Chronique du jour : Lettre de province
De quoi juin est-il d’abord le synonyme ?
Par Boubakeur Hamidechi
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La
sublime armada mouillant dans les eaux du Brésil ne serait-elle
finalement qu’une cohorte de cabotiers inaptes au long cours ? Touchée
d’entrée de jeu, lors d’une première parade en demi-teinte, l’on peut
craindre, en effet, qu’elle ne finisse par couler lorsqu’elle se
mesurera aux Coréens et aux Russes. Mais peut-être ne faut-il pas
toujours croire aux vaticinations des Cassandre en papier imprimé. Ces
journalistes prophétisant la catastrophe quand ils seraient mieux
inspirés d’entretenir le moindre petit feu d’optimisme pour ne pas
désespérer le peuple des stades.
En attendant que la double bataille ait lieu, là-bas dans les rivages
américains, contentons-nous pour notre part de revenir à nos jours
ordinaires. Ceux qui parlent des calendes de ce mois de juin depuis
longtemps synonyme de commémorations. Certes, les temples du sport
constituent d’excellents exutoires pour la communion, cependant il leur
manque la dimension du souvenir. Les seuls capables de ressourcer
ponctuellement la communauté nationale ne sont-ils pas, avant tout, nos
cimetières ? Lieux géométriques où, dans l’enfouissement définitif, se
trouvent les grands témoins de notre passé et notamment ceux qui, parmi
eux, nous interpellent ces jours-ci à propos d’une certaine amnésie
érigée en vertu patriotique. C’est qu’en cette fin de mois de juin deux
gisants nous donnent rendez-vous. Boudiaf le 29e jour et Maâtoub Lounès
quatre jours auparavant. En effet, à cause du compagnonnage pesant de la
mort nous avions appris à ne plus tenir compte de la sanctification des
martyrs jusqu’à escamoter les repères de leurs commémorations. De plus
en plus discrètes, celles-ci ne réunissent plus que quelques fidèles qui
se rendent à El Alia et à Taourirt -Moussa. L’homme politique et le
troubadour révolté sont désormais confinés dans la confidentialité d’une
éternité propice à l’indifférence et à l’oubli. Terrible signe des temps
pour ce pays dont les dirigeants ont perdu le sens à donner à sa
grandeur afin de n’avoir pas à célébrer l’un de ses pères fondateurs.
L’homme du 1er Novembre 54, inhumé dans le très officiel carré des
héros, là où paraît-il l’immortalité d’apparence a pris ses quartiers,
est de nos jours passé à la trappe (sans jeu de mot déplacé) des
références tout comme il fut effacé des livres d’histoire de son vivant.
L’ostracisme qui entoure son souvenir ne s’explique en vérité que par le
fait qu’il demeure le contre-modèle aux turpitudes de nos dirigeants
actuels. Leader de haute probité morale ne lui a-t-il pas suffi d’à
peine 6 mois de pouvoir pour ré-enchanter une Algérie qui doutait ?
Moins compassé dans sa communication, n’avait-il pas fait sienne, par
exemple, la langue vivante du petit peuple même lorsqu’il avait pour
auditoire les élites autoproclamées formatées par le carriérisme
politique ? En 150 jours de présence à la direction de l’Etat,
n’était-il pas parvenu également à réapprendre aux Algériens les
rudiments oubliés de la grandeur de leur nation et de la rectitude de la
puissance publique ? Tout le contraire qu’inspire l’actuel pouvoir ! La
sincérité de ce Boudiaf dont la conscience morale était au-dessus de
tout soupçon contribua, en peu de temps, à gommer le pessimisme ambiant
mais aussi à engager une «croisade sans croix» contre l’islamisme armé.
Dans une société déchirée et blessée, l’Algérie lui doit notamment ce
réarmement moral que justement un certain Zeroual, qui lui avait
succédé, a mis en application sur le terrain de la lutte.
C’est cet élan, dont la pédagogie du personnage était le moteur, qui fut
mortellement stoppé le 29 juin 1992. Même si le temps politique n’est
pas le même que celui de l’Histoire, dont certaines pages se sont déjà
écrites, pourquoi le pouvoir s’interdit-il d’en faire référence, voire
même de se revendiquer d’une filiation aussi exemplaire ? C’est que ce
déni de mémoire à l’encontre de Boudiaf est perçu par le pouvoir comme
une démarche objectivement justifiée, car, selon lui, il contredit
fondamentalement tout ses choix qualifiés de réalistes, notamment sur la
question de la «réconciliation». En clair tout ce qui s’est accompli
sous la férule de Bouteflika ne le fut globalement que parce que l’on
avait estimé que les crédos de Boudiaf seraient tout à fait erronés et
qu’il souffrait d’un déficit de pragmatisme qu’il ne compensait,
d’ailleurs, que par des illuminations morales ! C.Q.F.D.
Comme quoi, le bouteflikisme, tel qu’il se déploie depuis 15 ans, n’est
en fait qu’une entreprise de «déboulonnage» des statuts des commandeurs
qui l’ont précédé. Après Boumediène, tombé dans l’oubli au fil de ses
mandats, il est significatif que depuis 1999, le Président n’a jamais
fait allusion à Boudiaf. C’est tout dire…
B. H.
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