Actualités : LE VERDICT SERA RENDU LE 18 MAI PROCHAIN
Procès spectacle de Mohand Kadi et Moez Bennecir


Après 25 jours de détention provisoire pour un chef d’inculpation largement contesté, à savoir «attroupement non armé», lors de la manifestation du mouvement Barakat le 16 avril dernier, le procès de Mohand Kadi et Moez Bennecir a été entamé hier, au tribunal de Sidi M’hamed, à Alger, sur une fausse note.

Mehdi Mehenni - Alger (Le Soir)
Citoyens et journalistes ont été d’emblée empêchés d’accéder à l’audience pourtant «publique», où ont comparu hier au tribunal de Sidi M’hamed, à Alger, Mohand Kadi, étudiant de 23 ans, militant de l’association RAJ, et Moez Bennecir, assistant d’édition tunisien de 25 ans, résident en Algérie. Il était 9h30.
Soit le début du procès. C’est alors que Me Bouchachi un des avocats volontaires (une dizaine), des deux accusés proteste auprès de la police : «Nous sommes dans une audience publique dans un tribunal civil et non pas dans une caserne. Vous n’avez pas le droit d’empêcher le public d’y prendre part.»
Panique générale. Cafouillage. Puis on revient à de meilleurs sentiments. Après quelques coups de fil, le commissaire de police qui avait pourtant argumenté qu’il ne faisait qu’obéir à des instructions venues d’en haut finit par céder. La salle d’audience du tribunal de Sidi M’hamed est finalement accessible à tous.
Le procès a pourtant déjà commencé et il est presque 10h. C’est alors que le représentant du parquet et après avoir eu connaissance des charges retenues contre les deux accusés, requiert une année de prison ferme. Il se prononce conformément à l’article 98 du code pénal qui stipule entre deux et douze mois de prison ferme pour attroupement non armé. Il interroge, au passage les deux jeunes détenus si réellement ils étaient en contact avec les mouvements RAJ et Barakat. C’est alors que le spectacle de la défense commence.
Me Nourredine Benissad, président de la LADDH, entame le bal : «Etre à proximité d’un rassemblement ou avoir des relations avec les organisateurs ne constituent pas un délit. Le dossier de la police judiciaire soumis à la justice est vide et ne contient pas la moindre preuve des charges retenues contre les accusés. Il n’y a eu que des suppositions policières. Pourquoi d’ailleurs, tous ceux qui ont participé ou étaient à proximité du rassemblement n’ont pas été arrêtés pour attroupement non armé».
Et à Me Hassani Amine d’enchaîner : «Peut-on parler d’un délit d’attroupement non armé, alors que ce jour-là, il n’y a pas eu, tel que le stipule la loi, une sommation par les autorités compétentes de quitter les lieux à l’aide d’un haut-parleur. Il n’y en a pas eu et de ce fait, les charges retenues contre les deux accusés sont de facto nulles et non avenues. Je suis outré, aussi, d’entendre le représentant du parquet demander aux deux accusés s’ils étaient réellement en contact avec les mouvements citoyens RAJ et Barakat. Il s’agit après tout de mouvements citoyens algériens identifiés et connus de tous et non pas d’organisations terroristes ou de services d’espionnage étrangers. Ce n’est pas après tout le Mossad ! De ce fait, j’aimerais dire aujourd’hui : barakat à la répression contre les libertés citoyennes.»
C’est alors que commence une véritable plaidoirie contre l’enquête policière. Me Aïnouz Abdelhakim le relève : «Les services de sécurité ont mal fait leur travail et il y a eu comme une précipitation dans l’enquête qu’ils ont menée sur les deux accusés. Nous aurions aimé trouver des preuves dans le dossier soumis à la justice mais malheureusement, et heureusement d’ailleurs, il n’en est point. Il n’y a pas le moindre tract, lettre ou message quelconque qui atteste des charges retenues contre eux». Mais le coup de grâce sortira de la bouche de Me Abdelghani Badi :
«Je me demande avec quels moyens travaille aujourd’hui, à l’ère de la technologie, la police judiciaire qui n’a pas réussi à fournir la moindre preuve par l’image de la participation des deux accusés au rassemblement du 16 avril pourtant empêché. Et dire que les caméras et les appareils photos de la police étaient nombreux à immortaliser la scène. Il y a eu aussi des images sur Internet mais qui ne démontrent point leur présence. Malheureusement, notre police recourt à des pratiques d’un autre âge. Je me désole aussi de voir le représentant du parquet questionner les deux accusés sur leurs droits élémentaires. A savoir, être en contact avec telle ou telle autre personne de RAJ et Barakat, qui ne sont ni recherchées, ni des criminels ou encore déclarées notoirement dangereuses. La preuve et comble de la bêtise, ces personnes avec lesquelles la police judiciaire reproche aux deux accusés d’être rentrés en contact sont aujourd’hui dans la salle d’audience».
Et comme le procès avait plus l’air d’être d’ordre politique que d’une quelconque autre nature, Me Chahinez Benchikh, rajoute une couche : «Pourquoi ceux qui ont manifesté pour la victoire d’Abdelaziz Bouteflika, jusqu’à 2h du matin, lors des présidentielles du 17 avril 2014, empêchant de dormir le voisinage de la place Audin où les deux accusés ont été arrêtés pour attroupement non armé, n’ont pas été embarqués ?». Mais c’est décidément la fin de la plaidoirie qui réserve le mieux tout comme pire. Me Mustapha Bouchachi se déchaîne :«Après 25 jours de détention des deux accusés, et après avoir consulté le dossier de la police judiciaire soumis à la justice, je suis saisi par un sentiment de peur. J’ai surtout peur pour mon pays. J’ai peur de ce que l’histoire dira de nous. De la justice algérienne. La police en charge de l’enquête n’a fait qu’obéir aux ordres, et n’a point fait son travail tel que le prétend le parquet. Mais qu’en est-il de ce parquet qui a lui, sans aucun fondement juridique, ordonné la poursuite de ces innocents pour les placer en détention provisoire. Il y a quelque chose de grave qui se passe dans ce pays. Car nous ne sommes plus là pour appliquer la loi et rendre justice. Je suis profondément outré et triste pour la justice de mon pays car aujourd’hui, et lors de cette audience, nous écrivons pour l’histoire de notre pays. C’est une tache noire dans nos annales et je demande que justice soit faite pas seulement pour ces deux jeunes mais aussi pour l’Algérie et la liberté».
Midi passé, la juge visiblement confuse annonce le verdict pour le 18 mai prochain. «Ils croupiront une semaine de plus dans les geôles de la prison de Serkadji», se désole Idir Tazerout, membre de la coordination nationale du mouvement Barakat, présent lors du procès.
M. M.





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