Chronique du jour : HALTES ESTIVALES
Zagor, un extraterrestre au douar…
Par Maâmar Farah
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Zagor
est un habitant d’une planète lointaine, très lointaine, située dans la
galaxie écaille NGC 4415 : Adanac. Très ressemblante à la Terre, elle se
trouve à des milliards de kilomètres de chez nous. Ni les télescopes
géants, ni les sondes spatiales sophistiquées n’avaient pu la dévoiler
aux nombreux scientifiques qui cherchaient à découvrir un signe de vie
dans l’une des dix-neuf planètes de cette galaxie. Zagor était arrivé
sur Terre un 11 juillet, à bord d’une station propulsée par l’énergie
cinétique, seul «carburant» en mesure de pousser l’engin aussi loin. La
navette de Zagor était tombée par hasard près d’un douar où les gens
fêtaient un mariage. Il fut horrifié par le spectacle des moutons qu’on
égorgeait d’une manière brutale ! Mais il n’était pas au bout de ses
surprises. Quand le mari sortit de la chambre nuptiale pour présenter à
la foule en délire un linge trempé de sang, geste accueilli par des cris
stridents appelés «youyous» selon l’encyclopédie électronique branchée
sur son nerf optique, Zagor pensa tout d’abord que l’époux venait
d’égorger sa femme, comme les autres l’avaient fait auparavant avec les
moutons ! Dans la tête de l’extraterrestre Zagor, un mouton était un
être vivant et une femme aussi. Il trouvait bizarre que l’on se
comportât d’une manière aussi cruelle vis-à-vis des ovins et des êtres
humains de sexe féminin. Mais, quand la pauvre mariée sortit pour monter
dans une ambulance, il se calma. Elle n’avait pas été égorgée.
Cependant, le fait qu’elle fût évacuée vers l’hôpital l’intriguait au
plus haut point. Cela faisait quelques heures que son engin s’était posé
sur notre planète et il y avait, déjà, trop de questions qui trottaient
dans sa tête. Il décida d’aller à l’hôpital pour en savoir plus. Il vit
la mariée se faire soigner avant d’être admise dans une chambre du
service des femmes. Il entendit l’une des infirmières gueuler à
l’adresse des parents de la mariée : «Son état est jugé grave et il faut
la veiller. Ce n’est pas mon boulot ! Désignez une femme garde-malade
pour ça !» Zagor était désappointé. Sur sa planète, les infirmières ne
rechignaient pas à la tâche et gardaient les malades, nuit et jour !
Bizarre cette Terre ! Zagor décida de quitter le douar pour s’enfoncer
dans une dense forêt. Il fut bientôt arrêté par une dizaine d’individus
barbus et vêtus d’une drôle de manière. Il pensait qu’ils sortaient d’un
cirque ou d’un carnaval, mais quand leur chef lui dit qu’il allait être
égorgé, il commença à douter sérieusement de la santé mentale des
habitants de cette planète qui passaient leur temps à jouer avec les
couteaux. Lorsque deux des drôles d’individus essayèrent de le ceinturer
pour le mettre à la disposition du bourreau qui aiguisait son couteau en
récitant des paroles incompréhensibles, il passa aux choses sérieuses et
d’un regard nourri de rayons tueurs gamma 14 AR, foudroya les dix
plaisantins. Quelques heures plus tard, il était dans ce qui ressemblait
à une ville. Ou, plus exactement, dans la banlieue d’une grande cité. Il
errait dans des rues cassées et cendreuses. Partout, il ne voyait que
désolation et tristesse. Toutes les bâtisses étaient inachevées. Grises
et moches, elles étaient démesurées. Il n’y avait aucun jardin, aucun
espace vert, aucun arbre. Il se dit alors que le centre-ville devait
être certainement plus accueillant. Mais, quand il fut au beau milieu de
la grande cité, il était encore plus dégoûté : l’état des rues ne
s’était pas amélioré et une foule de badauds aux visages livides se
mouvait dans tous les sens. Personne ne souriait. Il pensa que tous ces
pauvres gens allaient être égorgés. C’est pour cette raison qu’ils
n’avaient aucune expression sur le visage et qu’ils marchaient comme des
zombies. Chemin faisant, il vit une grande inscription : «Cinéma
Rialto». Il y avait également des affiches représentant des barbus qui
ressemblaient à ceux de la montagne. Son dictionnaire électronique lui
révéla qu’un cinéma était «une projection visuelle en mouvement, le plus
souvent sonorisée. Le terme désigne indifféremment aujourd'hui une salle
de projection ou l'art en luimême ». Mais, quand il pénétra dans la
salle, il n’y avait aucune projection. Seulement un barbu qui criait
tout seul. Il disait que la «zalabia» était «haram» et que la corruption
pouvait être «hallal» ! Puis, le cheikh aborda la question de la femme :
elle pouvait être battue… Zagor ne comprenait plus rien. Les gens de
cette planète étaient à enfermer dans un asile. Quand ils n’égorgeaient
pas, ils battaient leurs femmes ! Tout près de ce cinéma, il vit des
dizaines de jeunes debout derrière des nappes tendues à même le sol et
garnies de produits divers. Quelques clients négociaient le prix d’une
montre qui semblait les attirer. A ce moment précis, il entendit une
fille hurler : «Au voleur, au voleur !» Un pickpocket venait de lui
subtiliser son téléphone portable. Zagor trouva curieux le fait que les
gens qui passaient par là n’aient pas porté secours à la jeune fille.
Donc, ces drôles de «makhloukat » égorgeaient, battaient les femmes et
piquaient les téléphones mobiles des jeunes filles ! Il changea de
ville, mais il rencontra la même hideur, la même saleté. Un jour, alors
qu’il était au volant d’une automobile, Zagor klaxonna sur une route de
campagne pour que des moutons lui cèdent le passage. Ces derniers,
fidèles à Panurge, quittèrent la chaussée en quelques secondes. Il en
fit de même dans une ville, mais pour réveiller des êtres humains qui
tenaient une conférence au beau milieu de la rue. Personne ne bougea et,
au deuxième klaxon, il eut droit à un chapelet d’insultes. Il apprit
qu’un automobiliste qui avait osé aller au-delà du deuxième klaxon fut
poignardé ! Au cours de ses pérégrinations, il s’arrêta devant un stade
fermé. On lui expliqua qu’une partie du public avait jeté des pierres
sur les joueurs et tué celui qui était leur adoré ! Si Zagor comprenait
que l’on puisse en avoir marre des couteaux et les remplacer par des
pierres, il n’arrivait pas à concevoir que l’on assassine celui que l’on
aime ! Enfin, une bizarrerie de plus n’allait pas le décourager. Il
poursuivit son voyage et découvrit un peuple arriéré et qui s’enfonçait
dans l’archaïsme et la violence. Il lui arrivait de s’arrêter dans les
cafés. Autour de lui, on ne parlait que de «fetwas », de «hallal» et de
«haram». Il rencontra un gars éméché qui sortait d’un bar clandestin :
«Si tu veux t’amuser, viens au bistrot !» Il accompagna le soulard et
fut estomaqué par l’état des lieux. Un local poisseux, mal éclairé et
aux odeurs insupportables accueillait une vingtaine de buveurs qui
reprenaient un vieil air chaâbi diffusé par un parleur nasillard. Les
hommes se bagarraient entre eux mais étaient gentils avec deux femmes
affalées sur des tabourets d’un autre âge qui s’aspergeaient de «Ploum-Ploum»
toutes les cinq minutes. Elles avaient de fausses dents en plaqué or
mais n’acceptaient que les vrais billets pour faire un tour dans
l’arrière salle : «J’espère que ce n’est pas pour les égorger»
lança-t-il au soulard. La bagarre fut bientôt générale. A cause d’une
des deux femmes. La plus moche. Zagor était fatigué. Il était usé,
ratatiné, détérioré, râpé, défraîchi, flétri, fichu, fané. Il grimpa
dans sa station et décolla rapidement vers Adanac. Il aurait pu aussi
monter dans une barque et aller en Sardaigne ou en Espagne, solution
choisie par ceux qui n’avaient pas de fusées à leur disposition…
M. F.
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