Soirmagazine : ATTITUDES
Les enveloppes


Par Naïma Yachir
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Elle avait pensé à tout. Elle savait que ses enfants, qu’elle avait mis au monde et qu’elle a pétri de ses mains, étaient à la hauteur de l’éducation qu’elle leur avait donnée. Que rien ne pouvait les séparer, les diviser. Elle leur disait :«Je voudrais partir en paix. Mes enfants, je ne laisserai rien derrière moi, sauf la maison qui vous réunit dans la joie et le bonheur. Perpétuez ce rituel pour vous, vos enfants et petits-enfants. Restez unis comme vous l’avez fait après la disparition de votre père.»
Elle sentait sa mort, et, stoïque, donnait les dernières recommandations à sa fille qui vivait avec elle.
Les larmes aux yeux, elle s’exécutait. Comme pour le choix du drap qui devait la couvrir lorsqu’elle rendra l’âme, ce précieux textile d’un blanc immaculé, brodé d’une rose était intact, il sentait la naphtaline. Un souvenir de son trousseau de mariage, elle y tenait ! Ou encore le tapis qui devait couvrir le linceul. «Ne jetez surtout pas sur moi une couverture. Ne pleure pas ma fille, tu ne vas pas me garder éternellement, et puis ton fils est un jeune homme, Dieu a entendu mes prières, je partirai tranquille à présent. Ne t’inquiète pas, il comblera le vide.» L’octogénaire qu’elle était n’avait rien perdu de sa lucidité et de son intelligence, malgré le mal qui la rongeait. Elle demanda à sa fille de lui préparer six enveloppes. «Ça y est, tu as acheté ce que je t’ai demandé ?»
- Oui, yemma.
- A présent ouvre l’armoire et apporte-moi l’argent que tu as caché sous les draps.
Elle prit le paquet et le lui donna.
- Toute ma «fortune» est là-dedans. Je suis trop fatiguée pour le faire moi-même. D’abord tu en déduiras les dépenses du dîner du troisième jour, ensuite celles de la construction de ma tombe, le reste tu le partageras équitablement entre mes six enfants en inscrivant le nom de chacun sur l’enveloppe. Tu le leur remettras le lendemain de mon enterrement. Je crois que j’ai fait le tour de la question, maintenant je veux me reposer. La mère a rendu l’âme quelques jours plus tard.
Le lendemain de ses obsèques, comme elle l’avait souhaité, sa fille assembla ses frères et sœurs et sortit d’un sac six enveloppes qu’elle remit à chacun d’eux. Médusés, les enfants sanglotaient.



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