Chronique du jour : Kiosque arabe
Questions ne nécessitant pas des réponses
Par Ahmed Halli
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Revoilà
le Ramadhan, avec son cortège de surenchères en tous genres, comme s'il
s'agissait de chacun de mettre à l'épreuve, non pas ses propres
convictions, mais celles des autres. Passons sur les commandements
irrépressibles des tubes digestifs, qui nous livrent en pâture à tous
les marchands. Les plus résolus, les plus acharnés à réduire nos ultimes
défenses restent encore ceux qui font commerce de la religion. Ceux-là
semblent ne jamais devoir se renouveler, puisqu'il y a très longtemps
qu'ils ont proscrit des mots comme le renouvellement ou l'innovation.
Tout ceci, alors que ce Ramadhan 2014 promet déjà d'être plus violent et
encore plus sanglant qu'à l'accoutumée, dans la plupart des régions du
monde dit musulman. Et les déclarations, ainsi que les vœux pieux,
émanant de toutes les capitales ne font que renforcer le pessimisme
ambiant et susciter des inquiétudes nouvelles, au moment où seuls les
ballons semblent tourner rond.
Et encore, la balle ronde ne roule pas nécessairement dans le sens
désiré par les supporters et les dirigeants, qui partagent rarement les
mêmes objectifs ou les mêmes ambitions. On a vu là aussi des choses
surprenantes, dans une ambiance générale propice à l'amitié entre les
peuples et même à l'amour. Quelle belle réponse aux ayatollahs de
Téhéran que ce couple d'Iraniens s'embrassant dans les tribunes du stade
! Quelle était admirable, la joie sans retenue de l'entraîneur national,
Halilhodzic, qui n'est pas mon cousin, et qui a adressé à ses
détracteurs un vrai pied-de-nez, pour ne pas dire autre chose, en
l'occurrence avec un bras plâtré.
Au surplus, je m'inquiète moins pour l'avenir de Vahid, que pour celui
de ses adorateurs nouveaux qui le brûlaient la veille au lance-flamme.
J'imagine déjà leur mine déconfite si par un miracle du Bosnien,
l'Algérie battait l'Allemagne ce lundi, et rééditait l'exploit de 1982
au grand dam de ceux qui devraient alors le nommer entraîneur à vie.
Du coup, c'est le Ramadhan 2014 qui connaîtrait des prolongations
inattendues, avec des tirs au but d'une précision redoutable, voire
fatale. En attendant, tous les yeux du monde arabe sont tournés vers
cette Algérie, enfin mieux considérée, une fois n'est pas coutume. Il
est vrai que c'est un peu grâce à l'équipe d'Halilhodzic et à la Coupe
du monde, que les Arabes ont un dérivatif à leurs inquiétudes et à leur
morosité.
Même les Égyptiens qui affirment qu'ils nous aiment bien en dehors des
stades et de la littérature, seraient avec nous, paraît-il, et leur
nouveau chef impérial serait venu en personne le dire à notre Président.
J'ajouterais, toutefois, tous les Égyptiens, sauf un, à savoir le chef
de file des fondamentalistes, Yasser Borhami, a interdit aux Égyptiens
de regarder les matchs de la Coupe du monde. Sur son site «Ana-al-salafi»
(Moi, le fondamentaliste) a décrété que le fait de regarder les matchs
empêchait le croyant de consacrer tout son temps à ses devoirs
religieux. Sans compter, a-t-il, ajouté, qu'en regardant la Coupe du
monde, le musulman pourrait être amené à aimer les joueurs des pays
étrangers et impies, ce qui n'est pas admissible religieusement parlant.
Devant le succès du Mondial brésilien et le tollé populaire soulevé par
sa fatwa, il a dû reculer et préciser qu'il ne s'agissait pas d'une
interdiction absolue. Cependant, Borhami est revenu à la charge, ces
jours-ci, en emboîtant le pas aux habituels cheikhs saoudiens qui
fulminent, à longueur d'année et à hauteur de minarets, contre les
«diableries» que sont les feuilletons arabes. Dans une fatwa en direct
sur la chaîne privée égyptienne Al Hayat, Yasser Borhami a enjoint à ses
compatriotes de cesser de regarder «ces feuilletons que le Prophète
lui-même a interdits, parce qu'ils affaiblissent les cœurs». Borhami les
a appelés «à sauver leur âme de la désobéissance à Dieu, et à suivre en
revanche les programmes islamiques» des chaînes satellitaires
spécialisées dans les prêches intégristes. Le cheikh Borhami, qui semble
affectionner les fatwas à polémique, a déjà fait parler de lui cette
année, avec une fatwa qui pourrait s'intituler : «courage, fuyons !»
Dans cette fatwa, le cheikh autorisait un mari à prendre la fuite pour
sauver sa vie au cas où sa femme se ferait attaquer et violer par des
malfaiteurs.
Au chapitre des fatwas encore, il y en a une qui est de saison,
pourrait-on dire et qui est de loin la plus sanglante, celle qui pousse
de jeunes égarés à se faire exploser, parfois pour rien. Sans doute
inspiré par le dérisoire attentat kamikaze de la semaine dernière à
Beyrouth, l'écrivain palestinien Kamel Eliazidji interpelle ces
candidats à une mort sans suite. L'article publié par le magazine
électronique Shaffaf leur pose trois questions :
1- C'est vrai, que la vie au paradis, ou sur un quelconque endroit de la
terre, est plus attrayante que la vie en pays arabes, mais pourquoi donc
être si pressés ? Le monde arabe vit actuellement une situation
cruciale, susceptible de déboucher sur des bouleversements historiques.
Pourquoi ne voulez-vous pas connaître la fin de l'histoire ?
2- Ne pensez-vous pas que du simple point de vue militaire, votre
suicide lors d'une seule opération, réussie ou pas, est un fiasco ?
Est-ce qu'il ne serait pas plus efficace et plus utile, de vous utiliser
pour des opérations militaires qui ne se termineraient pas
nécessairement par votre suicide? Est-ce que vous n'avez pas
l'impression d'être un simple objet que l'on jette, après usage tel un
préservatif masculin?
3- Ne croyez-vous pas que votre vie personnelle est un échec, c'est
pourquoi vous l'abandonnez sans regret, que la célébrité que vous en
tirez est fugace, et que votre nom sera très vite oublié, y compris par
le policier qui a enquêté sur vous ?
Je serais tenté de répondre à notre ami palestinien que si ces gens se
font exploser, c'est justement pou ne pas savoir, et encore plus pour ne
pas répondre à ces questions, qu'ils ne liront certainement pas, comme
l'écrivain le pressent d'ailleurs.
A. H.
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