Chronique du jour : CE MONDE QUI BOUGE
Irak, l’EIIL et la création d’un califat
Par Hassane Zerrouky
Ce
que l’Aqmi et ses alliés du Mujao et Ansar Dine n’ont pas réussi à faire
dans le Nord-Mali, à savoir établir un califat, l’EIIL (l’Etat islamique
en Irak et au Levant) est-il sur le point de le faire sur un territoire
à cheval sur l’Irak et la Syrie ? C’est du moins ce que donne à voir la
réalité du terrain depuis le 9 juin, début de l’offensive de l’EIIL sur
l’Irak. Après avoir pris le contrôle de Mossoul, deuxième ville
irakienne, Falouja, Tikrit, une grande partie de la province de Ninive
(nord), une partie de la région de Diyala et la région ouest de Kirkouk,
l’EIIL, qui menace désormais les régions périphériques de la capitale
irakienne, a ainsi franchi le pas en proclamant dimanche dernier,
premier jour du Ramadhan, «l'établissement du califat islamique» allant
d’Alep en Syrie à Diyala en Irak. Les mots Irak et Levant ont été
supprimés du sigle EIIL qui devient l’Etat islamique (EI).
Dans un enregistrement audio, le porte-parole de l’EIIL, Abou Mohamed
al-Adnani, a annoncé que «la choura (conseil) de l'Etat islamique», qui
a décidé d'annoncer l'établissement du califat islamique», a désigné «le
cheikh djihadiste Abou Bakr al-Baghdadi calife des musulmans». Ce
dernier, qui portera désormais le nom de «calife Ibrahim», «a accepté
cette désignation par allégeance et est devenu ainsi calife des
musulmans partout dans le monde». Ajoutant que le califat est devenu «le
rêve de tout musulman» et «le souhait de tout djihadiste».
Abou Mohamed al-Adnani a également «prévenu les musulmans qu'avec
l'annonce du califat, il est désormais de leur devoir de prêter
allégeance au calife Ibrahim». «Croyants, obéissez à votre calife et
soutenez votre Etat qui devient plus fort de jour en jour grâce à Dieu»,
a-t-il lancé. L’avertissement vaut également pour ces divers groupes
djihadistes restés à l’écart de l’EIIL, et ce, même s’ils poursuivent un
objectif commun. «Vous n'avez aucune excuse religieuse pour ne pas
soutenir cet Etat. Sachez qu'avec l'établissement du califat, vos
groupes ont perdu leur légitimité. Personne ne peut ne pas prêter
allégeance au califat», a expliqué le porte-parole de l’EIIL. Et en
conclusion de ce discours d’une autre époque, ce dernier appel :
«Musulmans ! rejetez la démocratie, la laïcité, le nationalisme et
autres ordures de l'Occident, revenez à votre religion (...) L'Occident
et l'Orient se soumettront à vous, c'est la promesse de Dieu.»
Si ce message attribué à l’EIIL reste à confirmer, il n’en reste pas
moins qu’il a eu un grand écho sur les sites islamistes et qu’il peut
modifier la donne islamiste transnationale. Il faut savoir que le
mouvement dirigé par Al Baghdadi a été désavoué par Ayman Zawahiri le
chef d’Al Qaïda, lequel soutient le Front al-Nosra. Il lui avait même
demandé de se retirer du territoire syrien. En vain. L’EIIL a fait de
Raqa en territoire syrien la capitale non encore officielle du califat
après en avoir chassé son rival le Front al Nosra et soumis les autres
groupes à son autorité. Autre différence avec Al Qaïda, al-Baghdadi et
son groupe sont dans l’action, alors que Zawahiri se cantonne à la
lecture de messages «savants» loin des zones de conflit. Qui plus est,
des Maghrébins, des Européens, des Tchétchènes, des Turcs, des
ressortissants du Caucase et d’Asie centrale combattent sous la bannière
de l’EIIL. Au Maghreb, Ansar Chariâa, pour qui «les victoires» de l’EIIL
«couronnent nos têtes» et l’Aqmi ont salué la naissance de ce califat en
des termes qui s’apparentent à une allégeance à Al-Baghdadi, ce disciple
de Zerkaoui et de Abou Hamza el Muhadjer, vrai fondateur de l’Etat
islamique en Irak avant qu’il ne prenne l’appellation d’EIIL.
S’il est un peu prématuré de dire comment va évoluer la situation dans
les prochaines semaines, il n’en reste pas moins que l’EIIL, bénéficiant
du soutien en sous-main des pétromonarchies du Golfe, peut amener l’Iran
à intervenir en Irak pour maintenir l’équilibre des forces entre
sunnites minoritaires et chiites majoritaires, quitte à user de pression
sur ces derniers afin qu’ils acceptent de partager le pouvoir. C’est
ainsi qu’il faut également comprendre l’appel de l’ayatollah irakien Ali
Sistani, qui a désavoué le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki en
appelant à un gouvernement d’union nationale. Pour conclure : si l’EIIL,
par ses délires politico-religieux, fait le jeu de ceux qui souhaitent
une partition de l’Irak, les Irakiens qui ne veulent pas voir l’Irak
disparaître en tant qu’Etat et nation restent majoritaires.
H. Z.
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