Contribution : Le foudroyant virus Ebola : le point
Pr. Kamel Sanhadji(*)
La fièvre hémorragique à virus (FHV) Ebola est l’une des maladies
virales les plus virulentes chez l’homme selon l’Organisation mondiale
de la santé (OMS). Il s’agit d’un virus, de la famille des «Filoviridae».
Ce filovirus (genre à morphologie filamenteuse), identifié en 1976 dans
une province ouest équatoriale du Soudan ainsi qu’au nord du Zaïre.
Il existe plusieurs sous-types différents : Ebola Zaïre, Ebola Soudan,
Ebola Reston et Ebola Côte d’Ivoire. C'est un virus à ARN monocaténaire
(possède un patrimoine génétique composé d’un seule chaîne d’ARN mais
pas d’ADN) et contient sept protéines différentes de poids moléculaire
élevé. Le virus Ebola est sensible aux solvants des lipides comme
l’alcool ou l’acétone et il est inactivé par la bêta-propriolactone, le
glutaraldéhyde, le formol, les antiseptiques usuels comme l'hypochlorite
de sodium (eau de Javel). Il est aussi inactivé par le chauffage à 60°C
pendant une heure ainsi que par les rayons ultraviolets (UV) et gamma.
Les souches du virus sont conservées à -70° C ou dans de l’azote liquide
à -180° C dans des laboratoires très spécialisés de confinement physique
type P4 (ou L4). Les chercheurs travaillant sur ce virus, en plus du
laboratoire P4, s’équipent de combinaisons de type scaphandrier. Ce
genre de laboratoire est d’une étanchéité imparable et résistant même à
un bombardement conventionnel. Il ne doit laisser aucun échappement se
produire. Il en existe deux dans le monde, l’un en France à Lyon et
l’autre aux Etats-Unis. A noter une consigne importante en cas
d’incendie dans ce type de laboratoire. Il ne faut surtout pas éteindre
l’incendie mais plutôt laisser le feu se poursuivre pour que toutes les
souches Ebola conservées puissent être détruites. L’extinction de
l’incendie pourrait éventuellement laisser s’échapper le virus Ebola et
se propager ainsi dans la nature amplifiant le danger de propagation du
germe. Le taux de létalité humaine (capacité de tuer) est de 70 à 90%
pour la souche Ebola Zaïre et il n’existe, à l’heure actuelle, ni
traitement ni vaccin. Plusieurs épidémies et cas récents, en particulier
en 1976 au Soudan et Zaïre (300 cas dans chaque pays avec une mortalité
de 53 et 88%) et en 1995 au Zaïre, indiquant que la maladie est toujours
présente. Une flambée importante de fièvre hémorragique, en 2012 en
République démocratique du Congo, et récemment dans la région avec un
taux de létalité de 25% à 90% a été observée avec inquiétude. Un certain
nombre de constatations doivent nous inciter à rester prudents. En
effet, en mars 2014, le ministère de la Santé guinéen a signalé à l’OMS
une épidémie de fièvre hémorragique virale (FHV) liée au virus Ebola,
souche «Zaïre», dans le sud de la Guinée. Depuis le début de l’année
2014, des cas de fièvre hémorragique à virus Ebola (souche Zaïre) sont
rapportés dans le sud de la Guinée, dans deux districts de Haute-Guinée
(Diabola et Dingiraye) et à Conakry, capitale du pays. Aussi, depuis fin
mars, le Liberia et la Sierra Leone rapportent des cas et décès liés au
virus Ebola. A noter que les cas du Liberia et de la Sierra Leone
étaient liés à des voyages initialement en Guinée ou ont eu des contacts
avec des cas. Ainsi, c’est la première fois que des cas de FHV liés à
Ebola sont rapportés en Guinée. Cette FHV est en général plutôt
rapportée en Afrique centrale et des cas sporadiques avaient été
rapportés en Côte d’Ivoire en 1994. Il est important de rappeler que,
dans la région, d’autres pathologies endémiques telles que le paludisme
ou d’autres virus responsables de FHV circulent (FHV de Lassa ou la
fièvre jaune) et peuvent compliquer le diagnostic. A ce jour, le bilan
épidémiologique est le suivant : en Guinée, 168 cas cliniquement
évocateurs dont 108 décès ont été rapportés. Par ailleurs, 396 personnes
contacts font l’objet d’un suivi médical. Le ministère de la Santé du
Liberia rapporte officiellement 20 cas suspects et 6 cas confirmés dont
13 décès. Par ailleurs, 35 personnes contacts font l’objet d’un suivi
médical. Le ministère de la Santé de Sierra Léone rapporte 2 cas
suspects d’Ebola décédés, ayant effectué un voyage en Guinée. La
confirmation biologique de ces cas est en attente.
Epidémiologie
Quant à l’épidémiologie, la répartition géographique montre que les cas
cliniques de la maladie d'Ebola ont été trouvés au Soudan, au Zaïre, au
Gabon et au Congo. Au Zaïre en dehors de la zone endémique, le
pourcentage des sujets séropositifs était de 1%. On peut donc penser
qu'il existe des infections récentes et que le virus est enzootique ou
endémique dans plusieurs pays africains. Diverses espèces sont touchées.
En ce qui concerne l’homme, lors de l'épidémie du Zaïre en juillet 1976,
la plupart des cas observés étaient des adultes, 56% des cas étaient des
femmes. Chez les primates, on a trouvé des séropositivités chez des
Cynomolgus en provenance des Philippines mais également d'Indonésie et
de l'Ile Maurice. De même des singes rhésus élevés aux Etats-Unis depuis
plusieurs générations dans des colonies closes (sans introduction de
nouveaux membres) ainsi que des Cercopithecus aethiops importés des
Caraïbes depuis une centaine d'années ont été reconnus positifs pour ce
virus. Chez le cobaye, l'inoculation du virus Ebola est à l'origine
d'une infection non létale. Cependant le passage en série du virus chez
cette espèce augmente de façon dramatique sa virulence. La souche Zaïre
tue 100% des cobayes au 4e passage. La souche Soudan tue 50% des cobayes
après le sixième passage.
Réservoir
Le réservoir du virus n'est pas connu. Il semble que les cas primaires
humains résultent d'une contamination à partir d'un réservoir animal et
ensuite la très forte contagiosité de la maladie est responsable d'une
diffusion importante. Le virus tue les primates trop rapidement pour que
ceux-ci constituent un bon réservoir. Il semble, aussi, que la
chauve-souris soit un réservoir important du virus Ebola et que la
déforestation a contribué à un déplacement de ce rongeur vers les
centres habités ce qui aurait pu contribuer à l’amplification de la
flambée récente de la FHV à Ebola. Actuellement, le principal foyer
humain touché est constitué de tribus de pygmées vivant en autarcie dans
certaines parties de la jungle africaine. L’enclavement de ces
populations constitue une limite et un confinement géographiques à la
propagation du virus Ebola.
Transmission
En ce qui concerne la transmission chez l’animal de laboratoire, il a
été montré que plusieurs mois après la contamination, le virus n'était
plus retrouvé dans l'organisme. Seuls certains territoires tels que la
chambre antérieure de l'œil, les testicules (au statut immunologique
particulier), peuvent présenter un risque au-delà de cette période.
Passé ce délai, le virus n'a jamais été retrouvé même à la suite d'un
traitement immunosuppresseur. La quarantaine semble donc présenter des
garanties de sécurité suffisantes. La propagation de la maladie se fait
par contact entre personnes saines et personnes malades. Elle peut avoir
lieu dans les hôpitaux, par manque de matériel de protection et par
l’absence de stérilisation du matériel. La transmission peut se produire
par les rapports sexuels, par les liquides physiologiques qui
s'échappent des cadavres et par le sang coagulé, par la morsure de
singes malades ou par contact avec le sang contaminé ou les secrétions
corporelles. Les sources en virus Ebola sont représentées par la salive,
le sang, les urines, les fèces, la sueur, les vomissures de malades
atteints sont riches en virus.
Expression de la maladie
La maladie a une expression plus ou moins variable selon qu’elle touche
l’animal ou l’homme. Chez l’animal, il est brusquement atteint
d'anorexie et de léthargie lorsqu’il s’agit du virus Eboal Reston. On
note aussi un écoulement nasal. Ebola Zaïre rend les singes exsangues,
les yeux sont vitreux et le nez présente des écoulements de sang. Des
études comparatives sur la virulence des différents filovirus chez les
singes verts africains et des cynomolgus ont montré une résistance
accrue des singes verts pour tous les virus à l'exception du virus Ebola
Zaïre qui provoque une maladie fatale chez tous les animaux. Le
diagnostic a une importance primordiale aussi bien chez l’animal que
l’homme à cause de la transmissibilité et de l’extrême virulence
d’Ebola. Chez l’animal vivant, la sérologie la plus utilisée est
l'immunofluorescence indirecte. Le virus est isolé à partir d’individus
gravement atteints dans les laboratoires travaillant sur le virus dotés
d’installations de sécurité maximale (laboratoire de confinement L4).
Chez l’animal mort, Ebola Reston cause une forte dilatation de la rate,
une sécheresse des tissus, une augmentation du volume des reins et des
hémorragies dans divers organes. Ebola Zaïre déclenche une atteinte
cérébrale (le cerveau est parsemé de taches hémorragiques) et
destruction des tissus sous-cutanés, la peau est irritée, couverte de
taches rouges visibles entre les poils clairsemés, hémorragie interne
généralisée, le foie est dilaté (nécrose diffuse du parenchyme sans
réaction inflammatoire), hémorragies intestinales. Quant à l’homme, la
maladie d'Ebola est une maladie grave au taux de létalité élevé.
L'incubation dure environ une semaine et la maladie débute brutalement
avec de la fièvre et des céphalées (maux de tête). Des signes
hémorragiques font toute la gravité de la maladie. Le diagnostic repose
sur l’isolement du virus à partir du sang total ou d'échantillon de foie
doit être réservé aux laboratoires de type P4. La sérologie spécifique
est réalisée grâce aux tests par ELISA et RT- PCR. Un diagnostic
différentiel doit être fait avec d'autres maladies (dysenteries,
paludisme, fièvre jaune, fièvre typhoïde grave, dengue, méningococcémie,
leptospirose, rickettiose, fièvre de Crimée Congo). L'examen anatomo-clinique
révèle que les lésions les plus importantes se situent au niveau du foie
et de la rate.
Traitement
Quant au traitement, on n’en connaît pas d’efficace. Cependant du sérum
de convalescent (récolté 6 semaines après le début de la maladie) a été
utilisé comme traitement sur des malades. Aussi, l’interféron a été
utilisé, avec succès, dans un seul cas en association avec le sérum de
convalescent. Quant à l’héparine, elle a été utilisée, avec échec, dans
un seul cas. Des traitements symptomatiques tels que des transfusions de
sang, de plaquettes et de facteurs de celle coagulation sont utilisés.
Des chercheurs américains de l’US Army testent actuellement un mélange
d’anticorps monoclonaux (MB 003) contre le virus Ebola chez 7 primates.
Cette stratégie a permis de protéger 100% des animaux inoculés avec le
virus Ebola et traités une heure après cette inoculation.
L’espoir est fondé.
K. S. (*) Directeur de recherche.
Professeur des universités, Lyon, France.
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