Monde : GAO, MUJAO, MAROCAO
Débriefing d’or et de renseignements
De notre bureau de Bruxelles,
Aziouz Mokhtari
L’espionnage et le contre-espionnage des différents pays européens,
à l’intérieur ou hors UE, suivent de près la libération des otages
algériens de GAO. Les interrogations et les pistes se rétrécissent et
mènent, presque toutes, ver le... Marocao. Alger tient le débriefing et
d’autres atouts maîtres...
La libération des otages algériens de Gao intéresse au plus haut point à
Bruxelles. Les Espagnols attendent beaucoup du debriefing
d’après-enlèvement que le renseignement algérien ne manquera pas
d’effectuer auprès de ses ressortissants pris à Gao en 2012. L’Espagne,
on le sait, subit le choc de l’enlèvement de trois de ses humanitaires à
Tindouf dans les camps de réfugiés sahraouis avec, certes, beaucoup de
colère, mais aussi, les premiers jours d’émotion passés, avec
détermination quant à la recherche de la vérité sur l’identité des
commanditaires du rapt. Autant relever que Madrid a un faisceau de
présomptions indiquant des pistes — une piste ? — sérieuses. Nous
verrons le pourquoi de ces certitudes. La France, évidemment, impliquée
jusqu’à l’os au Mali et en Afrique subsaharienne où son armée est
fortement présente et où Paris ne peut se permettre des fautes
politiques ou stratégiques. Les Français qui ont eu à négocier avec des
groupes terroristes pour libérer leurs otages dans des conditions que
beaucoup d’Etats ont considérées comme pas bonnes dans la lutte contre
le crime organisé et contre la nébuleuse islamiste — Paris ayant été
fortement soupçonné d’avoir payé rubis sur l’ongle des rançons —
s’intéressent aux renseignements que le contre-espionnage algérien ne
manquerait pas de récolter auprès des diplomates algériens qui ont
survécu au rapt de Gao. Les autres Etats membres de l’UE ont tous, à un
degré ou à un autre, intérêt à suivre cette affaire. Les Belges, les
Autrichiens, les Allemands, les Néerlandais, les Britanniques ayant eu
maille à partir avec les preneurs d’otages se réclament des nébuleuses
islamistes. D’autres pays non membres de l’UE, comme la Norvège, suivent
avec grand intérêt la libération des otages algériens et sont preneurs
d’informations concernant l’aprèsdébriefing. Pourquoi autant d’intérêt ?
Plusieurs raisons à cela. Nous en extirpons trois qui paraissent
fondamentales. La première est que le Mujao n’a fait son apparition dans
le lexique anti-terroriste et dans le listing des groupes liés au
djihadisme armé qu’à la mi-2011. Son historique, ses «faits d’armes»,
si, bien sûr, ce vocable peut être retenu, prenons-le comme concept
opératoire, commencent et finissent toujours avec une seule cible :
l’Algérie et les intérêts de l’Algérie. Les Espagnols enlevés à Tindouf,
c’était pour impliquer le Polisario et par ricochet Alger, le rapt de
Gao des 7 diplomates devait décrédibiliser les efforts algériens pour le
dialogue intermalien et aussi, introduire une autre partie — le Maroc ?
— dans le processus. Tiguentourine devait être l’aboutissement d’un
processus devant faire accepter Rabat par le truchement de Paris comme
interlocuteur incontournable dans les affaires de la région et, surtout,
obtenir de l’Algérie qu’elle apporte son soutien au principe
d’autodétermination du peuple sahraoui au nom du principe de la lutte
antiterroriste. Des failles dans le dispositif du Mujao, des fuites et
des révélations transfuges de ce groupuscule à des services de
renseignement européens et des maladresses dues au fait que le Maroc a
pu confondre vitesse et précipitation, le sang-froid de la diplomatie
algérienne et le savoir-faire de Ramtane Lamamra ont pu jouer, c’est
certain, des rôles déterminants dans le traitement du cas Mujao par
Bruxelles- Europe, les Etats-Unis, la Russie et d’autres puissances
mondiales. On ne met pas, comme ça, sur le marché du djihadisme une
organisation tel le Mujao sans attirer l’attention de l’espionnage et du
contre-espionnage des pays qui comptent dans le monde. Ceci est d’autant
moins possible que, présentement, le Mali et toute la région
subsaharienne ressemblent à la situation de Jérusalem avant la
proclamation d’Israël, la Turquie après le délitement de l’Empire
ottoman, l’Irak de l’après-Saddam, le Liban avant les guerres civiles ou
la Yougoslavie avant son éclatement. Tout le monde y est présent et tout
le monde surveille tout le monde. Le faux-pas n’est pas permis et se
paye. Ici, à Bruxelles, d’ailleurs, des «gorges profondes» et des
sources traditionnellement proches des sphères décisionnelles n’hésitent
plus à évoquer le Mujao en disant le Marocao. Les choses sérieuses
commencent.
A. M.
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