Chronique du jour : Tendances
Où donner de la tête ?


Youcef Merahi
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Où donner de la tête ? Voilà une question qui m’habite et ne cesse de houspiller mon humeur. Car supposons un instant que nous ne disposions pas d’hydrocarbures, alors avec quels sous aurions-nous acheté la paix sociale, une paix précaire du reste. Il suffit que l’un de nous dise «aïe !» pour que le porte-monnaie s’ouvre et que la monnaie sonnante et trébuchante sorte à flots. Qui d’entre nous ne se souvient pas des pénuries sous l’ère Boumediène ? Pas de beurre. Pas de café. Pas de bananes. Pas de bagnoles. Pas d’opposition. Pas de liberté de pensée. Pas… Pas… Pas ! Chadli arrive, occupe le fauteuil et lance le PAP pour que les Algériens se remplissent la panse, se gargarisent les mirettes, s’offrent des sorties à l’étranger avec un pécule en devises rikiki. Depuis l’ouverture démocratique d’après la Grande Blessure d’Octobre, il se passe chez nous des choses inimaginables sous l’ère Boumediène. Une presse plurielle. Une télévision en tamazight (enfin, presque). La prolifération des partis politiques. La liberté de parole. Et tout le reste ! On a même le droit de faire grève et de battre le pavé, quand on ne se fait pas remballer par la police.
Et quand la police bat le pavé, à son tour, pour demander le départ du grand manitou (Hamel, en personne), réclamer des augmentations salariales (primes en sus, si affinités) et adoucir le fameux zoning, qui va l’en empêcher ? La police ? Elle manifeste, pardi. Je pense que si ce corps est arrivé à cette extrémité, c’est qu’il est sain et qu’il a mis en avant l’esprit de corporation. C’est déjà un point positif. Quand la police tourne le dos à certains responsables, dont le directeur de cabinet de la présidence, c’est que la police sait qu’il vaut mieux avoir affaire au bon Dieu qu’à ses saints. Alors, la police a réclamé Sellal, le Président de fait. Les choses ont, dès lors, entamé la cinquième vitesse. Conseil interministériel. Commissions. Et décisions. On aboule le fric, sans plus. Le pèze, on le met à votre disposition. Mais rentrez dans vos casernements et faites en sorte que d’autres corps ne viennent pas (re)battre le pavé. Et le chef de la police ? Pas touche ! Et le syndicat ? Pour quoi faire ? Il y en a déjà un, la glorieuse UGTA. Et il y a des langues fourchues qui parlent de crise de régime ! Jamais ! Au contraire, la pyramide du régime est plus que jamais dans ses bottes. Qu’un Algérien ouvre sa g…, on la lui remplit de miel. Drahem idirou trig f’lebhar ! Ainsi ont dit les Anciens ! Maintenant, je suis dans l’expectative : la police va-t-elle prendre les sous et reprendre leurs bâtons de policiers ? Ou va-t-elle exiger surtout un syndicat autonome ?
Dans une de nos contrées, j’ai lu qu’un citoyen a subtilisé l’arme (un Beretta, rien que ça !) de son ami pour aller menacer la famille de sa dulcinée qui refuse de la lui marier. Cette histoire m’a fait marrer. Sincèrement, elle m’a fait marrer. J’ai essayé de visualiser la scène : le jeune homme, le cœur battant la chamade, amoureux transi, qui se présente devant le domicile de sa belle et qui la réclame une arme de poing braquée vers le paternel : «Vous me la donnez, oui ou zut, celle qui m’empêche de dormir la nuit et qui m’obnubile le jour ?» Branle-bas de combat. SOS. Appelez Police secours. Ça y est, elle n’est plus en grève. Convoquez le conseil de sécurité. Imaginez le vioque, la moustache furax, la bave au coin des lèvres et le poing serré à faire péter les veines. «Ah, oui. Tu la veux ? Tu viens chez moi, armé, m’enlever le serr… Wallah, ma tahbat lek menna…» La police arrive au pas de charge (elle n’est plus en grève), embarque le Roméo national… Mais, en fait, pour en faire quoi ? La prison ? Ça me rappelle les harraga. Ils tentent, en désespoir de cause, de brûler la mer, se font prendre par les gardes-côtes et se font jeter en prison. Un peu comme les candidats au suicide qui se font punir pour avoir bravé la mort. Ce triangle équilatéral est sous-tendu par le désespoir, c’est tout. On ne rajoute pas le désespoir au désespoir, ni l’essence au feu. On doit proposer une solution idoine à ces désespérés.
Qui se souvient de la révision constitutionnelle ? Personne. Moi si. Celle-ci a été menée tambour battant par un énarque qui a fait le tour des jobs à décret, sauf celui de Président. Là, il lui faut attendre et réfréner ses ardeurs. Je subodore un autre mandat, ouais, un autre mandat, à la Bourguiba. Et pourquoi pas ? Impossible n’est pas algérien, qu’on se le dise ! Ah, la révision ? Qu’elle attende ! On a d’autres chats à faire dégringoler des gouttières. Puis, on verra. On révisera la Constitution, le code de la route, le code des marchés et le code d’honneur. On révisera : à notre guise. Bel gosto, ya kho ! Le temps est pour nous.
Les walis, aussi, attendront leur mouvement. Pourquoi veulent-ils être mouvementés ? Ils sont bien dans leur «vilaya» respective. Et ceux qui ont plus de cinq ans de wilayisme ? Et les ministrables ? Et ceux qui attendent en bas de l’échelle pour grimper ? Et les soubrifis qui veulent être wilayisés ? Ah, la révision constitutionnelle ? Elle arrive, elle arrive, elle ne fait qu’arriver. Apporte-t-elle du nouveau, du concret ? Qui sait ? Peut-être un brin de folie pour faire redémarrer la maison Algérie, en proie à ses démons. Je disais, donc, de la révision découleront beaucoup de choses : des ministres partiront, d’autres viendront ; des walis monteront pour être ministres, d’autres iront en retraite reprendre le jogging ; des soubrifis monteront brifis. L’OMC nous ouvre ses bras, on s’y réfugiera. On réglera le problème libyen. Le Mali sera un vieux souvenir. L’autoroute Est-Ouest sera doublée d’une ligne ferroviaire, un TGV sorti tout droit des usines de chez nous. La police aura son syndicat. Tamazight sera langue d’enseignement obligatoire. Tamanrasset sera capitale de la culture amazighe. Le vaccin Ebola aura été algérien. Mais, chers compatriotes, ayez un peu de patience, laissez-nous réviser d’abord la Constitution.
L’autre jour, j’ai rencontré un vieux de la vieille, Si El Hocine pour le nommer, à qui j’ai demandé : «Ça va ?» C’est ce qui me semblait être la moindre des choses. J’ai été surpris (et amusé) par sa réponse : «Dis-moi si ça ne va pas ?» Il y a plus de «ça ne va pas» que de «ça va». Mendba fi koul djih ! Sans le vouloir, j’ai rencontré un algéro-sceptique comme moi. Bientôt, je monterai un parti politique. Mais après la révision !
Y. M.



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