obtempéré, non sans récriminer contre la secrétaire, accusée de détester les Arabes et les musulmans.
Pris à témoin, Ala Aswani lui avait expliqué qu'il était possible que cette secrétaire soit une extrémiste, mais ce différend n'a rien à voir avec l'Égypte, ou avec l'Islam. «Elle s'est disputée avec toi parce que tu t'es permis de boire et de manger à la cafétéria, aux frais des autres étudiants. Et s'il y a quelqu'un qui a offensé les Arabes et l'Islam, c'est bien toi !». «Bien sûr, note l'écrivain, mon interlocuteur n'a nullement été convaincu de la justesse de mon propos. Car, comme de nombreux autres, il lui est difficile de reconnaître ses erreurs, et il lui est plus loisible d'en attribuer la paternité aux autres. Je me suis rappelé cette anecdote, car nous avons tendance aujourd'hui en Égypte à nous comporter comme cet étudiant, et à imputer aux autres la responsabilité de nos erreurs et de nos échecs. Dans cette optique, les médias s'acharnent à convaincre les Égyptiens que le monde entier complote contre nous. Et personne ne se demande si les problèmes que nous rencontrons ne viennent pas de la mauvaise gestion et de notre impuissance à résoudre les crises». Ala Aswani dénonce régulièrement les dérapages répressifs des autorités actuelles, y compris contre les principaux animateurs de la révolution du 25 janvier. Après avoir salué la destitution de Mohamed Morsi, et l'éviction des Frères musulmans du pouvoir, l'écrivain n'a cessé de déchanter et de s'insurger contre les méthodes du nouveau régime. Mais sa voix, à l'instar de celles d'autres intellectuels lucides, est étouffée par les clameurs conjointes des islamistes frustrés de tyrannie, et des démocrates qui idolâtrent Sissi, perçu comme valeur refuge. Ou le «seul rempart» contre la dictature religieuse, comme l'écrivaient en leur temps les spécialistes et connaisseurs, mal inspirés, à propos de Bouteflika. Admirons le résultat !
A. H.
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