Culture : LA MOBILISATION DES RESSOURCES PUBLIQUES PAR LA FISCALITÉ ORDINAIRE
EN ALGÉRIE DE HAYET BOUILEF
Ou comment réhabiliter et dynamiser l’impôt
Sujet d’une brûlante
actualité, la problématique de la mobilisation des ressources fiscales
en Algérie reste pourtant très peu étudiée. La fiscalité dite ordinaire,
c’est-à-dire hors hydrocarbures, ne suscite pas encore l’intérêt des
spécialistes et des médias.
D’où l’importance de l’ouvrage de Hayet Bouilef, travail de recherche
qui lève le voile sur un sujet ignoré, presque tabou. paru aux éditions
Enag, La mobilisation des ressources publiques par la fiscalité
ordinaire en Algérie contribue à défricher le terrain, notamment en
posant des questions fondamentales adressées dans un esprit de débat. Le
livre ne se limite pas à une recherche appliquée, voire technique et
dont la lecture serait rébarbative pour le profane. Au contraire, son
contenu repose sur une analyse dynamique ayant recours, entre autres, à
la méthode et à la connaissance discursives. Finances, économie et
politique sont ici en interaction, ce qui permet au lecteur de connaître
et de comprendre vite et bien l’éclairage proposé par l’auteure. De
plus, le lecteur non initié aux finances publiques a l’occasion de
découvrir un domaine sur lequel les politiques et quelques «experts»
exerçaient un droit régalien. Arnaud Raynouard, professeur des
universités, a d’emblée relevé la dimension informative et la qualité
pédagogique d’un tel travail. Il écrit dans sa préface : «Une recherche
dans le domaine fiscal peut sembler aride, trop technique. Cette
impression est parfaitement impropre à caractériser le résultat du
travail mené par Mme Hayet Bouilef dans le cadre de son diplôme
supérieur de recherche appliquée (DSRA) soutenu à l’université paris-
Dauphine. Traitant de la question de la mobilisation des ressources
publiques par la fiscalité ordinaire en Algérie, c’est à une véritable
enquête juridique, technique, économique et politique que s’est attelée
l’auteure». Une étude approfondie de près de 400 pages, où l’inventaire
des ressources fiscales dites «ordinaires» est dressé méthodiquement. Le
tout placé «dans une perspective historique», fait remarquer le
préfacier. Autrement dit, l’auteure ne se limite pas à un examen
rétrospectif, elle pose également une problématique d’ensemble (des
problèmes dont les éléments sont liés) et elle formule différentes
propositions dont la pertinence ne devrait pas échapper aux décideurs
politiques. Avant de développer son propos, Hayet Bouilef commence par
dresser un constat, rappelant des faits avérés. Elle écrit dans
l’introduction : «L’Algérie, comme les pays en développement, présente
une instabilité particulièrement importante de ses ressources publiques,
du fait que sa politique financière repose sur les ressources
énergétiques, d’où l’impact des hydrocarbures qui est très apparent sur
le niveau de mobilisation des recettes publiques. Effectivement, dans
les périodes de hausse des prix, la capacité de mobilisation est forte.
En revanche, durant les périodes de chute des cours, les difficultés
financières et le déséquilibre des finances apparaissent immédiatement.
De ce fait, une transition fiscale apparaît nécessaire pour améliorer le
système fiscal hors hydrocarbures, en vue d’assurer le financement
nécessaire de l’économie algérienne.» Ce qui signifie, à terme, «la
transition d’un système de rente pétrolière vers une économie basée sur
un système de participation citoyenne, à travers les prélèvements
mobilisés par la fiscalité ordinaire et où la fiscalité ordinaire
apparaîtra comme nouveau mode de financement public». Réhabiliter
l’impôt est un impératif, mais comment y arriver ? A l’évidence, le
système fiscal, aujourd’hui dépassé et défaillant, souffre aussi du
poids de «l’économie informelle, soutenue par une faible pression
fiscale et accompagnée par la fraude et l’évasion fiscale ». Résultat,
d’énormes recettes ne sont pas recouvrées. En clair, la réforme fiscale
de 1992 piétine pendant que s’accroît le déséquilibre budgétaire.
partant de ce constat et de la nécessaire transition fiscale sur
laquelle elle fonde sa problématique, Hayet Bouilef va structurer son
étude analytique en deux grandes parties : «Le basculement d’un système
de rente pétrolière vers la fiscalité ordinaire» et, suite logique de
cette première partie, «les instruments juridiques et administratifs de
l’optimisation de la fiscalité ordinaire ». plusieurs aspects sont
abordés, dans le détail et avec clarté, dans ce travail d’ensemble.
Notamment l’influence de la rente pétrolière sur l’économie, la
transition économique et financière de l’Algérie, la réforme fiscale de
1992, l’impact des accords internationaux sur les finances publiques, la
stratégie publique en matière de mobilisation fiscale, le civisme fiscal
et le consentement à l’impôt, la nécessaire modernisation de la gestion
fiscale, les actions à entreprendre pour élargir et développer
l’assiette fiscale, etc. Auteur de l’avant-propos, Ahmed Sadoudi, avocat
et ancien cadre supérieur au ministère des Finances, souligne
d’ailleurs, à juste titre, que Hayet Bouilef «préconise la modernisation
du système fiscal à la fois dans son cadre juridique, organisationnel et
fonctionnel ainsi que de mettre en œuvre la nécessité d’améliorer les
relations entre l’administration et le contribuable, et d’inciter en
même temps celui-ci à avoir plus de civisme fiscal pour un meilleur
consentement à l’impôt de sa part». En définitive, le travail de
recherche réalisé par Hayet Bouilef mérite d’être salué et devrait
retenir l’attention de tous, à commencer par les dirigeants politiques
et les responsables de l’administration fiscale. Les propositions
concrètes contenues dans cette étude sont, déjà, d’un grand intérêt.
Elles nécessitent d’être débattues, enrichies et approfondies. Hayet
Bouilef est diplômée en sciences de gestion de l’université
paris-Dauphine (DSRA) et se prépare à soutenir une thèse de doctorat en
droit. par son expérience professionnelle, elle connaît bien le monde
des finances publiques pour avoir été inspecteur central des impôts.
Hocine Tamou
Hayet Bouilef, La mobilisation des ressources publiques par la fiscalité
ordinaire en Algérie, Enag Editions, Alger 2014, 386 pages.
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