Chronique du jour : CE MONDE QUI BOUGE
Après Tiguentourine, la Kabylie ?
Par Hassane Zerrouky
Onze
soldats, peut-être plus, ont été tués samedi soir. Ils avaient entre 23
et 30 ans. A Bel- Abbès, Souk Ahras, Chlef, Tebessa, Tarf et ailleurs,
lieux dont étaient originaires ces jeunes militaires issus de milieux
modestes, leur mort a suscité une immense émotion. Leurs obsèques ont
été douloureuses pour leurs familles, leurs proches et leurs amis
d’enfance. Ces militaires tués à la fleur de l’âge par ces «terroristes
restés au maquis» envers qui Sellal, Ouyahia, Belkhadem ont multiplié
les appels pour qu’ils rejoignent leurs familles au nom de la
réconcilation nationale, n’ont même pas eu droit à un hommage national.
Pas un mot du Président Bouteflika ni du gouvernement. Dans El Watan, le
général Maiza a évoqué «une erreur d’appréciation, une confiance
extraordinaire et un manque de vigilance» et annoncé qu’« il y aura
certainement des coupables et donc des sanctions à leur encontre» en
pointant le commandement local. Abondant dans le même sens, l’ex-colonel
du DRS le politologue Chafik Mesbah a pointé sur Maghreb Emergent «une
rupture de confiance» entre la population locale et les autorités. «Il
est impossible qu'un groupe terroriste agisse en toute aisance sans la
connaissance de la population. Le problème réside dans le fait que dans
une région comme la Kabylie dont la population n'a rien à voir avec le
terrorisme, la population ne se sent pas directement concernée par ce
qui se passe, en considérant que c'est un problème entre les pouvoirs
centraux et les terroristes». Il n’en reste pas moins que le fait que
chaque jour ou presque des soldats tombent sous les balles des
terroristes ou sautent sur des mines dans cette région interpelle. En
fait, les «défaillances» évoquées ne sont pas seulement d’ordre
technique ou dues au manque de préparation des jeunes soldats, voire à
l’absence de gilets pare-balles, mais également d’ordre politique.
Rappelons d’abord que les politiques de Concorde civile puis de
réconciliation nationale se sont traduites dans les faits par un manque
de vigilance et un relâchement sécuritaire. A quoi bon traquer des
terroristes si c’est pour les amnistier ? Cette question taraude
l’esprit de plus d’un soldat ou d’un membre des services de sécurité et
n’est pas tout à fait étrangère au relâchement sécuritaire. De ce fait,
avant d’être une question de moyens, d’équipement, de formation, la
lutte antiterroriste est d’abord une question politique. Et ce n’est pas
en tenant à l’écart la population, en refusant de l’impliquer comme si
le combat antiterroriste n’était pas une affaire nationale concernant le
devenir de l’Algérie, avec en toile de fond le désarmement des patriotes
comme l’ont exigé en contrepartie des groupes islamistes, que les
autorités, qui parlent au nom du peuple quand ça les arrange,
parviendront, si elles en ont rééllement la volonté politique, à en
finir avec ce phénomène. De plus, cette volonté de combattre le
terrorisme est indissociable d’une politique de démocratisation sans
exclusive de la vie publique et de mise en œuvre d’une politique de
développement durable rompant avec l’économie rentière. Aussi est-il peu
probable que le pouvoir actuel, suspecté de fraude, éclaboussé par des
scandales de corruption sans précédent, soit en capacité de réaliser
cette tâche d’intérêt national. Autre question qui taraude les esprits
et donne lieu à toutes sortes d’hypothèses : pourquoi la Kabylie
est-elle devenue le dernier sanctuaire terroriste ? En vérité, ce n’est
pas parce que cette région est «le bastion des luttes démocratiques»
mais parce que, dit-on, certains cercles islamo-conservateurs du pouvoir
ont sans doute besoin de laisser «vivoter» ces groupes djihadistes à un
jet de pierre d’Alger afin de justifier leur politique antidémocratique,
voire cet état d’urgence, théoriquement annulé, mais qui persiste dans
les faits et qui fait qu’aujourd’hui, les manifestations de Barakat sont
interdites ou que la commémoration du Printemps berbère est réprimée.
Terminons sur ce qui s’est passé à Tizi Ouzou. Chafik Mesbah affirme que
le général Hamel «avait l'intention de gérer démocratiquement les
manifestations » mais qu’il a « subi des pressions pour aller plus loin
dans l'utilisation de la violence contre les manifestants». Dans quel
but ? Et si c’est le cas, qui sont ceux qui auraient contraint le patron
de la DGSN à les réprimer aussi brutalement ? Et l’oppposition
direz-vous ? Elle a bien condamné la répression en Kabylie, et elle a eu
raison de le faire, mais pas un mot pour ces jeunes soldats issus de
milieux pauvres, tués en Kabylie.
H. Z.
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