Chronique du jour : Lettre de province
5 Juillet : comment en finir avec les célébrations au rabais
Par Boubakeur Hamidechi
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Juillet 2012 – 5 Juillet 2013. Une année entière, consacrée à la
célébration du demi-siècle de souveraineté, a-t-elle permis un
quelconque changement dans la perception de ce que doivent être les
symboles de la Nation auprès de l’élite politique qui gouverne ?
Rétrospectivement, seuls quelques travaux de séminaristes avaient permis
de mettre en lumière certains aspects ignorés du mouvement national
ayant contribué à l’émancipation alors que le pouvoir d’Etat n’avait pas
estimé, un seul instant, impératif, de procéder aux réhabilitations qui
convenaient, surtout lorsqu’elles sont soulignées par des recherches de
spécialistes. De fait, l’on ne peut que se désoler que ce vaste examen
du passé et présent de ce pays n’ait servi qu’à redorer des dogmes
surfaits. Lesquels avaient d’ailleurs servi à l’échafaudage initial de
l’Etat.
Alors que la thématique centrale consistait à passer par le diagnostic
critique le cheminement des pouvoirs politiques qui se sont succédé de
1962 à 2012, cette célébration connaîtra le travers tant redouté lorsque
les thuriféraires eurent droit aux chapitres. La démagogie ayant, une
fois de plus, supplanté la réflexion et l’analyse il se trouve qu’une
année plus tard, c'est-à-dire de nos jours en 2014, les seuls travaux de
recherche académique sur la période 1962 – 2012 sont évidemment publiés
à l’étranger. C’est dire que l’Algérie de la fiction demeure avec son
lot de légendes humaines et de contre-vérités que distillent les
pouvoirs. D’ailleurs, 30 années auparavant Mostefa Lacheraf ne nous
avait-il pas mis en garde contre la propension à « la sentimentalité
parfois bêlante» qui tourne le dos à la véritable décantation historique
? «Grâce à laquelle, ajoutait-il, il est possible de survivre et de
perdurer». Au fil de sa pensée, il posait justement la question du
rapport des générations postindépendance à l’histoire du pays. Il
proposait, entre autres, d’en finir avec la «démesure pseudo-héroïque et
le recours aux seuls mythes avantageux» qui agacent plus qu’ils
n’édifient la jeunesse et la détourne, une fois pour toutes, de son
passé, que celui-ci soit proche ou lointain. Son constat, établi en
1985, a été, malgré le rendez-vous du demi-siècle, ignoré par les
dirigeants qui, tout en s’accommodant des momifications
historiques,persistent dans le désir de s’en approprier le sens originel
jusqu’à revendiquer le statut d’exécuteurs testamentaires !
Ce qui est advenu de la date du 5 Juillet et sa démonétisation dès la
fin des années 60 illustre bien le caractère pernicieux de la praxis
politique dans l’Algérie indépendante. C’est rappeler également que la
désacralisation des symboles de la nation est d’abord la conséquence de
la légèreté coupable avec laquelle les pouvoirs ont en fait usage. La
version soft de l’incivisme que l’on reproche à «ces Algériens sans
importance collective» jusqu’à l’assimiler à la haine pour leur pays,
n’a-t-il pas pour origine le rabaissement moral des dirigeants d’abord
et ne s’est-il pas propagé à partir de la matrice du pouvoir peu
respectueux des repères fondateurs ? Car enfin ce sont avant tout les
peuples qui sont attachés au culte de la mémoire comme aux souvenirs qui
leur sont légués et dont ils sont sentimentalement les dépositaires.
Qu’elles soient placées sous le signe de la commémoration ou de la
célébration, les dates majeures forment le socle immatériel de
l’identité nationale. Or parmi la cohorte des communautés martyrisées au
cours de leur histoire, celle de l’Algérie est de toutes les autres la
plus attachée à la sienne.
Autant souligner en conséquence qu’elle demeure la moins disposée à
solder ses grandes références au prétexte qu’elles relèvent d’une
souvenance lointaine ! Même si au cours de son temps historique une
nation peut se délester de quelques «vieilles lunes», de moins en moins
éclairantes pour sa marche en avant, elle ne peut cependant amputer les
constantes qui attestent de son existence. C’est précisément le cas du
1er Novembre et son complément le 5 Juillet. Moments indépassables qui
désignent l’accouchement de la Nation et la restauration de l’Etat. Or,
pourquoi la fête de l’Indépendance a-t-elle été vidée de toute
signification et comment a-t-on été amené à gommer le lustre du 1er
Novembre en le réduisant à des garden-parties entre soudards chamarrés
et camarilla politique ? A ce genre de question à double détente, seuls
de véritables élus de la nation doivent exiger des explications dès lors
qu’il y va de la fierté d’un pays lorsqu’il se donne les moyens de
communier en masse.
B. H.
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