Chronique du jour : A fonds perdus
L’Algérie et ses émigrés
Par Ammar Belhimer
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L’agression
israélienne contre Ghaza et la qualification de l’équipe nationale de
football au deuxième tour de la dernière Coupe du monde ont révélé un
retour en force de notre communauté à l’étranger au-devant de la scène.
Auparavant, l’élection présidentielle avait enregistré les premiers
candidats issus de l’émigration à ce niveau de compétition électorale.
Autant d’indices probants du maintien du lien culturel et identitaire
entre l’Algérie et ses émigrés et d’un retour en force de ces derniers
dans les enjeux internes. Au-delà du rôle dynamique joué par
l’émigration dans la lutte pour l’Indépendance, la forte communauté
algérienne à l’étranger est, à bien des égards, une base avancée, active
et vigilante de patriotisme, de compétences et de hautes valeurs
républicaines. Ce qui n’exclut pas l’apparition récente de noyaux
djihadistes actifs dans les milieux les plus défavorisés des banlieues –
un phénomène qui demeure toutefois étranger au socle historique qui a
donné naissance aux premiers embryons du nationalisme algérien parmi nos
émigrés.
La migration au départ de l’Algérie inaugurée par la guerre de 1914-1918
était destinée à combler les pertes humaines et pourvoir aux besoins de
reconstruction de la France. L’émigration algérienne est massive durant
les années 1920, puis après la Seconde Guerre mondiale, stimulée par le
dynamisme économique des Trente Glorieuses. Plus proche de nous,
l’émigration algérienne suscitée par les violences intégristes des
années 1990 se rajeunit, se féminise et se sédentarise, tandis que sa
destination se diversifie, souligne un récent rapport de l’Institut de
prospective économique du monde méditerranéen qui nous a inspiré cette
chronique(*).
200 000 Algériens auraient émigré pendant cette décennie rouge ou noire,
avec parmi eux une part importante de personnes qualifiées.
Bien malin est celui qui pourra cependant vous dire avec précision
combien de nos compatriotes vivent à l’étranger sous le régime de la
nationalité algérienne ou de la binationalité ? Comme toujours, là
aussi, nous peinons à gérer nos statistiques. Les chiffres sont
contradictoires : selon le ministère des Affaires étrangères algérien,
environ 1,9 million de personnes sont inscrites auprès des consulats
algériens, alors que pour Djamel Ould Abbès sept millions d’Algériens
vivaient à l’étranger, dont 4,5 millions en France (2008). Une étude de
l’INSEE publiée en 2012 recense 1 713 000 immigrés algériens et enfants
d’émigrés algériens (au moins un parent né en Algérie), en France, en
2008. Ces chiffres excluent la troisième génération et les suivantes
ainsi que l’immigration irrégulière.
L’Institut de prospective économique du monde méditerranéen (Ipemed), un
think-tank méditerranéen dont la mission est de «rapprocher, par
l’économie, les pays des deux rives de la Méditerranée», s’est
particulièrement intéressé aux politiques d’attraction des
ressortissants résidant à l’étranger pratiquées par trois pays arabes de
traditions migratoires (Maroc, Algérie, Liban).
Ces trois pays ont expérimenté les différentes formules
institutionnelles poursuivant trois objectifs principaux : «Renforcer et
pérenniser les liens économiques entre les émigrés et leur pays
d’origine, créer ou maintenir des liens culturels et permettre la
représentation politique des émigrés.» A l’exception du Maroc qui a
inscrit dans le marbre constitutionnel le rôle de sa communauté à
l’étranger, dans les deux autres pays, «malgré une rhétorique qui met en
avant le potentiel économique que représentent les transferts de fonds
des émigrés, aucun avantage ne leur est accordé».
Certes, des efforts sont fournis en direction des descendants des
émigrés, à travers des dispositifs qui permettent aux enfants d’émigrés
de se familiariser avec la langue et la culture de leurs parents dans
leur pays de résidence (cours de culture et de langue, activités
organisées par le Centre culturel algérien à Paris) ou encore une
représentation spécifique au sein du Parlement depuis la fin des années
1990. L’un des rôles du Centre culturel algérien de Paris, inauguré le 3
novembre 1983, est de transmettre la langue et la culture algériennes,
en complément d’une école internationale algérienne à Paris qui
dispense, depuis octobre 2011, des enseignements du primaire au
baccalauréat.
Au titre de l’exercice des droits politiques, les émigrés et leurs
descendants majeurs de nationalité algérienne peuvent prendre part aux
élections nationales (présidentielles, législatives et référendums) et
locales. Pour les premières, il suffit d’être inscrit sur les listes
électorales des représentations diplomatiques et consulaires algériennes
de leur pays de résidence pour voter depuis l’étranger. Pour les
élections locales, il leur est possible de s’inscrire sur la liste
électorale de leur commune de naissance, de la commune de son dernier
domicile ou de la commune de naissance d’un de ses ascendants. Une fois
cette formalité accomplie, ils doivent retourner en Algérie ou voter par
procuration.
Il ne suffit cependant pas d’associer nos compatriotes vivant à
l’étranger à des joutes électorales. Encore faut-il les convaincre de la
sincérité des scrutins auxquels ils sont associés, souvent malades d’un
déficit démocratique qui a largement discrédité le processus de
consultation électorale en Algérie : «Lors des dernières élections
législatives, en mai 2012, seuls 14 % des émigrés inscrits sur les
listes électorales auraient participé à l’élection. Le taux de
participation globale, toutes circonscriptions confondues, serait de
42,90 % selon le ministère de l’Intérieur. La majorité des émigrés
choisit de ne pas exercer son droit de vote», déplore le document.
Par ailleurs, l’Algérie autorise la double nationalité et permet la
transmission de la nationalité par la filiation, alors que l’un des
derniers amendements du Code de la famille de 2005 autorise l’épouse
algérienne à donner sa nationalité à ses enfants si son conjoint est
étranger.
Les retours en Algérie se font au compte-gouttes : 2 600 retours par an
en moyenne pendant la période 1987-1998. L’embellie financière depuis le
début des années 2000 semble avoir un effet attractif sur les migrations
de retour, avec en perspective, heureuse, une inversion du phénomène de
la fuite des cerveaux.
Accessoirement, les transferts de fonds des émigrés vers l’Algérie
demeurent relativement faibles – d’après la Banque mondiale, ils
s’élèvent à environ 1,843 milliard de dollars en 2012, soit moins d’un
pour cent du PIB national – et empruntent davantage les canaux
informels.
Les investissements qui demeurent plutôt symboliques concernent
principalement l’immobilier. «Il y a un véritable déficit de politique
mise en œuvre afin de stimuler les investissements et les orienter vers
des secteurs productifs», déplore encore Farida Souiah, l’auteure du
rapport.
Il faut dire que les actions officielles ou institutionnelles initiées
ne sont pas à la hauteur des défis à relever. Bien au contraire, la
gestion institutionnelle de l’émigration reste marquée par une grande
instabilité. On attend ainsi toujours la création d’un Conseil de la
communauté nationale à l’étranger et un Observatoire algérien de la
migration internationale ainsi que la constitution d’un fichier des
«compétences nationales établies à l’étranger».
Les migrants hautement qualifiés sont depuis peu au centre d’une
attention appuyée dont témoignent la multiplication et la fréquence des
assises et des groupes de travail, avec toutefois une absence de suivi
et une instabilité institutionnelle avérées.
Avant d’arriver à inverser la tendance des départs, assurons plus
simple, comme la facilitation des retours vacanciers afin de maintenir
les liens avec les émigrés et leurs enfants. Outre qu’ils stimulent un
secteur touristique moribond, ces retours saisonniers permettent
d’entretenir le sentiment d’attachement. Or, outre la cherté des
billets, les retards des différents vols sont vécus comme une
humiliation par nos compatriotes.
A. B.
(*) Farida Souiah, Politiques d’attraction des ressortissants résidant à
l’étranger, Ipemed, août 2013.
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