Soirmagazine : ATTITUDES
J-7
Par Naïma Yachir
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Il gare sa voiture à proximité de son immeuble, ouvre son coffre, et
entame le déchargement de sa marchandise. Il lui faut un sacré temps et
de bons biceps pour vider la malle.
Il commence par les 5 bidons de 5 litres d’huile, suivront les dix
paquets de sucre, les sacs de 10 kilos de farine, ceux de semoule, les
packs de jus de fruits, de lait. Il est en nage. Il fait une pause,
éponge son front et reprend le déballage. Il plonge la tête dans sa
grosse caisse et vérifie les produits qu’il doit encore transporter.
C’est au tour du bidon de miel. Une mauvaise manœuvre, et il se
retrouver par terre. Il se relève, et le ramasse en rouspétant. Les
articles s’amoncellent sur le trottoir. Les voisins, pas discrets, les
inspectent avec des yeux ronds ; l’un d’eux lâchera : «Ma parole, on
dirait qu’il vient de dévaliser une supérette !»
Lui, les yeux rouges de colère, les fustige du regard. Eux, sourire en
coin, se permettent même une plaisanterie :
- Si t’as besoin d’aide, on est là !
- Non merci, répond-il en grinçant les dents.
Il continue son étalage. Il aura toutes les peines du monde à extirper
la viande : une bonne moitié de mouton enfouie sous la montagne de
commissions Ses efforts ne seront pas vains puisqu’il réussit son
exploit. Il faut à présent disposer tout ça dans la cage d’escalier. Des
va-et-vient incessants s’en suivirent alors. Il n’en peut plus. Il reste
encore des cartons, qu’il n’a pas encore enlevés : les boîtes de tomate
en conserve, le thon, le beurre. Il ferme la porte de son coffre, prend
son téléphone, et appelle à l’aide. Son fils lui répond : «Désolé, je ne
suis pas à la maison.»
Il raccroche, excédé. Il se résigne à accomplir l’ultime étape seul,
celle de tout disposer dans l’ascenseur qu’il réquisitionnera. Les
voisins devront prendre leur mal en patience. Lui, confus et fou de rage
à la fois, se confondra en excuses. Il arrive à bon port, prend le temps
qu’il faudra pour vider le monte-charge, pendant que ceux qui attendent
pour qu’on leur renvoie l’ascenseur grommellent : «Mais quelle folie, il
a peur de mourir de faim pendant le mois sacré, on dirait qu’il a vidé
un supermarché.»
Lui, soulagé de n’avoir pas failli à sa mission, rassuré que sa famille
ne manquera de rien le jour J, se réjouissant qu’il s’y est pris à
temps, s’affale sur le canapé, pendant que son épouse procède à
l’inventaire. Tout à coup, elle pousse un cri qui le fera sursauter.
En une fraction de seconde il est dans la cuisine au garde-à-vous. «Tu
as oublié les feuilles de briks, tu verras, le premier jour de Ramadhan,
elles seront prises d’assaut et coûteront le double.»
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