Corruptions : Le secteur de l’éducation gangrené par la corruption
Faut-il encore longtemps laisser faire ?
Le mois des examens s’achève, les corrections sont en
cours et les résultats bientôt publiés. Quant à l’année scolaire, elle a
été écourtée depuis plusieurs semaines déjà, comme d’habitude
malheureusement, très mauvaise habitude. Si pour beaucoup l’école
algérienne est sinistrée, la corruption y a envahi les lieux,
compromettant dangereusement toute perspective de réforme.
L’Unesco — agence des Nations unies pour l’éducation, la science et la
culture — travaille sur les questions de lutte contre la corruption dans
le secteur de l’éducation depuis de longues années. Mais le gouvernement
algérien — et ce n’est pas une surprise — a toujours fait la sourde
oreille à tout appel à la coopération émanant de l’Unesco.
Ecoles fantômes, faux diplômes, manuels manquants : l'Unesco a inauguré
mardi 17 juin 2014 un portail internet donnant des outils et des
stratégies pour lutter contre la corruption en matière d'éducation.
La corruption, «souvent difficile à détecter et à mesurer», «empêche les
enfants de bénéficier d'une éducation de qualité», souligne le
communiqué. Elle peut prendre «la forme d'écoles fantômes et de faux
diplômes, de manuels manquants, de fournitures scolaires dérobées,
d'enseignants absents ou d'une mauvaise attribution des bourses
scolaires». Sans oublier la fraude aux examens, un «sport national en
Algérie». Selon des enquêtes de partenaires de l'Institut international
de planification de l'éducation (IIPE-Unesco), «les salaires des
enseignants absents ou fantômes peuvent représenter 15-20% de la masse
salariale dans certains pays» ou «la moitié des fonds alloués pour
améliorer les bâtiments scolaires, et l'équipement des classes, pour
acheter des manuels scolaires, etc.».
Un portail Internet de l’Unesco pour agir
Le portail Etico, accessible sur <http://etico.iiep.unesco.org/> donnera
des outils et des stratégies de lutte contre la corruption et «mettra en
évidence les meilleures pratiques dans les pays où les interventions
contre la corruption dans l'éducation ont été couronnées de succès».
Un ouvrage publié simultanément par l'IIPE décrit «les meilleures façons
de garantir que des bourses ou des repas scolaires gratuits atteignent
effectivement les enfants issus des milieux pauvres et les familles qui
en ont le plus besoin».
Parmi les dispositifs utilisés contre la corruption, on retrouve des
comités locaux chargés de la transparence, des audits sociaux ou des
lanceurs d'alerte. La corruption touche tous les domaines de la
planification et de la gestion de l’éducation — financement des écoles,
recrutement, promotion et nomination des enseignants, construction des
bâtiments scolaires, achat et distribution des équipements et des
manuels scolaires, accès à l’université, etc.
Approche sectorielle de la corruption
L’IIPE a établi une typologie des risques de corruption dans ces
différents domaines (voir tableau). Le tableau ci-dessous illustre bien
la diversité des pratiques corrompues dans chacun des domaines relevant
de la planification et de la gestion de l’éducation, comme la
malversation, le non-respect des critères et le favoritisme. Aucun
domaine ne semble échapper à la manipulation des informations et des
données statistiques.
Pour réduire les risques de corruption, il faut s’intéresser à
l’intégration de la lutte contre la corruption dans la planification de
l’éducation, en effectuant un examen approfondi des analyses du risque,
en définissant des normes et des règles précises, en mettant en place
des procédures transparentes, en renforçant les capacités de gestion, en
assurant un meilleur accès à l’information, etc. C’est pourquoi, dans le
cadre de son programme sur «Éthique et corruption dans l’éducation», l’IIPE
a commandé plusieurs études afin de recenser les expériences de pays qui
sont parvenus à améliorer la transparence et la redevabilité dans
certains domaines relevant de la planification et de la gestion de
l’éducation.
Parmi les thèmes couverts, les formules de financement des écoles, la
fraude académique ou les effets contraires des cours privés (pour en
savoir plus sur les principales conclusions de ces études, consulter la
page publications d’Etico). Plus récemment, l’IIPE a lancé des travaux
sur les codes de conduite des enseignants et la transparence dans le
ciblage et la gestion des incitations pro-pauvres.
L’Algérie devrait s’inspirer de l’expérience de l’Unesco : la société
civile, les syndicats professionnels, les associations de parents
d’élèves et les médias doivent tous ensemble faire pression sur les
pouvoirs publics pour commencer à initier des actions fermes et résolues
pour faire reculer la corruption dans le secteur de l’éducation.
Il y va de l’avenir de l’école. Un pays sans école intègre est un pays
qui se meurt.
Djilali Hadjadj
A lire absolument
«ecoles corrompues, universités corrompues : que faire ?»
Ce travail fondamental est un appel à l’action. Une corruption aussi
répandue coûte certes des milliards de dollars à nos sociétés, mais
surtout, ruine insidieusement tous les efforts consentis pour
concrétiser cet impératif vital qu’est l’éducation pour tous. Elle
interdit aux parents les plus démunis d’envoyer leurs enfants à l’école,
elle prive les écoles et les élèves de leurs équipements, elle abaisse
les normes pédagogiques et, partant, les normes éducatives et compromet
l’avenir de notre jeunesse. Nous avons le devoir de la freiner. Appels
d’offres truqués, malversations, frais d’inscription illégaux, fraude
académique...
Ce rapport de l’Unesco met en évidence l’impact délétère des pratiques
corrompues pour les systèmes d’éducation dans le monde, et la facture,
exorbitante, pour les États. «Écoles corrompues, universités corrompues
: que faire ?» est le fruit d’une recherche de plusieurs années sur
l’éthique et la corruption réalisée par l’Institut international de
planification de l’éducation (IIPE) de l’Unesco.
Les auteurs évaluent la nature et l’étendue du problème, mesurent son
coût pour la société et avancent des solutions pour y remédier.
Plusieurs études de cas menées un peu partout dans le monde révèlent
l’extrême variété des pratiques corrompues, que les pays soient riches
ou pauvres. Le rapport propose également plusieurs recommandations sur
la manière d’aborder le problème et revient sur des exemples qui
prouvent l’efficacité de mesures relativement simples pour éradiquer
quasiment totalement ces pratiques.
Télécharger le rapport :
http://etico.iiep.unesco.org/fileadmin/user_upload/ETICO/Publications/PDF/150259f.pdf
Outils de diagnostic
Les décideurs peuvent mobiliser différents outils pour mesurer les
pratiques corrompues au sein du secteur de l’éducation, en particulier :
Audits. L’audit est un moyen d’identifier de manière objective les
décalages entre la situation anticipée et la situation réelle dans un
domaine donné. Il peut aussi servir à certifier la validité des
informations fournies dans les différents rapports sur les comptes
publics. Un audit peut être effectué en interne ou par une équipe
extérieure.
Enquêtes de suivi des dépenses publiques. Les ESDP étudient la
circulation de l’argent public et permettent de voir si les ressources
parviennent bien au destinataire visé ou s’il y a une déperdition en
chemin. Leur champ d’application peut varier.
Enquêtes quantitatives de prestation de services.
Les EQPS — ou enquêtes à objectifs multiples — servent à collecter des
données quantitatives sur l’efficience des dépenses publiques et les
différents aspects des services impliquant un contact avec le public,
comme les écoles dans le secteur de l’éducation.
Cartes participatives. Les cartes participatives sont un instrument de
recueil d’informations sur la perception qu’ont les usagers de la
qualité et de l’efficacité d’un service public. Elles peuvent à
l’occasion contribuer à la mobilisation des communautés locales dans le
cadre d’une approche participative.
Enseignements. L’expérience prouve l’extrême utilité des audits, des
ESDP, des EQPS ou des cartes participatives pour améliorer la
redevabilité dans le secteur, dans la mesure où ils fournissent aux
citoyens les informations nécessaires pour réagir à des cas de
corruption avérée. Mais leur efficacité dépend de plusieurs facteurs :
- l’appropriation du processus d’enquête et de ses conclusions par les
pouvoirs publics ;
- la diffusion des conclusions de l’enquête, qui sera d’autant plus
large que les médias les relaieront ;
- l’intégration de ces nouveaux outils dans les méthodes classiques de
diagnostic sectoriel.
LSC
Typologies des risques de corruption dans l'éducation
Domaines de planification/gestion
Financement et allocation de subventions spécifiques
Construction, entretien et réparation des équipements scolaires
Gestion et comportement des enseignants
Examens et diplômes
Accès aux universités
Accréditation des établissements
Systèmes d’information
Exemples de risques de corruption
Déperdition des fonds
Collecte de frais illégaux
Fraude dans les marchés publics
Inflation des coûts et des activités
Enseignants fantômes
Fraudes lors de la nomination et des affectations des enseignants
Cours privés
Fraude lors des examens
Usines à diplômes et faux certificats
Fraude dans le processus d’accréditation
Manipulation des données
Production et publication irrégulières d’informations
Source : adapté de Hallak and Poisson, 2009
|