Actualités : Entretien
NORIA BENGHABRIT AU SOIR D’ALGERIE :
«L’école algérienne a besoin d’un pilotage»
Interview réalisée par Khedidja Baba-Ahmed
Demain et sur deux jours se tient la conférence nationale de l’éducation
nationale. Pourquoi cette grande rencontre ? Quels en sont les enjeux ?
A cette question et à d’autres, notamment à celle relative au type
d’école envisagé, aux valeurs que l’institution scolaire devra
véhiculer, Noria Benghabrit Rémaoun répond au Soir d’Algérie.
La ministre explique son approche, les échéances des vastes chantiers
engagés depuis plusieurs semaines.
Ce travail est celui de tous les acteurs de l’éducation, précise-t-elle.
Si elle refuse de parler d’une école qu’elle a trouvée sinistrée, elle
évoque toutefois «les malaises qui la traversent» et la manière dont
elle envisage de dépasser cette situation.
«Nous ne devons pas oublier que l’école évolue dans un environnement et
un contexte social devenu, malheureusement, difficile avec, la
banalisation des passe- droits, le dénigrement des besogneux, la
dévalorisation de la valeur travail». Un constat lucide d’une chercheuse
qui s’est longtemps penchée sur les maux du secteur.
Aujourd’hui, dit-elle, «nous avons l’ambition de travailler
d’arrache-pied pour mettre l’école algérienne sur l’orbite de la
modernité universelle tout en consolidant son ancrage dans les valeurs
ancestrales portées par notre identité commune : l’algérianité».
Soir d’Algérie : Les examens nationaux de fin d’année (5e, BEM et
baccalauréat) ont pris fin ; les résultats ont été proclamés par l’Onec
que vous avez qualifié de véritable «machine de guerre». Cette guerre
a-t-elle été gagnée, selon vous ? Globalement, comment jugez-vous le
déroulement des examens de cette année ?
Noria Benghabrit Rémaoun : En parlant de «machine de guerre» je
faisais allusion à la très bonne organisation de l’Onec, aux moyens
conséquents dont il dispose et surtout au sérieux de son encadrement.
Oui nous avons gagné une guerre, celle de l’efficacité et du
professionnalisme dans l’accomplissement des missions statutaires de l’Onec.
Nous ne pouvons que nous féliciter du bon déroulement des examens de
cette session de juin 2014, excepté certains cas isolés de fraude ou de
tentative de fraude.
Au-delà des résultats – taux de réussite et d’échec – que nous livre
chaque année le secteur, qu’allez-vous faire de ces statistiques ?
Analyses ? Prise en charge des retombées ? En avez-vous les moyens
techniques et l’esprit recherche et les moyens existent-ils au sein de
votre département ?
Evidemment qu’au-delà des chiffres, il y a des analyses à faire, des
évaluations à affiner. Ceci nous permettra d’avoir à notre disposition
tous les éléments nécessaires à des correctifs, des améliorations. Bien
entendu que les moyens existent, tant matériels qu’humains, il suffit de
les mettre en mouvement de façon cohérente, de les orienter vers des
objectifs réalisables qui tiennent compte d’un principe cardinal, celui
de la primauté du pédagogique. Concernant le volet recherche, la
collaboration et la concertation entre le MEN le MESRS s’avèrent
primordiales. Il est grand temps que l’école s’ouvre au monde
universitaire, à la recherche scientifique et pédagogique. Dans cet
ordre d’idées, nous déployons des efforts pour accélérer le changement
de statut de l’Institut national de recherche en éducation(INRE).
Vous vous apprêtez à recruter pour pourvoir, par concours, 23 000
postes d’enseignants. Est-ce que ce sont des besoins liés aux départs en
retraite ? Des postes nouveaux engendrés par la création
d’infrastructures récentes,ou ce renfort vient-il combler une
insuffisance d’encadrement en enseignants dont souffrirait le secteur ?
En tant que secteur stratégique, l’éducation nationale bénéficie d’une
attention particulière de la part de l’Etat algérien. Il y a exactement
18 000 nouveaux postes créés et 5 000 postes vacants à pourvoir pour
cause de départ à la retraite de leurs titulaires. Ce besoin en
encadrement se justifie aussi par la demande sociale en éducation
induite par la croissance démographique et qui se traduit en
construction d’infrastructures nouvelles.
Nous sommes à la veille de la tenue (les 20 et 21 juillet) des
assises de l’éducation nationale. Quel en est l’enjeu ? Qu’en
attendez-vous ?
Une précision s’impose : nous organisons une conférence nationale et non
des assises. Elle est ouverte aux compétences aussi bien internes qu’
externes au secteur. L’enjeu est grand, à la hauteur des ambitions que
nourrissent les Algériens pour l’éducation de leurs enfants. A l’issue
de ces deux journées, nous prendrons connaissance des recommandations
des pédagogues et des universitaires versés dans le domaine de
l’éducation. Nous les déclinerons en décisions opérationnelles qui
seront prises selon un échéancier réaliste et réalisable. Toutefois,
nous ne devons pas oublier que l’école évolue dans un environnement et
un contexte social devenu, malheureusement, difficile avec la
banalisation des passe-droits, le dénigrement des besogneux, la
dévalorisation de la valeur travail.
Beaucoup d’acteurs ont été conviés à cette rencontre. Qui sont
exactement ces acteurs et partenaires sociaux et vous ont-ils alimenté
de leurs propositions ? Si oui, sur quels aspects essentiels
portent-elles et que ferez-vous de ces propositions ?
Cette rencontre nationale des 20 et 21 juillet relève d’une évaluation
d’étape de la réforme au niveau du cycle obligatoire (primaire et
moyen). Elle s’inscrit dans le sillage d’une large concertation initiée
par le ministère de janvier à juillet 2013. Celle-ci s’est appuyée sur
une participation des acteurs du terrain (enseignants et
administratifs), des partenaires sociaux (représentants des syndicats et
parents d’élèves), des experts universitaires et des retraités du
secteur qui ont avancé pas moins de 400 propositions et travaillé en
ateliers thématiques au nombre de quatre : les programmes d’enseignement
– la formation des formateurs – les actions de soutien à la scolarité et
à l’égalité des chances – la modernisation de la gestion pédagogique et
administrative ; nous envisageons de repenser l’organisation des examens
scolaires devenue trop lourde et stressante.
Il nous faut signaler que ces 400 propositions ont été passées au peigne
fin et traitées en séminaires/synthèse au niveau des wilayas, puis des
régions et enfin au niveau national. Il reste à boucler la phase de
l’évaluation finale.
L’école, avez-vous affirmé, n’est pas sinistrée comme disent
d’aucuns, mais «vit un malaise». Pourriez-vous nous dire en quoi
consiste ce malaise ? Comment comptez-vous le dépasser ?
Le secteur de l’éducation nationale vit un malaise né de l’importance de
ses effectifs et de sa gestion : près de huit millions cinq cents mille
élèves, soit le quart de la population du pays, et environ 600 000
fonctionnaires qui font du MEN le premier pourvoyeur d’emplois en
Algérie. Ce malaise traduit, quelque part, un décalage entre l’offre de
l’institution et les attentes des usagers.
La société algérienne en général et les usagers de l’école en
particulier s’estiment redevables – et à juste titre – d’un enseignement
de qualité, d’une formation appropriée, d’un cadre de vie scolaire
attrayant et stimulant et d’une atmosphère de travail sereine. Sans
oublier de mettre en place un dispositif instituant l’obligation de
résultats pour les cadres du secteur et ce, à partir d’indicateurs de
qualité universellement établis dans le monde de l’éducation (ceux de
l’Unesco).
Nous ne pouvons que respecter ces milliers d’enseignantes et
d’enseignants qui se dévouent au quotidien.
Dépasser ce malaise revient à donner au secteur des outils de gestion
performants, souples et modernes adossés à ces indicateurs de qualités.
Et là nous parlons de gestion tant administrative que pédagogique. Par
ailleurs, la gestion de l’école algérienne a besoin d’un pilotage pour
actionner les trois leviers essentiels que sont la refonte pédagogique,
la professionnalisation via la formation et la bonne gouvernance. Ces
sont là nos priorités.
Même si le secteur vous était familier eu égard à vos
travaux de recherche et enquêtes au Centre national de recherche en
anthropologie sociale et culturelle (Crasc), dans quel état l’avez-vous
trouvé et vous attendiez-vous à la situation que vous rencontrez ?
J’ai pris mes fonctions la veille des examens, préparés de longue date,
par ailleurs. Si je suis révoltée par la limitation du seuil (la «attaba»),
c'est-à-dire du nombre de cours susceptibles de compter pour le
baccalauréat, il n’en demeure pas moins que j’ai été surprise par le
niveau de professionnalité atteint dans le processus préparatoire et de
mise en œuvre initié par l’Onec (Office national des examens et
concours).
La prise de mesure de la complexité et de la diversité des problèmes
vécus par l’institution à travers toutes ses composantes et qui sont
liées aux questions pédagogiques, de management, de formation, de
recrutement a été très rapide. Cette réalité vous incite à plus de
pragmatisme, de réalisme et d’humilité sans que cela nous empêche d’être
ambitieux et exigeant pour l’avenir.
Certaines critiques nombreuses et récurrentes alimentent depuis des
années le débat sur ce secteur, dont la pénétration de son corps
d’enseignants comme dans son management, par des tenants d’une école
fermée, non ouverte sur la modernité, non performante qui prône par ses
programmes et des discours ancestraux en direction des élèves, des
comportements rétrogrades et l’absence d’esprit critique. Partagez-vous
ces critiques ?
L’important est d’agir pour corriger et améliorer les choses. Nous avons
l’ambition de travailler d’arrache-pied pour mettre l’école algérienne
sur l’orbite de la modernité universelle tout en consolidant son ancrage
dans les valeurs ancestrales portées par notre identité commune : l’algérianité.
Pour ce faire, il y a un cadre de référence que nous devons respecter :
c’est celui de la Constitution et de la loi d’orientation de janvier
2008. Pour ce qui est de la formation de l’enfant, il s’avère urgent de
mettre en œuvre cette refonte pédagogique adossée à la recherche
pédagogique et scientifique.
La portée stratégique de cette refonte pédagogique consiste à garantir à
l’enfant algérien un développement harmonieux de sa personnalité et ce,
grâce à la modernisation des programmes et des méthodes d’enseignement.
Le Satef (Syndicat autonome des travailleurs de l’éducation et de la
formation) vous a adressé récemment un courrier rendu public dans lequel
il préconise «une refonte courageuse qui toucherait aux programmes
scolaires». Les chantiers que vous devez engager sont certainement
colossaux. Pédagogie, programmes, formation, faiblesse dans
l’orientation de l’élève, déperdition scolaire, violence à l’égard des
enseignants… Aussi, quelles sont vos priorités aujourd’hui ? Quelles
sont les grandes lignes du projet d’école que vous allez développer et
sur quelles valeurs allez-vous soutenir ce projet ?
Nos priorités seront définies avec précisions à la suite de la rencontre
nationale des 20 et 21 juillet. Je vous renvoie aux trois leviers vitaux
que sont la refonte pédagogique, la professionnalisation via la
formation et la bonne gouvernance.
Par ailleurs, il est grand temps d’installer et de rendre
opérationnelles les instances de soutien à la réforme, à savoir le
Conseil national des programmes (en remplacement de l’actuelle
Commission nationale des programmes) l’Observatoire national de
l’éducation et de la formation et le Conseil national de l’éducation et
de la formation.
Le rendement de l’école algérienne est en souffrance de l’absence de ces
instances de soutien.
D’autres défis nous attendent. Ils relèvent des principes intangibles de
l’égalité des chances , de l’équité et de la justice sociale . Nous
citerons :
- l’éradication des disparités intra et interwilayales,
- l’amélioration des taux de scolarisation (qui est actuellement
d’environ 98%),
- la suppression progressive de la double vacation,
- le développement du préscolaire, notamment dans les zones
périurbaines, et dans les régions montagneuses, les Hauts-Plateaux et du
Sud,
- la prise en charge des enfants à besoins spécifiques (autistes et
trisomiques).
Parler des valeurs, c’est aborder la question de l’éthique qui doit
régir toutes les actions de notre secteur et animer le comportement de
tout un chacun, en classe, dans l’établissement et dans les rouages de
la hiérarchie. J’en citerai quelques-unes : la transparence, le
dialogue, l’équité, l’effort, l’exemplarité. Les normes éthiques doivent
servir de référence et de repères à «l’agir professionnel».
Le secteur privé a pris racine dans le système d’enseignement
algérien. Des écoles sont souvent créées, en détournant la loi, par des
enseignants prête-noms et gérés ensuite par des personnes qui n’ont rien
à voir avec l’enseignement. Quelle est votre approche de cette situation
?
D’abord une précision : les 220 établissements scolaires privés dont
l’effectif total est seulement de 52 000 élèves ont été officialisés par
des textes réglementaires. Nous citerons le décret 05/432 du 8 février
2005 fixant les conditions de leur création. Nous devons les encourager
et les aider. Toutefois, nul n’est censé ignorer la loi. Il appartient
donc aux promoteurs de ces établissements privés de s’y conformer faute
de quoi, ils risquent des sanctions qui peuvent aller jusqu’à la
fermeture. Ce dossier est à l’étude et un nouveau texte est en voie de
finalisation. Il permettra de dépasser les dysfonctionnements constatés
jusque-là.
Moins de deux mois nous séparent de la rentrée scolaire 2014-2015. A
quelle étape êtes-vous dans sa préparation ? Pensez-vous que les
conditions vont être réunies pour une rentrée sans soucis majeurs ?
A travers ses directions centrales et ses directions de wilaya, le
ministère a capitalisé une longue expérience en la matière. Mais des
impondérables peuvent survenir, tel que le déficit en construction
d’infrastructures scolaires qui relève des collectivités locales ou les
relogements massifs de familles dans les centres urbains et qui sont
synonymes de places pédagogiques à offrir. C’est effectivement un souci.
Cette rentrée scolaire 2014-2015, le ministère programme des sessions de
formation/mise à niveau pour tous les acteurs du système. Ainsi les
nouveaux enseignants bénéficieront d’un stage de formation de deux
semaines en août et non plus en septembre comme par le passé.
Cette formation, dite de préparation, les habilitera à s’adapter à leur
première prise de fonction, le jour de la rentrée des élèves.
En direction des cadres, directeurs de l’éducation et chefs
d’établissement, il sera dispensé une formation spécifique dans des
ateliers d’identification de problèmes.
Et toujours avant la rentrée, nous organiserons des conférences
régionales pour finaliser les derniers détails de cette double rentrée,
administrative et pédagogique.
K. B.-A.
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