Contribution : Les choix d’un autre modèle de développement de l’Algérie
Mahmoud Ourabah
Il se dégage en résumé des diagnostics sur l’économie algérienne,
notamment ceux effectués dans le cadre de la récente campagne pour le
rendez-vous du 17 avril, mais surtout des écrits antérieurs parus dans
les médias, deux questions qui me semblent majeures : l’emploi
qualifiant et la sécurité alimentaire. Si rien n’est fondamentalement
effectué les toutes prochaines années, les diagnostics sur ces deux
questions économiques majeures vont s’aggraver.
Notre modèle de croissance «rentier et extraverti» serait-il à bout
de souffle ?
Rappelons que ce modèle de croissance repose presque exclusivement sur
les recettes encaissées d’exportations de pétrole et de gaz, dont
certains prédisent l’épuisement des puits dans les deux ou trois
prochaines décennies. D’autres prévisions moins pessimistes existent sur
les «réserves» pétrolières et gazières, ou de nouvelles découvertes
toujours possibles de gisements gaziers ou pétroliers. Mais à la limite,
cela ne change rien au raisonnement stratégique : si on perpétue les
mêmes errements, c’est-à-dire, pour reprendre l’expression du professeur
Maurice Bye, si on ne sait toujours pas bien «semer le pétrole». Si on
n’a pas appris à tirer un bien meilleur profit économique, social,
culturel, de ce don de la nature, pour la majorité des Algériens de
plusieurs générations. Si on ne se contente pas de juste encaisser des
«royalties», tout en puisant sans précaution les puits !
L’une des plus graves conséquences de la façon dont cette rente
pétrolière a été gérée est l’effondrement actuel de l’économie agricole,
plus précisément de la fonction nourricière de l’agriculture. La
production nationale est devenue au fil des ans un appoint aux
importations, au lieu que ce soit l’inverse. Bien pire, les importations
inconsidérées des produits agricoles, importations facilitées par
l’aisance des recettes pétrolières, notamment les semences et le bétail,
ont eu des effets destructeurs du patrimoine génétique du pays,
considéré dans le temps comme l’un des plus riches et des plus
diversifiés de la Méditerranée.
La voie salutaire, en cette priorité de la sécurité alimentaire qui
prendra, certes, du temps, doit passer par la réhabilitation des 20 à 30
zones de production de l’agriculture traditionnelle, actuellement plus
ou moins abandonnée, de notre immense territoire. Agricultures
diversifiées : des côtes, des montagnes, des hautes plaines, des oasis.
C’est cette agriculture locale dans ces 20 à 30 zones qu’il faut
réhabiliter en la modernisant, en s’appuyant sur le savoir-faire de nos
paysans, ou de jeunes à inciter «au retour au travail de la terre», avec
des nouveaux savoir-faire et métiers de l’agriculture, appuyés par un
encadrement technique et organisationnel adéquat, à la hauteur des
enjeux. Chaque zone doit viser sa propre autosuffisance alimentaire et
dégager progressivement des surplus pour couvrir au mieux les besoins de
tout le pays. C’est la leçon qui est tirée au niveau mondial des
programmes de lutte contre la faim, après les outrances et les échecs
des politiques de l’industrialisation de la production agricole mondiale
(«révolution dite verte» à coups d’engrais et de pesticides néfastes
pour l’environnement). Il est recommandé de revenir, en la modernisant
«raisonnablement», à «l’agriculture paysanne».
Gouverner, a-t-on dit, c’est choisir. Certains, les prédateurs et les
paresseux, veulent coûte que coûte choisir de pérenniser chez nous ce
«modèle de croissance extraverti et rentier», qui a été si dévastateur
dans bien des domaines, avec les promesses d’exploitation dans le Sahara
des gisements de gaz de schiste, dont on nous apprend, pour nous
allécher, que le sous-sol algérien recèle de grandes potentialités,
parmi les plus élevées du monde. Et l’on nous rassure sur les
expérimentions des technologies connues pour extraire ces ressources en
gaz piégées dans des roches profondes, qui sont interdites dans beaucoup
de pays, à cause de leur dangerosité. Notamment leur impact désastreux
sur la ressource naturelle la plus précieuse, l’eau. Ces technologies
seraient tolérables dans le Sahara ! Le Sahara est, pourtant, en proie
au stress hydrique le plus sévère au monde. Mais c’est vrai aussi qu’il
est si peu peuplé ! Quoi qu’il en soit, ce débat autour de la
dangerosité de l’exploitation du gaz de schiste mérite d’être
sérieusement organisé comme un débat national hautement stratégique,
éclairé par nos chercheurs et spécialistes de beaucoup de disciplines en
sciences physiques et en sciences humaines, et non juste laissé aux
conclusions de «spécialistes» sectoriels, pétroliers ou gaziers. Au nom
du principe élémentaire qu’on ne peut «être juge et partie».
L’autre conséquence très grave, et sans aucun doute la plus grave de ce
modèle «rentier et extraverti», porte sur la valorisation de notre
«capital humain». Le peu de la valorisation de la ressource humaine.
Voir les classements internationaux sur le «développement humain» qui
nous situent depuis longtemps à la traîne. Le grand paradoxe est que la
«rente» aura atteint, avec un baril de pétrole à 100-110 dollars, 60 à
70 milliards de dollars de recettes des exportations par an, et une
réserve monétaire en devises équivalant à 3 ou 4 ans d’importations tous
azimuts, alors que nos universités et centres de recherche végètent
misérablement.
Il n’est pas étonnant qu’avec cette mauvaise gouvernance des ressources
naturelles guidée surtout par la recherche du profit financier immédiat,
la ressource humaine soit bien négligée. Certes le nombre des
universités et des centres d’éducation est important (bientôt 1,5
million d’étudiants) mais ne débouche que sur un chômage massif des
jeunes, diplômés ou non. C’est une réalité que les statistiques
conventionnelles reflètent très mal. Pourquoi ce paradoxe apparent ? Par
illustration, le «taux de chômage» qui «a été ramené, nous dit-on, de
20,25% à 9% !» en quelques années est un résultat en trompe-l’œil, parce
que ces statistiques agrègent les occupations des activités de ce
fourre-tout du secteur dit informel, lequel abrite la grande majorité de
«la population dite active» (voir définition plus bas(1), avec les
emplois de l’économie productive. Ce «taux de chômage» ramené en
quelques décennies à un taux apparemment acceptable aurait été par
ailleurs obtenu grâce à ce qu’on appelle le «traitement social du
chômage».
Un «traitement social» est par définition provisoire, et/ou touchant une
partie de «la population active», celle que la croissance économique
globale n’arrive pas à toucher directement, aisément. Il ne saurait
tenir lieu d’une politique nationale active de l’emploi. C’est un
traitement conjoncturel, en attendant que la croissance économique crée
de vrais emplois en quantité suffisante. Est-ce le cas chez nous ? Non !
Parce que notre modèle de croissance tiré essentiellement par les
activités d’extraction-exportation des hydrocarbures est très peu
directement créateur d’emplois. Le taux de croissance économique n’a pas
ici d’impact direct sur la création d’emplois. Si ces activités minières
d’extraction des hydrocarbures contribuent à 97/98% des exportations et
à 40/50% du PIB, elles ne contribuent qu’à 2 à 3% de l’emploi global.
D’un autre côté, la panoplie des instruments de ce «traitement social» (Ansej,
Cnac, etc.) sur le modèle expérimenté dans certains pays développés,
malgré toute sa «générosité» (subventions budgétaires), n’est pas une
solution durable, soutenable. C’est bien évident, compte tenu de
l’ampleur de la demande des jeunes générations qui arrivent annuellement
à l’âge(2) du travail, le plus souvent sans aucune formation
professionnelle (autour de 1 million par an, actuellement, nombre en
croissance encore très rapide les prochaines années, voire les
prochaines décennies, du fait structurel de la «pyramide démographique»,
ou de la jeunesse de la population !). Par ailleurs la manière avec
laquelle ce dispositif du traitement du chômage est réellement mis en
œuvre comporte de nombreuses déviances bien connues qui font réclamer un
bilan, lequel se fait bien attendre. Mais il faut surtout s’interroger
sur l’efficacité du choix d’un tel système de traitement du chômage, eu
égard aux structures actuelles de la démographie et de l’économie
algérienne, mais aussi à ses potentialités de développement. Si
toutefois on veut réellement le développement, c’est-à-dire se dégager
un peu des pratiques du «courtermisme» ; et qu’on dispose d’un plan à
long terme crédible pour le cibler effectivement et le concrétiser par
étapes.
Durant la «transition» qui s’ouvre en Algérie, les gens de bonne
volonté, c’est-à-dire ceux qui sont surtout motivés par l’intérêt
général, sinon «des hommes nouveaux», auront à cœur de concevoir puis de
mettre en œuvre des politiques susceptibles d’inverser ces tendances qui
nous conduisent dans le mur : le tout-pétrole et les comportements
passifs de rentier, fortement incitatifs eux-mêmes de la prédation qui
fait des ravages dans notre corps social. «Les hommes nouveaux»,
qu’est-ce à dire ? C’est une réminiscence de l’histoire de Rome : des
hommes nouveaux, des «homini novæ», étaient attendus à chaque grande
crise ; ils surgissaient précisément de la crise elle-même, en étant
capables de la résoudre.
Une transition pour aller où ?
Un «vétéran»(3) comme moi ne peut qu’esquisser, ici, à très grands
traits ces solutions de «sortie de crise». Car il ne suffit pas de
dresser des constats, beaucoup le font régulièrement. Il convient aussi
de faire œuvre d’imagination pour indiquer les pistes à suivre,
souhaitables mais praticables, pour nous éviter le pire, c’est-à-dire
encore les effets néfastes de la «dictature du statu quo». La première
piste qui s’impose est celle de choisir de consacrer le maximum possible
de ressources pour l’investir dans le «capital humain». Cette haute
priorité se dégage de la leçon qu’on peut tirer de 50 ans de tentatives
de développement, ou de gestion économique globale du pays, depuis
l’indépendance. L’émergence de la capacité nationale de réaliser une
économie moderne et performante n’a pas émergé suffisamment, à hauteur
de l’ampleur des défis et besoins de la construction d’une économie et
d’une société moderne, d’un vaste pays, le plus grand du continent, et
d’une population de bientôt 50 millions à l’horizon 2030, à insérer dans
une économie internationale qui se «globalise» ; économie universelle
qui se globalise qualifiée «d’économie de la connaissance». Précisément
par ce que le «capital humain» y joue un rôle autant sinon plus que le
«capital matériel» ou le «capital argent». Lisons encore les
statistiques pour illustrer ce fait de la faible capacité nationale de
réaliser. Le «taux de participation» de la population active au PIB est,
selon l’ONS, de 39/40% en 2013, à comparer aux 65/70% atteints dans les
pays développés. C’est un indicateur qui nous permet globalement de
mesurer cette capacité nationale de réaliser. En réalité, ce taux de
participation des «actifs» à la création de la richesse économique du
pays est très biaisé chez nous, par ce que ce taux de 40% englobe les
«actifs» de l’informel, lesquels pour la plupart s’activent pour
survivre dans ce secteur informel, plus qu’ils ne créent de réelle
valeur ajoutée économique. C’est sans doute juste 10 à 15% des actifs,
grand maximum, qui contribuent peu ou prou à créer de la valeur ajoutée
économique, selon mon estimation (très pifométrique) et selon ma lecture
propre des statistiques conventionnelles. Ce taux de participation
réelle à la création de la richesse économique est beaucoup trop faible.
Il ne faut pas non plus se tromper sur le fait qu’une très faible
minorité, au sein de cet immense «secteur informel», qui abrite chez
nous la grande majorité de la «population dite active», dégage des
profits monétaires, qui peuvent même être très impressionnants. Cette
observation ne doit pas faire illusion. «Faire de l’argent» (make money)
ne doit pas être confondu avec une politique de développement. Malgré
les apparences, il ne s’agit pas ici de morale, mais d’un raisonnement
stratégique. Il convient d’élargir considérablement les acteurs, les
femmes et les hommes, qui contribuent réellement à la création des
richesses économiques. Dépasser très sensiblement ce faible «taux de
participation» de 10 à 15% — en chiffres absolus que j’estime autour de
1 million pour une population active totale de 12 millions en 2013 et de
près de 40 millions de la population totale.
Ces acteurs réels de l’économie moderne qui soient à mêmes par leur
travail et leur créativité propres de créer des richesses économiques et
de démultiplier durablement les emplois. C’est une dynamique autocentrée
de développement, interne au pays, qui doit le permettre, et qu’il faut
chercher à obtenir, pour qu’elle puisse être durable, socialement utile,
économiquement efficace. C’est une «élite professionnelle», en nombre
suffisant pour atteindre une économie d’échelle, un palier, afin d’avoir
des effets significatifs, qu’il convient de promouvoir sérieusement,
avec volontarisme, afin de démultiplier la richesse économique du pays ;
en effet, il faut insister sur cette «économie d’échelle», car «un
individu seul ne peut enrichir l’assemblée...» dit le proverbe. Ou autre
proverbe, une hirondelle ne fait pas le printemps.
Comment élargir les créateurs de richesses économiques en nombre
suffisant ?
Au lendemain de l’indépendance, nous pensions que c’était déjà une bien
lourde tâche de scolariser toutes les filles et tous les garçons, pour
qu’en plus, il faille envoyer leurs parents à l’«école du soir».
Ce fut une erreur stratégique ! Parce que nous étions, triste héritage
de «la nuit coloniale», un peuple composé en majorité de jeunes hommes
et femmes analphabètes à 95%, avec très peu de formation professionnelle
! Et ce sont ces jeunes adultes qui ont géré le pays pendant des
décennies, jusqu’à des survivants encore aujourd’hui à la tâche. Sans
doute que ce très faible niveau moyen éducatif et culturel du pays,
cette faiblesse de la valorisation du «capital humain» a beaucoup
contribué aux déboires de l’Algérie. Il convient de ne pas renouveler
cette erreur stratégique du point de départ. Nous en avons aujourd’hui
les moyens financiers. Durant cette «transition» qui s’ouvre, il
convient, pour inverser les mauvaises tendances, largement constatées
par beaucoup de segments de l’opinion, de réfléchir et de mettre en
œuvre un vaste «programme de formation continue». Un minimum de
formation professionnelle et culturelle devrait pouvoir être offert à
chacun, au profit prioritaire de la grande cohorte des jeunes qui
sortent chaque année des écoles sans diplôme et sans formation. Pour
limiter et rattraper les dégâts d’«une école en faillite» qui se solde
par un grand gaspillage de la ressource humaine. On estime en effet à
plus de 800 000 par an, ces «neurs» (en anglais), c’est-à-dire des
jeunes qui ne sont «ni à l’école ni à l’emploi». Ce programme de la
«formation continue» qui serait ouvert à tout «actif», pour peu qu’il le
veuille sérieusement, serait à notre sens une bonne façon de «semer le
pétrole». Un bon «retour sur investissement» pour le pays, comme disent
les capitalistes. Il y a urgence de commencer par récupérer cette masse
d’oisifs de notre jeunesse, «jetés à la rue» chaque année, par milliers.
Les former professionnellement par l’apprentissage ou d’autres moyens
éducatifs, pour leur donner une chance d’être employés dans une économie
productive, économie nouvelle qui reste à promouvoir sur une échelle
adéquate, à laquelle ils pourraient progressivement, à leur tour,
contribuer ; pour l’immédiat cette formation de rattrapage doit leur
permettre d’être «employables» par des entreprises existantes, ou de les
préparer à initier par eux-mêmes des micro-entreprises
économiques ; ou tout au moins de leur permettre de s’épanouir dans des
activités socialement et culturellement utiles dans d’autres structures,
type associations culturelles, sportives ou d’intérêt général comme le
service civil. Ce programme de «formation continue» financé par l’Etat
visant à toucher le plus grand nombre doit pouvoir répandre aussi
l’esprit citoyen ; afin de responsabiliser tout un chacun, apprendre à
chaque Algérien de savoir se prendre en charge lui-même. Commencer à
inverser la très forte tendance actuelle, qui mine toute la société, à
tout attendre de l’Etat, et tout de suite !
L’autre piste concerne «l’élite professionnelle». Certes «l’économie de
marché» à laquelle, en principe, on adhère depuis les réformes de 1990,
voudrait que spontanément se dégage cette élite, ou «les entrepreneurs».
Libéré de toutes entraves, le «marché» ferait émerger en nombre les
entrepreneurs ! Hélas, comme perçu plus haut, cet indicateur de «taux de
participation» de 40% de la population active (statistique de l’ONS)
ramené ici par nous à juste 10/15% de contributeurs réels à la richesse
économique du pays — en gros correspondant aux activités hors-secteur
informel — est beaucoup trop faible ! Ce fait peut aussi être corroboré
par les entrepreneurs actuels eux-mêmes, aussi bien étrangers que
nationaux, qui déclarent et justifient souvent leur frilosité en matière
d’investissements, entre autres causes, par cette grande pénurie des
femmes et des hommes suffisamment formés et expérimentés. On importe
même des ouvriers dans des chantiers de TP. Il semble donc qu’une
politique volontariste soit indispensable pour promouvoir cette «élite
professionnelle» à la hauteur quantitative des besoins de l’économie
moderne, et de nos légitimes ambitions de développement.
C’est à l’université, aux centres de formations, qu’il convient
d’apporter cette réponse. Or, ces institutions de formation doivent
d’abord faire leur propre révolution, pour qu’elles ne soient plus
accusées d’être juste «des usines à chômeurs» ou des «garderies» ! Il
est impératif aussi que l’université algérienne, ses instituts de
recherche s’impliquent dans la création de la richesse économique. Pas
seulement d’ambitionner de former des beaux-esprits ! Ce qui n’est pas
en soi, loin sans faut, un but négligeable ! Mais pour faire face à nos
défis de développement, il faut révolutionner l’université à commencer
par y chasser le charlatanisme souvent dénoncé en son sein.
En visant des performances sanctionnées par les classements
internationaux type «Shanghai». Notamment parmi les performances à
atteindre, il convient d’établir de sérieuses liaisons entre
enseignement-formation-emploi (type «incubateurs, ou pépinières
d’entrepreneurs») lesquelles doivent être rapidement mises en place ou
devenir beaucoup plus efficientes, et sur des échelles qui répondent à
l’ampleur des buts visés. Ainsi, la «formation continue», «la révolution
de notre université et de notre système de formation» nous paraissent
les pistes les plus solides pour nous sortir de l’économie «extravertie
et rentière» ; cette dernière tourne le dos dans les faits à la
valorisation du «capital humain». A la seule «richesse des nations» qui
vaille ! Dans le même temps, cette «transition» qui s’ouvre ces
prochaines années, souvent appelée au niveau international «transition
énergétique», c’est-à-dire une économie universelle nouvelle fondée sur
des énergies non fossiles ou encore «d’après-pétrole», doit permettre de
jeter les bases de notre propre industrialisation.
Comment concevoir une nouvelle industrialisation du pays ?
Après un départ conséquent mais dévoyé, les deux premières décennies
post-indépendance (voir «Les transformations économiques au 20e
anniversaire» Enal Alger 1982) l’industrie algérienne est actuellement
bien faible et déclinante dans le PIB. Moins de 4%, résultat de
plusieurs facteurs dont «un discours à la mode» sur «la
désindustrialisation» ou période «post-industrielle», discours qui
s’adresse en fait au monde déjà développé, et à ses crises propres, mais
qui ne correspond ni à notre histoire d’ex-colonisés, ni à nos besoins
en emplois qualifiants et ambitions de développement, ni à nos
structures économiques très sous développées. Discours sur la
«désindustrialisation» que souvent on a parfois repris chez nous, par
mimétisme, ou peut-être pour cacher des intérêts catégoriels non
avouables ( «l’import-import» étouffant le producteur)! On tente ces
derniers temps de réhabiliter cette base industrielle née des premiers
plans (1000 entreprises achevées en 1982) et sur laquelle devait
s’amorcer «l’industrialisation en profondeur» du pays. «En profondeur»,
c’est-à-dire une industrialisation qui devait toucher d’une façon
«intégrée» et entraînante toutes les activités productives, agriculture,
industrie, et les services et infrastructures liés à cette modernisation
et promotion de l’économie productive. Les conditions actuelles de
l’industrialisation dans le monde sont bien différentes, notamment la
«globalisation» de la production mondiale de biens et de services, qui
font que les entreprises parmi les plus puissantes qui tirent le plus
fortement la croissance mondiale «délocalisent» leurs usines et leurs
produits. Un des critères d’ailleurs des lieux choisis de
«délocalisation» tient à la disponibilité de ressources humaines
qualifiées ; un des critères les plus incitatifs des IDE
(investissements directs des étrangers) à investir ou à se délocaliser
dans tel ou tel pays. Poussant même plus loin la «déterritorialisation»
de la production industrielle, un même produit industriel, pouvant
souvent être fabriqué dans ses diverses composantes à différents
endroits géographiques de la planète. C’est une première donnée qui doit
faire réfléchir nos acteurs et nos stratèges industriels. L’évolution de
la globalisation dans laquelle notre économie et son développement sont
inévitablement plongés, mondialisation qui se présente pour nous avec de
nouvelles contraintes, notamment dans ses brutales fluctuations (exemple
: la brutale augmentation des produits agricoles sur les marchés
mondiaux fortement «financiarisés», l’hiver 2010-2011, préludes et cause
sérieuse, on l’oublie trop, des explosions sociales dans toute notre
région sud de la Méditerranée, Algérie y incluse ! Sans évoquer la
terrible chute du prix du baril de pétrole en 1987 !). Mais cette
«mondialisation» offre aussi de nouvelles opportunités de «nous inscrire
dans les grands courants de la science et de la technologie
universelle», selon les propres termes de la Stratégie globale du
développement de l’Algérie de février 1966. A la condition, encore une
fois, que le pays soit «attractif» pour les multinationales,
c’est-à-dire, précisément, un pays où la ressource humaine qualifiée
soit suffisamment disponible.
Un des axes majeurs qui structure dorénavant l’économie mondiale et qui
suscite d’une façon acharnée les grandes compétitions des Etats et des
grands groupes industriels, est sans aucun doute l’énergie.
La course au contrôle des sources d’énergie
Bien des tensions vécues actuellement dans notre propre région
s’expliquent sans doute par cette course au contrôle de l’énergie.
Producteur d’énergies fossiles, pétrole et gaz, et aussi potentiellement
d’énergie non fossile, principalement le soleil, nous avons
théoriquement des cartes stratégiques pour nous défendre dans une
«mondialisation» qui n’a jamais été tendre avec les plus faibles. A
condition que les producteurs de matières premières se regroupent, face
à ceux qui dominent cette «mondialisation». A l’instar de ce qu’a pu
faire l’Opep durant une période. En effet citons par illustration de ce
rappel historique, qu’en 1974, pour la première fois dans l’histoire des
relations économiques internationales, disons pour simplifier entre le
Nord et le Sud, des producteurs de matières premières ont eu leur mot à
dire dans la fixation des prix de ces matières premières !
Les différentes formes de la mondialisation de la production des biens
et des services poussent à des regroupements de grands groupes
industriels, mais aussi à des régionalisations (groupements économiques
de pays) souvent sous la forme d’«associations de libre-échange».
Mais comme le soulignait un prix Nobel de l’économie, Maurice Allais,
que l’on ne peut, certes, pas accuser de «gauchisme» ou de
«tiers-mondisme attardé» : associer le «Nord» industrialisé et le «Sud»
encore le plus souvent sous-développé est en fait proposer un
partenariat «entre le pot de terre et le pot de fer» ! On nous suggère
souvent de passer par ces regroupements régionaux autour de zones
commerciales de «libre-échange», type «Grand Moyen- Orient» ; projet
cher à la première puissance économique mondiale. Mais notre approche
proposée ici, qui est bien différente, même si elle est beaucoup plus
compliquée à mettre en œuvre, serait de réunir nos pays voisins de
l’Est, l’Ouest, le Sud, autour de projets communs de valorisation des
matières premières (pétrole, gaz, uranium, soleil, etc.).
C’est la voie la plus sérieuse, même bien ardue, de rompre avec «la
division internationale du travail» du schéma d’exploitation, type
«pacte colonial», qui entendait maintenir les pays du Sud, les
producteurs de matières premières, sans industrialisation. Les
considérer juste comme des marchés de consommation pour y déverser la
pacotille industrielle du Nord, et y puiser, au besoin, la main-d’œuvre
excédentaire de ces pays, que leurs économies non industrialisées ou non
modernisées ne peuvent faire travailler.
Poussant aux solutions d’exil de désespoir à la recherche du travail,
beaucoup de jeunes de nos pays (harraga). Cette «division internationale
du travail» est, si on y regarde de près, toujours bien actuelle en ce
début du XXIe siècle ! Elle engendre, comme perçu plus haut, des
«économies extraverties et rentières» au Sud détenteur de mines et
autres matières premières indispensables à l’industrie moderne.
Laissant donc l’essentiel de la «richesse des nations», c’est-à-dire la
valorisation du «capital humain» par le travail qualifié, se faire
uniquement au profit du Nord ; aux acheteurs de ces matières premières
qui transforment chez eux les matières brutes puisées chez nous en
produits à forte valeur ajoutée, et emplois qualifiés. Il appartient
durant cette «transition» qui s’ouvre à nos élites du Maghreb et du
Sahel de faire mûrir et concrétiser cette voie de salut, pour pouvoir
promouvoir réellement le développement de la région. Après tant d’années
de désunion et de tentatives isolées, par les pratiques dominantes dans
les faits du «chacun pour soi», pour tenter de s’en sortir, d’édifier au
travers de projets communs de valorisation des matières premières, des
économies performantes en particulier dans ces deux domaines
prioritaires : de l’emploi qualifiant et de la sécurité alimentaire.
M. O.
(1) Population active sens BIT : l’ONS estime par enquête régulière
cette «population active». C’est un concept qui englobe toute personne
apte au travail professionnel (excluant les femmes au foyer, les
malades, les appelés au service militaire..), apte à travailler de l’âge
de 16 à 59 ans, et qui est occupée effectivement ou qui est au moment de
l’enquête, à la recherche d’un travail. Ce concept statistique de
population «active» englobe donc les occupés mais aussi les chômeurs.
(2) Âge de travailler : légalement fixé selon les pays, en général à
15/16 ans, excluant donc le travail des enfants interdit ou protégé par
des conventions du Bureau International du Travail.
(3) Ancien planificateur et secrétaire général du Plan, 1963-1984 ;
ancien haut fonctionnaire du BIT 1985-1997. Consultant international en
économie du développement.
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