Actualités : MÉTÉO, PANNE, DÉFAILLANCE HUMAINE ?
Aucune piste n’est à négliger
Par Maâmar Farah
Il ressort des nombreuses – et parfois contradictoires — analyses des
spécialistes, qu’ils soient pilotes chevronnés ou experts en sécurité
aérienne, que la météorologie ne peut pas être tenue pour responsable du
crash de l’avion d’Air Algérie, dans la mesure où tous les aéronefs sont
équipés pour s’en sortir à bon compte lorsqu’ils sont au milieu des
tempêtes, orages violents et autres manifestations intempestives du
climat. Ils préfèrent privilégier la piste de l’attentat, du tir de
missile, en tout cas d’un acte malveillant ou encore d’un sérieux
incident mécanique.
La foudre peut-elle encore «crasher» un avion ?
Pourtant, à relire la chronologie des accidents d’avion de ces dernières
décennies, nombreux sont les crashs liés directement au climat. Ainsi,
le 8 décembre 1963, un avion de la Pan Am (vol 214) reliant Baltimore et
Philadelphie s’écrase au sol après été foudroyé. Il y eut près d’une
centaine de morts. La cause retenue fut le foudroiement de l’appareil
qui avait créé un grave dysfonctionnement des instruments de bord. Il
est vrai que le développement de l’aéronautique et les progrès
technologiques introduits dans les avions rendent moins dangereux les
impacts de la foudre.
Selon un consultant européen, «la foudre, sur un avion moderne, ne peut
pas causer de gros dommages. Elle court sur le fuselage, peut endommager
un ou deux petits trucs sans importance, mais pas plus…»
On peut également citer l’impact de la grêle avec, comme exemple, le
«crash» du vol 41 de la Southern Airways, le 4 avril 1977. Mais, comme
pour les impacts de foudre, il faudrait préciser que les aéronefs
modernes sont équipés pour faire face à toutes les situations
climatiques techniquement « supportables » parce qu’il reste le cas de
ces phénomènes extrêmes qui obligent souvent les avions à rester cloués
au sol.
Dans le cas qui nous intéresse, les cartes météos indiquent des
manifestations orageuses, des nuages et probablement des vents de sable.
Chacun de ces phénomènes peut causer quelques ennuis mais pas au point
de «crasher» un avion en bon état piloté par des aviateurs chevronnés.
Quel est cet avion que le pilote voulait «éviter» ?
Le point nodal de l’enquête qui s’ouvre pour déterminer les causes de
cet accident sera cet ultime contact avec le commandant de bord qui
informait la tour de contrôle de Gao qu’il allait changer de cap pour
éviter un orage, avec cette étonnante précision : une telle démarche
était aussi motivée par la volonté d’éviter une collision avec un autre
avion circulant sur le même axe. Il est quand même curieux qu’aucune
source n’est revenue sur cet «autre» avion et qu’une telle précision
n’ait fait l’objet d’aucun commentaire. Pourtant, le pilote savait de
quoi il parlait. Pourquoi alors la tour de contrôle ou les autres
services de surveillance aérienne n’ont pas cherché à en savoir plus sur
cet aéronef. Son identité ? Sa trajectoire ?
Puisque toutes les hypothèses restent ouvertes, pourquoi cette
obstination à privilégier la piste climatique ou – à un moindre degré —
le tir de missile. Pour la météo, on a vu que les progrès rendent les
avions plus sûrs dans les perturbations climatiques. Pour le missile,
les spécialistes indiquent qu’il est improbable qu’un tel scénario ait
pu se dérouler dans cette bande qui est relativement éloignée des zones
contrôlées par les djihadistes, d’autant plus que l’altitude de l’avion
d’Air Algérie le rendait inaccessible à des tirs de missiles de petite
portée, du genre que l’on lance à partir d’une épaule. Et puis, comment
ces «tireurs pouvaient-ils savoir que cet aéronef allait se détourner en
raison des conditions climatiques ? Il est certain que le «crash» de
l’avion malaisien est encore présent dans les esprits et à dû influer
fortement les appréciations.
Il ne reste pas beaucoup de probabilités. A moins qu’il ne s’agisse
simplement d’une panne technique, un problème urgent certes lié au
climat mais qui n’aurait pas pu surgir sans la présence d’une
défaillance quelconque. L’avion, un Mac Douglas 83 vieillissant venait
certes de subir des contrôles techniques chez l’un des leaders des
vérifications de haut niveau dans le monde : le Français BEA. Le feu
vert donné par cet organisme signifie que l’aéronef ne présentait aucune
anomalie et si cet élément pèse très lourd dans l’enquête, il sera
certainement complété par des observations et des analyses détaillées
des débris ainsi que l’étude minutieuse des boîtes noires. Il reste à
relever toutefois que le MD n’est pas ce qui se fait de mieux en termes
d’aviation civile. Cet héritier du fameux DC 9 aux ennuis incalculables,
est en fin de parcours et ne dispose pas des équipements les plus
récents comme ceux installés sur les derniers modèles d’Airbus ou
Boeing. Le MD, série 81, 82, 83, a connu plusieurs accidents au cours
des 15 dernières années. Nous n’évoquerons pas les incidents mineurs
comme les sorties de piste mais des crashs importants :
- Le 31 janvier 2000 : crash d'un MD-83 de la compagnie Alaska Airlines
au large de Los Angeles : 88 morts, aucun survivant.
- 16 août 2005 : crash d'un MD-82 de la compagnie West Caribbean dans un
relief accidenté du Venezuela : 161 victimes.
- 16 septembre 2007 : crash d'un MD-82 de la compagnie One Two Go lors
de l’atterrissage en Thaïlande : 89 victimes sur 130 passagers.
- 30 novembre 2007 : crash d'un MD-83 de la compagnie turque Atlasjet en
Turquie : 64 morts.
- 20 août 2008 : accident d’un MD-82 espagnol au décollage de l’aéroport
de Madrid : 154 morts et 18 blessés.
- 3 juin 2012 : un MD-83 de la compagnie Dana Air s’écrase sur un
immeuble au Nigeria : 153 passagers.
- 24 juillet 2014 : crash d’un MD 83 affrété par Air Algérie : 118
passagers périssent.
L’été, saison à risque…
Enfin, l’une des causes que l’on oublie souvent de citer et qui est
pourtant à l’origine de très nombreux accidents reste la défaillance
humaine. Nous ne savons pas grand-chose de cette compagnie espagnole, ni
de la formation de ses pilotes. Il est certain que les conditions
particulières de survol des zones saharo-sahéliennes, aggravées par les
conflits militaires qui s’y déroulent, exigent compétence et expérience.
Les nombreux pilotes chevronnés des grandes compagnies internationales
vous le diront…
L’enquête en cours ne laissera rien au hasard. Qu’il s’agisse d’un
accident ou d’un attentat, il faut savoir que ce genre d’accident est
malheureusement inévitable lorsqu’un certain nombre de conditions sont
réunies et qu’il n’épargne ni les petites compagnies, ni les grandes. En
outre, la saison estivale étant propice à la multiplication des liaisons
aériennes, les avionneurs sont dans l’obligation d’affréter des aéronefs
auprès des sociétés spécialisées qui subissent une pression très forte
au niveau de la demande et peuvent être amenées à sortir des hangars des
appareils dépassés de mode. Dans tous les cas, il faudrait en savoir
plus sur cette entreprise espagnole et sur les conditions de passation
des marchés, sans diaboliser qui que ce soit et notamment éviter
d’incriminer la direction actuelle et les travailleurs de notre
compagnie nationale qui a pu relever le défi de l’équipement, de la
modernisation et de la densification du réseau dans un contexte
difficile marqué par une concurrence impitoyable. Ce n’est pas à Air
Algérie que l’on va placer la rentabilité avant la sécurité !
Air Algérie a un ambitieux projet de création d’un hub international
raccordant les vols entre l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient. La
présence d’un si grand nombre de passagers étrangers prouve, a
contrario, que ce plan commençait à porter ses fruits. Il ne faut
surtout pas que cet accident freine le développement de cette politique
hardie qui rompt avec la tradition des dessertes «politiques» qui ont
longtemps pris le dessus sur les pratiques professionnelles. Alger peut
et doit devenir un noyau central des liaisons aériennes internationales.
Elle en a les moyens.
Nous ne terminerons pas sans adresser nos sincères condoléances à toutes
les familles éprouvées par cette terrible tragédie.
M. F.
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