Par Ammar Belhimer
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Quel
crédit accorder au grand Mufti d'Arabie saoudite, le cheik Abdul Aziz
al-Sheikh, lorsqu’il proclame l’Etat Islamique en Irak et au Levant (EEIL)
«ennemi n°1 de l'Islam» ? La question se pose lorsqu’on sait que, primo,
l’EEIL est pour partie une progéniture de l’Arabie saoudite et que,
secundo, c’est son Islam, d’inspiration wahhabite, qui sert le mieux les
intérêts de ses commanditaires qui ont tout fait pour l’installer aux
commandes là où ils ont pu. C’est un journal de droite, Le Figaro, qui
l’écrivait vendredi dernier : «Les monarchies pétrolières du Golfe
arabo- Persique, par «mécènes» interposés, ont largement contribué à
fournir toute la logistique nécessaire à l'offensive d'EIIL. Pour elles,
peu importent les moyens utilisés pour autant, espéraient- ils, qu'al-Baghdadi
participe aux combats contre les chiites, et donc contre l'Iran, pour la
suprématie régionale ». Abu Bakr Al-Baghdadi a été recruté par la CIA et
le Mossad lorsqu’il était prisonnier à Guantanamo de 2004 à 2009, pour
mener à bien une opération dénommée «Nid de frelons» et destinée à
fonder un groupe en mesure d’attirer des djihadistes de différents pays
vers un endroit précis, et ainsi les tenir loin d’Israël. Pour l’agent
américain réfugié en Russie, Snowden, «la seule solution pour protéger
l’État juif est de lui créer un ennemi à ses frontières, mais en le
dirigeant contre les Etats islamiques qui s’opposent à sa présence.»
C’est le grand bal des hypocrites. Au final, ils ont enfanté un monstre
que le secrétaire à la défense américain Chuck Hagel décrit ainsi :
«Aussi bien organisé et financé que toute autre organisation dont nous
ayons eu connaissance. Ils sont plus qu'un simple groupe terroriste. Ils
allient idéologie et sophistication militaire. Ils sont incroyablement
bien financés. Cela va au-delà de tout ce qu'il nous a été donné de
voir.» Aussi, il ne faut pas croire que les monarchies moyenâgeuses
érigées en empires théocratiques sont réellement libres d’agir à leur
guise. «Les Emirats arabes unis ont dit et fait tout ce qu’il fallait
pour prouver qu'ils veulent un partenariat renforcé avec l'OTAN»,
souligne Billal Y. Saab dans une étude au titre éloquent : «Friends With
Benefits : What the UAE Really Wants from NATO», parue ce 14 aôut dans
Foreign Affairs (*). Voilà qui éclaire un peu mieux sur leurs véritables
intentions dans le monde arabe : servir de cheval de Troie de l’OTAN.
L’auteur de l’article nous rafraîchit la mémoire en rappelant que les
Emirats, en plus d’avoir nommé un ambassadeur à l'OTAN, ont également
appuyé des missions importantes de l'organisation, par exemple en
contribuant à la puissance aérienne lors de l'opération Unified
Protector qui a réduit en miettes l’Etat libyen en 2011, et en
participant à l'International Security Assistance Force, un programme
qui forme les forces de sécurité afghanes dans un pays ramené à l’âge de
pierre. Plus récemment, l’adhésion des Emirats à l'Initiative de
coopération d'Istanbul en 2004, qui se propose d’offrir aux pays du
Moyen- Orient «une relation bilatérale de sécurité » avec l'alliance, a
encore consolidé la relation. «Ce que veut l’OTAN des Emirats arabes
unis est clair : l’aide à la lutte contre le terrorisme, le financement
des opérations militaires, la protection des voies maritimes régionales,
les itinéraires d'approvisionnement en énergie et les cybernetworks. Ce
que veulent les Émirats arabes unis de l'OTAN est peut-être moins
évident». Voilà qui est bien dit parce qu’il apparaît de plus en plus
que le décideur est unique et qu’il ne souffre pas de la moindre
adversité. La courte existence de l’Emirat n’a rien d’héroïque : il est
né du retrait du Royaume-Uni du golfe Persique en 1971 pour passer
immédiatement sous tutelle américaine, au nom d’un partenariat pour la
protection régionale. Ce «partenariat» s’est traduit, en 1990 et 1991,
par un engagement militaire commun pour chasser l'Irak baâthiste du
Koweït puis, plus tard, un alignement systématique sur Washington
concernant la question nucléaire iranienne. Depuis, les événements n’ont
fait que confirmer l’existence des Emirats comme un Etat des USA à part
entière, avec notamment la signature le 25 juillet 1994, d’un accord de
défense, dont les termes restent encore secrets. «Aujourd'hui, les
États-Unis considèrent les Émirats arabes unis comme un de leurs
partenaires les plus fiables au Moyen-Orient», commente l’auteur. En
sens inverse, Abu Dhabi s’appuie exclusivement sur Washington et ce,
d’autant que depuis qu’Obama a pris ses fonctions en 2009, le Conseil de
coopération du Golfe ne répond plus à la demande de sécurité des EAU.
Celles-ci disposent certes de capacités militaires, mais elles semblent
bien théoriques car elles sont en grande partie non intégrées. Les
Emirats ne sont pas encore membres à part entière de l’OTAN, ce qui ne
l’autorise pas à leur assurer sa garantie de défense collective. Pour
l’instant, ils sont placés sous la coupe de leur instructeur turc. A ce
titre, ils viennent de participer à des exercices de défense aérienne en
Turquie, coopèrent avec la marine turque sur la sécurité maritime et
envoient leurs cadres militaires en formation au Collège de défense de
l'OTAN en Italie. Les attentes des Emirats s’arrêtentelles à une
adhésion pleine et entière à l'OTAN ? s’interroge enfin l’auteur de
l’étude. «Soyons honnête : pour Abu Dhabi, l’objectif réel n'est pas
l'OTAN et sa bureaucratie, mais Washington, Londres et Paris, les trois
puissances les plus influentes de l'Alliance». Le partenariat renforcé
avec l'OTAN sert à développer ces liens avec les trois pays qui
participent le plus à la sécurité de l’Emirat - il dépense le plus clair
de son budget de défense pour acquérir des armes des Etats-Unis, du
Royaume-Uni et de France. «En institutionnalisant davantage leurs
relations avec l'OTAN, les Émirats arabes unis espèrent renforcer la
conviction des responsables américains, britanniques et français qu’ils
ne peuvent compter que sur eux dans la région.» Le prochain sommet de
l'OTAN, au Pays de Galles en septembre, constitue une étape cruciale
dans cette perspective : « Les deux parties doivent convenir qu’il est
arrivé le moment de dépasser les subtilités diplomatiques et la
coopération symbolique pour œuvrer à l’apaisement dans un Moyen- Orient
qui se détériore rapidement.» L’auteur leur accorde des ambitions
démesurées en écrivant : «Tout cela est bien beau. Pour les Emirats
arabes unis, il leur reste un seul moyen pour arriver à leur fin: un
meilleur accès à la prise de décision à Washington, Londres et Paris -
puis, peut-être, une place véritable à la table de l'OTAN.» Au-delà de
ces chimériques intentions, c’est d’une fusion organique des monarchies
théocratiques avec le capital financier international dont il est
question ici.
A. B.
(*) Bilal Y. Saab, «Friends With Benefits : What the UAE Really Wants
from NATO», Foreign Affairs, 14 août 2014.
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