Chronique du jour : Tendances
Haltes mémorielles
Youcef Merahi
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Après
Agoussim où j’ai pu constater, l’espace d’un après-midi poétique, que la
culture se doit d’y aller à la rencontre de la demande potentielle, je
me suis rendu à Zoubga, un toponyme à déchiffrer, un village deux fois
lauréat pour sa propreté, ce que j’ai constaté de visu, le temps d’une
journée, ou presque, pour voir la culture s’approprier la demande par
des conférences, des échanges et des contacts. Comme à Agoussim, la
démocratie a pris racine, du fait que la salle des débats est attenante
à la mosquée du lieu. Belle leçon de tolérance pour dire que la mosquée
est un lieu éminemment culturel, aussi. En plus de la soumission à Dieu
!
De Tizi, les routes prennent de l’altitude, de lacet en lacet, indiquant
à chaque étape un village qui semble prendre racine sur un piton rocheux
ou accroché au flanc de la montagne, défiant le vertige et
redéfinissant, sans cesse, les règles de l’architecture. Ces villages ne
sont pas l’œuvre de la main humaine ; c’est du moins l’impression qui
est en moi en cet instant d’écriture. Ils sortent de terre comme ces
innombrables oliviers, arbres rugueux et séculaires qui, comme ces lieux
de vie, défient le relief et le climat. Qu’est-ce qui a poussé l’Ancêtre
à préférer ces hauteurs altières, défiant l’équilibre et tutoyant les
nuages ? Un sentiment de sécurité ? Peut-être. Mais la volonté kabyle,
mettant de côté la facilité, a mis en évidence ce courage de bâtir du
dur sur du dur. Et la vie, ici, n’est pas facile ! Des gens de rencontre
ont encore, en mémoire, les dernières années de neige, la façon dont ils
ont ouvert les routes, la solidarité entre villages, mais aussi
l’angoisse du lendemain et de la solitude cosmique. Oui, du dur sur du
dur ! Zoubga est donc, à l’instar du reste, le produit de la volonté
humaine. Arrimé au flanc de la montagne, ce village semble imperturbable
; il fait face au vide insondable ; il donne presque le vertige pour le
phobique de l’altitude que je suis ; mais il ouvre larges ses bras pour
les visiteurs. Zoubga donne confiance en soi, interpelle la conscience
sur l’histoire de la Kabylie et donne, surtout, une leçon de vie. Ici,
les maisons se touchent sans se gêner, c’est que j’ai dit in situ à Ben,
un Zoubgaïen, pardon pour le barbarisme, les ruelles dallées par des
mains professionnelles qui ne retiennent aucune goutte de pluie et
évitent l’empoussièrement. A croire qu’on pourrait s’y allonger et faire
la sieste ! Adossé à la montagne, rien ne pourra ébranler Zoubga ; telle
a été la volonté de l’Ancêtre qui a choisi ce lieu pour planter, c’est
le mot, vraiment, sa maison qui a poussé et donné, tout autour, des
petits. Les Zoubgaïens ont pris, sur eux, de s’organiser, sans attendre
l’aide de quiconque, à commencer par l’autorité ; ils ont toujours
refusé l’assistanat et ont installé le compter sur soi. Ça ne leur a pas
mal réussi ; j’ai vu de mes yeux vu le miracle villageois et j’en suis
épaté ; d’autant que par ailleurs la saleté est un moindre mot. A Zoubga,
il était question de remettre le prix Bélaïd At Ali, le premier
romancier kabyle, en version originale. C’était l’occasion de revoir
Younès Adli, politologue, auteur de plusieurs ouvrages, dont La pensée
kabyle, qui a toujours le bon mot pour détendre l’atmosphère et remettre
les choses dans leur contexte. Le docteur Ounougnen Mouloud n’a pas été
en reste, lui le neurochirurgien qui a mis son savoir à la disposition
de l’auditoire en décortiquant la relation entre le cerveau et la
musique. J’ai revu avec beaucoup de plaisir Rabhi Alloua et Kamel
Bouamara, universitaires à Béjaïa, qui abattent un travail considérable
pour la préservation de la culture amazighe. Et tous les autres : Brahim
Tazaghart, Moussa Imarazen, Mohand Djellaoui, Medjahed Hamid…
Cette première halte mémorielle m’a emmené vers une autre découverte, le
village de Koukou. Je ne vais pas refaire l’histoire, ici, de ce
royaume, une œuvre d’Etat avortée par les avatars de l’histoire de ce
pays. Je tente d’expliquer mes découvertes villageoises, car le ressenti
diffère en fonction de l’âge. Je vois autrement mes villages (pardon
pour le possessif, je me l’autorise). Je les vois différemment. Je les
vois comme un œuvre de vie. Je les vois comme une volonté tenace de
l’Ancêtre de plonger ses racines dans une terre vraie. Je les vois comme
une architecture redéfinissant les normes de construction. Même si le
béton bouffe tout, actuellement, il reste encore, heureusement, des
bâtisses kabyles qui résistent au temps et à la versatilité de l’homme.
Je les vois comme une promesse printanière. Je les vois comme des
guirlandes sur leur montagne (Merci Lounis pour cette métaphore
insaisissable). Je les vois comme des œuvres d’art que le corbusier ne
pourra renier.
Au village de Koukou, la fête battait son tambour et sa zorna. Tbabla du
siècle dernier ! On ne se fait pas prier : la danse soulevait le pied,
vibrait les fesses et cadençait les épaules. La joie du moment était
contagieuse. Je voulais résister. Le cercle s’agrandissait. Le burnous
virevoltait. Les mains suivaient le rythme. Les femmes n’étaient pas en
reste, elles imitaient la houle du blé. Quoi, c’est la fête au village !
Puis, elle est villageoise ou elle ne l’est pas. N’en déplaise au regard
compliqué, nous sommes au village de Koukou. Et c’est la fête ! Puis, il
suffit de lever les yeux pour voir les nuages suivre le mouvement et
entamer une danse à rendre jaloux un Kabyle. Oui, c’est mon impression.
Ma vérité ! Ce jour-là, j’ai mis de côté mes angoisses existentielles.
J’ai oublié les bouchons automobiles, les bruits de la ville et les
épaules qui se tamponnent sur des trottoirs surpeuplés. J’ondule avec le
son de la gheïta et vibre avec le mouvement du tbel. Comme l’estomac a
vibré face au plat de couscous, arrosé comme il se doit de cette huile
kabyle miraculeuse, et ce morceau de viande bovine (du begri, ya kho).
Au diable le régime et la fièvre aphteuse ! Ah, comme je voudrais que ce
moment de fête ne soit pas une exception, l’Algérie est trop triste,
triste à tenter la harga !
Mon circuit ne n’est pas arrêté à Koukou. J’ai dû accompagner un ami,
celui qui ne cesse de remonter le temps, devant faire une emplette à
Bordj-Menaïl. De plus, il y avait un troisième larron, Saïd Y., qui ne
cesse pas de philosopher sur tout et rien. Autant dire qu’arrivés à
Bordj, nous formions un drôle de trio, digne d’un polar à la San
Antonio.
Un trio pas du tout assorti ! Enfin, je parque mon tacot et, de suite,
un parkingueur (cette nouvelle race de percepteur) surgit de nulle part.
Parking, ya kho ! D’accord cousin ! Je paierai la taxe, n’aie crainte !
Nonor, à l’aise comme pas possible, hilare pour un rien, liquide son
achat en un tour de main ; il sait y faire, le liquidateur de montre.
Saïd nous rappelle qu’il est l’heure de croûter, il sait y faire, aussi
gourmand qu’un goinfre. On fait les ruelles et les rues, à la recherche
du restaurant. Personnellement, j’étais prêt à manger dans n’importe
quelle gargote, pourvu qu’il y ait un peu de ch’wa. Sauf que mes deux
compères m’opposent la fièvre aphteuse (affreuse, ai-je répondu, pour
faire de l’esprit, zaâma), l’hygiène et tout le reste. A voir les
malheureux poulets tournés dans les rôtissoires à même le trottoir, ça
n’ouvre pas vraiment l’appétit ! Alors, tournons.
Déjà vieillotte, à l’époque, Bordj semble pétrifiée par le temps, après
le tremblement de terre de 2003. A croire qu’il s’agit d’un décor de
cinéma pour un film de l’étrange, c’est du moins mon impression du
moment.
La rue centrale est en ruine. Les constructions récentes n’obéissent,
selon moi, à aucune harmonie architecturale. Il est question de monter
une bâtisse en hauteur, mais pourvue de garage pour le commerce, sans
plus ! Bordj n’a pas l’âme d’une ville, c’est une addition de ratages
urbanistiques.
Tiens, voilà un resto qui présente. Allez, on rentre, on s’assoit, on
commande, on mange rapidement, on paie la douloureuse (pas très cher) et
on reprend la bagnole, direction at home. Un silence lourd s’est
installé entre nous, à croire que la digestion se fait difficilement.
Pourtant, la cuisine était correcte. Des kilomètres après, Saïd pensa
tout haut : «Mes amis, l’angoisse de Bordj commence à se dissiper».Ceci
explique cela, alors. A suivre, peut-être !
Y. M.
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