Contribution : Une journée particulière
Naoufel Brahimi El Mili
Paris capitale du monde. Le ton est donné ce dimanche 11 janvier.
Alors qu’avec mon tropisme algérien je croyais que Paris était le centre
de soins privilégiés de certains Algériens et non des moindres. Ai-je
oublié de mentionner Grenoble ? Peu importe.
Journée historique, inouïe, magnifique, la course aux superlatifs est
lancée quoique justifiée. 2015 peut enfin commencer alors que l’année
écoulée s’est terminée autour du débat sur le suicide français. La
preuve du contraire est donnée, j’ai envie de dire, aux quatre millions
de Français qui ont manifesté dimanche : «Merci pour ce moment.» En
effet, jusqu’à dimanche midi, j’étais très pessimiste pour moult
raisons. Antisémitisme et islamophobie s’installaient dans un dangereux
face-à-face. Il est à préciser que l’antisémitisme est parfois, voire
trop souvent, meurtrier. L’islamophobie commençait à s’exprimer
virilement à travers une vingtaine d’attaques contre les mosquées. Le
couple islamophobie-terrorisme s’inter-fécondait et ce n’est sans doute
pas fini. Aussi étais-je inquiet par le niveau dérisoire des débats et
polémiques anté-manifestation (le Front national boycotté et qui a fini
par s’auto-isoler, des articles sur une relation entre une ancienne
secrétaire d’Etat et le directeur de Charlie Hebdo) publiés ici et là.
Cependant, en me dirigeant vers la place de la République, j’étais plus
frappé par un marchand de merguez qui s’appelait Charlie que par
l’immense foule. Oui, j’étais obligé de revoir à la baisse mon
pessimisme. Sans pour autant verser dans la béatitude car une fois que
nous aurions quitté la planète «Charlie» et serions redescendus sur la
planète «Terre», où nous avons un peu plus nos habitudes, qu’allons-nous
faire ? Changer notre prénom d’état civil ? C’est compliqué. Postuler
pour devenir policier ? Ce n’est pas simple. Se convertir au judaïsme ?
C’est très complexe.
Mais retenons le slogan : «la France debout.» Cette même France qui a
réussi la prouesse d’organiser un G50 en 48 heures. Bravo. Scène
internationale exceptionnelle où le Président algérien ne pouvait se
rendre pour des raisons de santé que les Français connaissent très bien.
Abdelaziz Bouteflika se fait représenter par son ministre des Affaires
étrangères. Très bonne décision. Pour une fois qu’il applique le slogan
de son feu patron, Houari Boumediène : «L’homme qu’il faut à la place
qu’il faut.» Tollé dans une partie de l’Algérie car une délégation du
pays du million et demi de martyrs sera aux côtés du Premier ministre
israélien. C’est un détail de l’Histoire, avais-je envie de rétorquer.
Avez-vous oublié que, fraîchement élu pour la première fois, Bouteflika
était desservi par un excellent agenda funéraire qui lui a permis de
réapparaître sur la scène internationale. Mort de Hassan II : notre
président a échangé des mots avec Ehud Barak, alors Premier ministre
d’Israël. Mort du roi de Jordanie : que du beau monde. Mort de Hafez Al-Assad
: il y était. Alors au nom de quoi l’Algérie se devait-elle d’être
absente ce dimanche 11 janvier ? La seule question qui se pose
éventuellement est l’absence du Premier ministre Sellal qui avait
représenté l’Algérie à Washington lors du sommet Etats-Unis- Afrique et
qui était venu à Paris avec 15 ministres dégainant leurs stylos pour
signer tous les accords possibles et imaginables par les Français.
Aussi, Sellal arborant : «je suis Charlie» aurait été harmonieux tant
que ce prénom renvoie au surnom d’un célèbre comique muet. Quoique
Sellal parle. Hélas ? Lamamra était présent sans être visible. Belle
performance. Il est un acteur incontournable de la diplomatie régionale,
c’est indéniable, quitte à être Charlie à Paris, le temps d’un dimanche,
le premier dimanche des soldes. Tout n’est donc pas perdu.
Mais hormis les deux ou trois chefs d’Etat qui ont été plus convoqués
qu’invités, certains n’avaient pas leur place dans cette manifestation.
A commencer par le Qatar, pays d’où a été lancée, dès juin 2011, une
fetwa pour le djihad en Syrie. Ce même pays a inventé le concept de
djihadiste-défenseur des libertés. Il s’agit en fait d’un recyclage
conceptuel des djihadistes qui combattaient le soldat soviétique en
Afghanistan. C’était une autre époque avec guerre froide et sans
internet. Des représentants libyens y étaient aussi, mais cette fois-ci
sur la place de la République, loin de l’hôtel Raphaël où BHL les
conviait. Le Premier ministre turc y était aussi. Son prédécesseur
Erdogan a dénoncé violemment le Danemark, pays qui a publié pour la
première fois les caricatures de Mahomet. Au point où Erdogan s’était
farouchement opposé à la nomination de Anders Fogh Rasmussen, comme
secrétaire général de l’Otan, car il était danois donc forcément
complice des caricaturistes. Le président américain, Obama, était obligé
de se déplacer à Ankara pour qu’Erdogan fléchisse. Et dimanche le
Premier ministre turc se proclamait Charlie.
Quittons la planète Charlie. Les quatre millions de manifestants
n’étaient pas dans une logique «Love and Peace» mais ils exprimaient
aussi une demande de sécurité. Comment y répondre ? Par un «Patriot Act»
à la française ? Ou encore comme l’avait déclaré, sur un ton bushien,
François Fillon : «faire la guerre au terrorisme» ? Non, le terrorisme
est une affaire de renseignement et de police et non l’occasion
d’augmenter le nombre d’heures de vol des Rafales. La mission est très
difficile d’autant plus que les cibles sont trop nombreuses et ne
peuvent être indéfiniment protégées. En 2015, on découvre que les
prisons françaises sont des universités d’été permanentes pour des
djihadistes en herbe. Alors que 20 ans auparavant avec l’affaire Khaled
Kelkal, impliqué dans les attentats de 1995, la prison française était
déjà pointée du doigt. L’école est défaillante car des enfants n’ont pas
respecté une minute de silence. Non, ce n’est pas «un chahut de gamins»
(pour reprendre une expression d’un responsable algérien qualifiant les
émeutes d’Octobre 1988), le mal est plus profond.
Oui, l’Algérie était présente à ce G50 quasi-improvisé. D’autant plus
que les médias n’ont pas hésité à rappeler les origines algériennes des
frères Kouachi, auteurs de ces innommables actes. Du coup, les musulmans
d’origine algérienne sont doublement suspects, et de par leur confession
et de par leur attachement affectif territorial. C’est la double peine.
Lamamra avait le bon profil pour remplir cette mission : efficace et
discret. Tant pis si son Premier ministre voit en lui un successeur,
certes mais de qui ?
Oui, dimanche était une journée particulière. Un peu comme le film
d’Ettore Scola qui se termine par l’arrestation de Gabriele (Marcello
Mastroianni), homosexuel intellectuel et par le retour d’Antonietta
(Sophia Loren) à ses servitudes conjugales.
N. B. E. M.
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