Actualités : Mouloud Hamrouche à Constantine :
«L’armée ne peut être la base politico-sociale du pouvoir


Poursuivant ses pèlerinages à l’intérieur du pays, Mouloud Hamrouche qui a rarement été aussi acerbe à l’égard du système en place, récolte l’intérêt et l’adhésion auprès de larges franges de la société, notamment des élites qui semblent prêter une ouïe attentive à ses thèses. Jeudi, il était l’hôte de la ville des ponts, à l’initiative du quotidien de Constantine.
«Si les conditions qui ont présidé au mouvement libérateur de l’Algérie ont toujours incité à la fascination et à la prudence, cette prudence est devenue aujourd’hui une inquiétude, voire une peur». Une peur que l‘homme des réformes intervenues au lendemain des évènements d’octobre 1988 impute à l’érosion du consensus national et des risques majeurs qui guettent le pays et la société de par les prémices palpables « d’un effondrement de notre système qui n’arrive plus à se rénover ni à renouveler ses hommes, ses idées ou à régénérer de nouvelles capacités et impulser de nouveaux progrès social, économique et culturel».
Et puisqu’un simple constat suffit, Mouloud Hamrouche qui feint d’ignorer ou préfère ne pas s’attarder sur la question du renouvellement du personnel politique accable celui-ci sans ménagement : «aucune grande idée humaine de liberté, de justice, d’égalité ou de progrès ne préside à ses choix ou guide ses actions. Aucune capacité, potentialité ou avancées nouvelles ne sont venues nous rassurer sur notre avenir et améliorer les rapports sociaux malgré une consommation effrénée de nos richesses du sous-sol». Un régime qui ne peut plus, selon lui, se renouveler ou rebondir car son bilan réel ne le lui permet plus. Un préambule suffisant à l’orateur pour introduire son idée d’un nouveau consensus national négocié avec les composantes de la société, nécessaire plus que jamais. L’affaiblissement de la volonté nationale, la baisse des capacités d’agir, la chute de l’autorité de la loi, l’affaissement de l’éthique et de la solidarité et la désaffection des citoyens vis-à-vis du pouvoir et des partis politiques sont à ses yeux autant de prémices qui font que l’Algérie «à l’instar des pays de la région, de l’espace géopolitique qui est le sien, termine la phase post-libération dans une position de fragilité extrême et fait face à des risques de graves déchéances».
Pour Hamrouche, le gouvernement n’est plus qu’une somme de ministres, la justice est sur la voie de la privatisation et la corruption est intimement liée à l’exercice du pouvoir. Ce sont également autant de dangers qui mettent en péril la cohésion de l’armée et menacent l’existence de l’armée.
Son appel au devoir, notamment à l’adresse des nouvelles générations et des élites de chercher et d’opter pour des solutions réalistes qui garantissent l’édification d’un Etat moderne et l’instauration d’un régime démocratique plaide pour la cohésion et la discipline et le renforcement de l’adhésion de tous les constituants de la société à un nouveau consensus.
Un large passage est consacré par Mouloud Hamrouche au rôle de l’armée dans ce processus, vraisemblablement pour lever les équivoques qu’ont suscité ses récentes sorties. «Elle doit, dit-il, représenter tous les constituants sociaux et toutes les régions et est guidée par sa finalité, à savoir la sécurité de son territoire et de ses intérêts. De ce fait, elle bénéficie d’un lien indéfectible avec la société, toute la société, et transcende clivages et conjoncture. Ces conditions permettront à l’armée nationale et populaire d’assurer sereinement et efficacement sa mission et aux autres institutions d’assumer clairement leurs rôles et fonctions. C’est pour cette raison que j’ai affirmé et que j’affirme encore que l’armée nationale ne peut-être la base politico-sociale de l’exécutif ou du pouvoir d’autant que nos constituants sociaux s’accommodent mal d’un pouvoir souverain sans contre-pouvoir et sans contrôle. De semblables défauts sont à l’origine de l’implosion de l’armée libyenne et de l’armée syrienne. Et c’est à cette condition que notre société se maintiendra sur la voie du progrès, de l’équité et de la solidarité entres toutes ses composantes sociales, appréhendera les enjeux, relèvera les défis d’aujourd’hui et permettra au gouvernement de demeurer crédible, sérieux et fiable».
Revenant sur le thème générique de sa conférence, à savoir l’émergence d’un Etat moderne, il rappellera que celui-ci doit refléter un ordre social général démocratique en s’appuyant sur de pérennes institutions fiscale, douanière, monétaire, diplomatique et consulaire et manifestant sa neutralité vis-à-vis de tous et sa protection pour tous. Car, ajoutera-t-il «faut-il rappeler que ces administration n’agissent que par la loi et dans le cadre de la loi et non pas par des décisions ministérielles ou des directives venant d’en haut. Un Etat moderne est un Etat de droit qui garantit une situation permanente de droit en tout lieu et un exercice effectif des libertés et des lois. Cela assure à la fois des rapports harmonieux dans la société et la pérennité de la loi. Une loi conçue pour protéger les droits des personnes et garantir l’égalité de tous en droit et en devoir et il ne peut y avoir d’abus de pouvoir, de passe-droits et même d’abus de droit».
L’émergence de contre-pouvoirs est quant à elle «une condition sine-qua-non pour la stabilité de l’Etat, la sauvegarde des libertés individuelles et collectives et le maintien de la cohésion pour prévenir des régressions et tentations». Aussi, les garanties d’un Etat moderne démocratique «incitent les citoyens à rester attachés à l’Etat et à être en corrélation étroite avec lui de même qu’elles font émerger des exécutifs efficients quand bien même ces derniers ne représentent pour un temps qu’une majorité électorale qui n’est appuyée que par une base sociopolitique partisane. Un type d’exécutif qui gouverne, régule les conjonctures gère les anticipations de la nation, surmonte les crises et les conflits, résiste mieux aux pressions et n’aura pas uniquement le monopole de la violence légale et la contrainte mais aura aussi la capacité de produire des solutions aux problèmes auxquels sont confrontés les citoyens». Son cri : «ne plus accepter de vivre dans cette crise vieille d’un quart de siècle et qui étouffe toute opportunité d’évolution et interdit tout progrès collectif. Ne plus accepter le coût d’un effondrement qui suivra tôt ou tard, faute d’un nouveau consensus national». Sa note optimiste : «ce n’est pas parce que le monde n’est plus le même que notre pays ne peut pas s’assurer un destin». Il reconnaît néanmoins : «dans notre pays, il y a trop de vains débats à l’égard des vrais enjeux. Le changement désiré, redouté et maudit, la politique étant devenue un jeu de rôle, absence de vision, d’ambition et de projet et enfin, qu’apporteront des amendements de la loi fondamentale à des institutions en retard de 30 ans ? Aussi sont-elles en mesure de peser sur les évènements alors qu’elles apparaissent éloignées de l’existence même des citoyens».
K. G.





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