Chronique du jour : Lettre de province
14 juillet 1958-14 juillet 2014 :du délit à la révérence
Par Boubakeur Hamidechi
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Il
est admis que le recours à la diversion a toujours été l’arme fatale de
la politique politicienne. Cette fois encore celle-ci est à l’œuvre
alors qu’il ne s’agit que d’une exceptionnelle commémoration qui se veut
un moment de partage au nom de l’histoire commune et rien de plus.
C'est-à-dire un acte de reconnaissance et d’hommages qui n’ont pas le
moindre lien avec un présent pas tout à fait apaisé. Mais, malgré tout,
il en va encore de ce fameux «dépit» historique à l’origine des poussées
de fièvre «mémorielle» qui se manifestent cycliquement à travers la
polémique et la stigmatisation. L’Algérie et la France en sont, par
conséquent, toujours à ce stade où, chacune de son côté, est obligée de
faire face à un bellicisme des mots tout en s’efforçant d’amortir les
effets détestables de ce genre d’orchestrations destinées à brouiller le
sens premier de l’évènement en question. Celui qui se propose de
partager le souvenir d’une guerre centenaire avec celles qui, parmi les
nations, ont payé un tribut en sacrifices. C’était ainsi que plusieurs
milliers d’Algériens ont fini dans ses charniers aux côtés d’autres
milliers de Sénégalais, Indochinois et de Gaulois, évidemment. En
plaçant sa fête nationale sous le signe de la reconnaissance de tous les
sacrifices, la France s’estime en devoir d’y associer les nations qui,
avant même leur accession à la souveraineté, lui ont fourni des
bataillons de chair à canon grâce auxquels elle avait reconquis sa paix.
Autrement dit, c’est au nom d’une dette à honorer que furent associées
aux festivités les nations de l’ex-empire. L’Algérie en sa qualité
d’hôte est parfaitement à l’aise pour y participer sans que sa présence
soit interprétée autrement que comme un hommage d’abord à ses propres
ancêtres morts en terre étrangère pour une cause étrangère. Cela dit que
reste-t-il de ce fatras d’arguments que s’échangent par-dessus les deux
rives les patriotards des deux bords si ce n’est la présence «sacrilège»
d’un drapeau algérien au cœur d’une solennité franco-française ! Vue de
France, l’on dénonce une provocation alors que de ce côté-ci, l’on a
vite assimilé cette participation à une reddition symbolique. Pitoyables
assertions, tant il est vrai que ceux qui évoquent ce drapeau avec tant
de rage feinte ne savent pas que ce n’est pas la première fois qu’il se
déploiera un 14 Juillet et dans les Champs-Elysées. Et pour cause
n’a-t-il pas été l’objet symbolique d’un magnifique épisode de la guerre
de Libération ? Une belle histoire qui eut pour personnages des
adolescents et qui se déroula en 1958.
Retour sur les évènements : avec le mouvement du 13 mai qui permit à de
Gaulle de revenir aux affaires, la France s’était, en ce temps-là, mise
en tête d’embrigader, par le biais des activités de loisirs, la masse
informe des adolescents vivant dans les centres urbains. C’est ainsi que
pour les besoins de la parade du 14 Juillet 1958, les structures des
S.A.S et S.A.U(1) parvinrent à réunir quelque 2 000 jeunes dans le
Constantinois qu’ils encadrèrent lors de la traversée vers la France et
consignèrent dans un centre près de Paris. Le caractère exceptionnel de
l’opération devait amplifier la portée du crédo de «l’Algérie
française». Or ce qui résulta du défilé étonna l’opinion française comme
le décrit le quotidien le Monde daté du 14 juillet 1958. «… Au moment où
le dernier groupe atteint la tribune présidentielle, note ce journal,
trois ou quatre drapeaux vert et blanc des fellagas se détachent sur la
masse blanche et bleu roi des chemisettes et des shorts. Quelques jeunes
musulmans les agitent vers l’estrade officielle en criant “A bas
l’Algérie française” et d’autres slogans inintelligibles. Le service
d’ordre pourtant nombreux qui stationne le long de l’avenue est si
surpris qu’il ne réagit pas. C’est seulement plusieurs dizaines de
mètres après la tribune qu’un général sorti des rangs des personnalités
et deux officiers de parachutistes, bientôt rejoints par des inspecteurs
en civil “ceinturent” les jeunes manifestants. Passés de main en main,
les drapeaux du FLN disparaissent. Mais un des jeunes qui les agitaient
est appréhendé. Deux gardiens de la paix l’emmènent. C’est un enfant :
on lui donnerait quinze ans. Il tremble. Il a l’air surexcité.»
Or cet enfant qui avait peur et affichait un air agité s’appelle Hamoud
Bensebane. Et c’est justement grâce aux travaux de recherche de
l’universitaire Abdelmadjid Merdaci qu’il a été possible de consigner
les souvenirs de cet étonnant acteur. Au fil des détails qu’il donnera à
son interviewer nous apprendrons justement que la logistique de la
fédération de France du FLN était d’une efficacité sans faille
puisqu’elle a été à l’origine de la totalité des scénarios qui avait
permis la réussite d’un coup de pub inédit sans éveiller le soupçon de
l’encadrement militaire du camp Laffite.
La voilà donc résumée l’expédition d’un 14 Juillet français aux couleurs
algériennes. Elle est désormais patinée par le temps au point que
certains doutent que ce haut fait d’armes ait pu être accompli par
quelques adolescents. Pour preuve de ce scepticisme, pas un instant, il
n’est venu à l’idée du ministère des Moudjahidine d’associer à cette
cérémonie ceux qui n’étaient que d’insouciants enfants de la balle vite
acquis à la cause de leur pays. Aujourd’hui septuagénaires fourbus mais
toujours vivants, ils auraient mérité de refaire ce voyage afin d’agiter
une seconde fois l’étendard algérien. Ne fallait-il pas donc inviter ces
héros, jadis en culottes courtes, afin de mieux souligner, pour la
circonstance, la légende d’un certain défilé ?
B. H.
(1) S.A.S : section administrative et sociale. S.A.U : section
administrative urbaine.
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