Chronique du jour : CE MONDE QUI BOUGE
Il faut arrêter de se voiler la face
Par Hassane Zerrouky
C’était
il y a douze ans, un 2 juillet 2002. «Si le terrorisme est battu,
l’intégrisme est encore intact. Vous n’avez qu’à entendre les prêches
dans les mosquées, le contenu de la télévision, l’école», déclarait, en
des termes crus et sans détour, le général Mohamed Lamari devant un
parterre de journalistes. Douze ans après, l’avertissement du regretté
chef d’état-major de l’ANP résonne plus fort que jamais. L’islamisme,
dans sa version salafiste, est d’une actualité brûlante, comme l’a
illustré la manifestation islamiste de vendredi dernier, à Alger et
ailleurs, sur le thème de «je suis Mohamed». Parmi les manifestants, des
bénéficiaires de la politique de réconciliation nationale, membres d’une
organisation armée islamiste luttant pour instaurer un Etat théocratique
islamiste, des gens que feu Abdelhamid Mehri qualifiait alors de
«mouvement de résistance qui bénéficie de l’adhésion du peuple» (La
Tribune du 22 novembre 1994).
Douze ans après les propos de Mohamed Lamari, l’islamisme dit radical
relève la tête. Il est redevenu visible, défend ses thèses sur les
plateaux de télés privées algériennes, profère des menaces contre des
journalistes et des acteurs de la société civile politique. Le ministre
des Affaires religieuses, Mohamed Aïssa, a fait part de son inquiétude.
Il est bien le seul au sein du gouvernement à l’exprimer publiquement.
«Je remarque sur certains plateaux des invités qui excommunient
carrément des Algériens de leur religion, les considérant comme des
païens et des apostats», a-t-il déclaré dimanche sur la Radio Chaîne
III. «Je crois qu’il est temps d’interpeller surtout les chaînes
satellitaires. J’ai exhorté ceux qui invitent des références religieuses
sur leurs plateaux à nous consulter», a-t-il poursuivi avant de lâcher :
«C’est tout ce que j’ai comme prérogative.» Si donc Mohamed Aïssa ne
peut rien contre ces télés, que fait alors le ministère de la
Communication et, plus généralement, le gouvernement pour, non pas
interdire d’activité ces télés évoquées par le ministre des Affaires
religieuses, mais les inviter à cesser de servir de moyen de diffusion
du salafisme wahhabite générateur de violences.
Il en va de même des prêches incitant à l’intolérance dans une bonne
partie des mosquées squattées à nouveau par les salafistes et les
«repentis» qui ne se sont jamais repentis. Face à cette situation
inquiétante, Mohamed Aïssa a annoncé avoir demandé aux imams d’inviter
«les fidèles à rester dans le contexte réel de la défense du Prophète et
de la promotion de sa tradition. C’est-à-dire qu’au lieu de crier, de
brûler et d’incendier, il est préférable de démontrer que l’Islam est
une religion d’entente, de cohabitation, de convivialité, de propreté et
d’hygiène…».
En effet, que retiennent les non-musulmans en Europe et ailleurs, de
l’Islam, si ce n’est des images de violences, de sang, de destruction de
mausolées, d’emblèmes nationaux brûlés ? Est-ce que les images de ce
petit garçon de 12 ans exécutant d’une balle dans la tête deux otages
russes en Syrie, de ces soldats et civils syriens et irakiens égorgés au
cours d’une cérémonie publique, diffusées par l’Etat islamique du calife
autoproclamé Al-Baghdadi servent la cause de l’Islam ? Et en quoi la
vente aux enchères de 700 femmes yazidis sur une place publique de
Mossoul, au prix de 150 dollars chacune, sert-elle la cause de l’Islam ?
Et que dire de cette femme d’origine birmane décapitée lundi dernier en
Arabie saoudite ou de la condamnation du blogueur saoudien Raif Badawi à
10 ans de prison et à 1000 coups de fouet, à raison de 50 coups par
semaine, ou encore de l’assassinat d’Hervé Gourdel chez nous en Algérie,
sans compter la prise d’otages sanglante de In Amenas en janvier 2013 ?
Allez avec ça expliquer à des non-musulmans que l’Islam n’a rien à voir
avec cette violence, le terrorisme et ces meurtres que diffusent par
vidéos sur le Web les groupes djihadistes comme l’Etat islamique ou le
Front al-Nosra. Et comment l’expliquer si on ne commence pas par
dénoncer ces violences, leurs commanditaires et la matrice salafiste qui
génère de tels actes.
Arrêtons de se voiler la face : Charlie Hebdo ne doit pas servir de
prétexte pour masquer les crimes commis par l’Etat islamique et Djebhet
Nosra et ceux qui les soutiennent. Prenons exemple sur la Tunisie, et
débattons y compris avec les tenants de cette idéologie salafiste qui,
pour l’heure, déroulent tranquillement et sans contradicteurs, leurs
discours sur les plateaux télé, dans les lieux de prière, et occupent un
espace public interdit aux courants porteurs de modernité et de progrès
social.
H. Z.
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