Chronique du jour : Lettre de province
Manœuvres sordides :
l’invention de 52 partis
Par Boubakeur Hamidechi
[email protected]
Les
partis politiques existent-ils encore ? Carbonisés à petit feu durant 15
années au moins combien sont-ils encore à végéter à la périphérie d’un
pouvoir qui ne les sollicite que pour sa «bonne» cause. C’est ainsi que
l’on vient d’apprendre qu’ils ne seront pas moins de 52 partis à
participer à la prochaine consultation ! Un chiffre littéralement
ahurissant et une invraisemblance arithmétique qui, en définitive,
montre bien qu’ils ne sont perçus, soit pour certains, sous l’angle
numérique d’épouvantails-alibis soit pour d’autres de masse de manœuvre
lorsqu’ils bénéficient d’une relative visibilité.
Pour peu que la fanfaronnade des services d’Ouyahia aboutisse, ils
seront tous présents à l’appel du mois de juin. Car quels que soient les
sigles derrière lesquels ils défileront, ils ne sont globalement
considérés que comme des boîtes à outils du système.
Qu’ils aient collaboré (au sens péjoratif de ce vocable) lors de la
campagne d’allégeance ou, au contraire, qu’ils aient gardé le strict
minimum de distance politique afin de se prévaloir d’un certain
scrupule, ils partagent in fine la qualité peu gratifiante de dépendre
essentiellement des stratégies du pouvoir. Depuis des années ne s’est-on
pas, en effet, interrogé souvent sur ce qui fait la différence entre ces
chapelles ? Et ne s’est-on pas, également, contenté de quelques infimes
distinguos qui ne se mesurent qu’à la dérisoire marge qui les sépare
dans la disponibilité à la compromission ? Dans l’opinion publique
justement l’idée que l’on se faisait des libertés politiques ne
s’est-elle pas fortement dégradée à la suite du spectacle qu’ils avaient
offert d’eux-mêmes ? Sans absoudre la responsabilité primordiale des
pouvoirs dans la démonétisation de la démocratie des partis. L’on ne
peut, cependant, ne pas imputer à ces derniers la part de leur
immaturité dans le domaine de l’éthique.
Et c’est donc vers la société politique que doivent converger les
interrogations relatives à la capacité de ce pays à déverrouiller le
système en cause. Car dans son ensemble, le maillage partisan du champ
politique avait plutôt contribué à la régénération ponctuelle de
celui-ci, notamment à travers la doctrine perverse du «participationnisme»
aux fausses messes des élections.
Que de temps à autre quelques acteurs du passé avouent l’absurdité de
leurs démarches est assurément significatif de l’ampleur de l’échec. En
deux décennies ou presque, l’invalidité des partis a-t-elle jamais été
un motif suffisant pour amorcer un mouvement de recomposition ? Celui
qui aurait dû déboucher sur des plates-formes de bloc où devaient venir
s’agréger les faisceaux d’appareils pour ne former que deux ou trois
grandes familles politiques à la représentativité suffisante et même
lisible pour l’électeur. C’est d’ailleurs de l’existence de ces
microcosmes partisans que profite justement le pouvoir pour amplifier
ridiculement l’éventail de sa consultation. 52 partis dont l’activité,
pour la plupart d’entre eux, n’est que formelle. Etonnamment, la lente
agonie des courants politiques qui ne surent à aucun moment dépasser la
culture clanique ou la vanité de pseudo-leaderships, devra
nécessairement laisser un espace à de nouveaux modes d’organisations
dans la société. La crise nationale dont la gravité ira en s’amplifiant
ne pourra pas se passer d’un contre-pouvoir dont les formes restent à
inventer.
Car avec la disparition de la médiation traditionnelle des partis
politiques, le système, adossé au régime qui lui donne une légitimité
apparente, se verrait alors dépouillé du vis-à-vis docile lui servant de
pompier. Le saut dans l’inconnu que de nombreuses personnalités
s’efforcent d’exorciser en appelant à une «transition pacifique» n’est
qu’un vœu pieux. Presque une prière de sage que le pouvoir feint de
n’entendre que d’une seule oreille. Comme d’ailleurs est en train de
s’échafauder ce faux chantier de la révision constitutionnelle pour
lequel il a déjà annoncé qu’il serait l’architecte exclusif, son
obstination risque à terme de donner raison à l’émergence de terribles
poudrières.
De celles dont on pourra expliquer pourquoi elles auront éclaté mais
dont on ne saura pas à l’avance qui en tirera bénéfice. Dire par
conséquent que le brain-trust du président de la République joue avec le
feu est, à peine, un euphémisme.
B. H. Mise au point
Inexactitudes à propos du «limogeage» de LacherafA la
suite de la publication de la «Lettre de province» de samedi dernier,
consacrée au système éducatif, le passage citant le limogeage du
ministre Lacheraf par Boumediène dont l’auteur affirmait qu’il aurait
«cédé aux doctrinaires du parti unique qu’étaient les Cheriet et
consorts», le chroniqueur a été destinataire de démentis quant à
l’exactitude de cette assertion. Monsieur Lahcène Moussaoui, ancien haut
fonctionnaire de la présidence à l’époque en question (1977-1978), nous
a courtoisement rappelé la chronologie des faits tels qu’ils se sont
enchaînés et au cours desquels Boumediène n’a jamais mis fin à la
fonction du ministre Lacheraf. Celui-ci aurait effectivement émis le
désir de démissionner face à l’acharnement de la critique mais à aucun
moment le chef de l’Etat n’avait souhaité le libérer. Bien au contraire,
il l’encouragera à résister et le confortera dans sa fonction. Cela est
d’autant plus vérifiable et exact que Lacheraf demeurera à son poste
bien après le décès du Président (décembre 1978). Son remplacement à la
tête du ministère de l’Education nationale n’ayant eu lieu que lors de
la formation du premier gouvernement de Chadli, à la mi-janvier 1979.
Dont acte.
|