Chronique du jour : Les choses de la vie
Des usines à la place des «hanout» !


Par Maâmar FARAH
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Achaque fois que j'aborde le problème des importations massives, anarchiques, souvent superflues et fortement préjudiciables à l'économie nationale, il s'en trouve qui me répondent : «Mais nous ne pouvons pas empêcher les marchandises de rentrer. Nous sommes liés par des accords ; nous devons ouvrir davantage nos frontières pour pouvoir adhérer à l'OMC» et j'en passe... Pourtant, lorsque l'Europe et les Etats-Unis se sont sentis «menacés» par l'importation généralisée du textile chinois, des mesures protectionnistes ont été prises sans que personne crie au scandale ! D'autres pays émergents, comme l'Inde, interdisent parfois l'entrée de marchandises qui mettent leur propre production en danger ! Pourquoi pas nous ? Pourquoi ces biscuits et ces spaghettis tunisiens ? Ces jus émiratis? Ces limonades turques et libanaises ? Sans parler des eaux minérales, du vin à deux sous provenant de France ? Ou encore de bière, un produit pourtant fabriqué en Algérie par millions d'hectolitres ? S'agit-il de produits «stratégiques» ? Alors me vient une question absolument essentielle : sommes-nous libres ?
Cette interrogation pose un véritable problème et pas seulement sur le plan économique. Sommes-nous libres politiquement ? Lorsque le président Sarkozy avait «convoqué» des présidents méditerranéens pour un conclave de pur style folklorique, un 14 juillet de surcroît, nous avions évoqué cet aspect fondamental des relations Nord-Sud qui ne veulent pas se débarrasser de leur caractère colonial même si le discours est enrobé de bonnes intentions. Nous avions stigmatisé l'UPM, cette nouvelle organisation verticale dont le but était d'étouffer davantage nos économies en les soumettant à l'hégémonie du grand capital international : seul l'intérêt des multinationales primerait. Nos pays sont vus comme d'immenses réceptacles des marchandises produites en dehors de nos frontières. Les industries puissantes n'étaient pas pour nous. On nous conseillait de nous occuper d'agriculture et de tourisme.
Ah, l'agriculture et le tourisme ! Franchement, n'est-ce pas revenir à l'époque coloniale ? L'Algérie était un pays agricole qui exportait une variété de produits de bonne qualité vers la métropole. Le tourisme n'existait pas encore sous forme d'industrie moderne. Quant aux matières premières dont regorge notre sous-sol, elles étaient également acheminées vers les grands centres de l'industrie française. On nous proposait, ni plus, ni moins, de revenir à cette conception dépassée et contraire aux intérêts nationaux. Il n'y a pas que les néocoloniaux qui nous conseillent d'abandonner la voie industrielle ; beaucoup de théoriciens algériens recommandent de privilégier l'agriculture et de laisser tomber l'activité secondaire en s'appuyant sur les supposés déboires de l'expérience algérienne des années 1970 !
Pourtant, c'est cette expérience unique en Afrique, cette courte parenthèse où le génie algérien a pu briller et exceller dans divers domaines, qui fait encore notre fierté. Oui, l'industrie industrialisante n'était pas une fantaisie, un caprice révolutionnaire ruineux, comme l'affirment certains. Avec très peu de moyens comparativement à la situation financière présente, l'Algérie a pu développer des industries sidérurgiques, mécaniques, pétrochimiques, chimiques, textiles, agroalimentaires, du cuir, etc. qui ont permis de répondre aux besoins des secteurs-clés et d'offrir des centaines de milliers de postes de travail, tout en propulsant la société algérienne dans la modernité.
Lors de la récente «inauguration» d'une usine — qui existait déjà — et qui produit désormais des tracteurs Massey Ferguson, personne, ni dans la grande presse, ni dans les discours officiels, n'a rappelé que cette unité était le pur produit de l'industrie de Boumediène- Abdesselam et qu'elle a fabriqué, durant plus de trente années, ces beaux «Cirta», tracteurs très demandés par nos agriculteurs ! Rares ont été ceux qui avaient signalé que les moteurs destinés aux nouveaux tracteurs sont de pure fabrication algérienne et que leur production date de la même époque. Un exemple parmi d'autres, qui devrait inciter les responsables actuels à revenir à la conception des années 1970 et à cesser d'autoriser l'exportation de nos matières premières qui devraient nécessairement être transformées ici même. Tant que nous n'aurons pas mis en place un plan audacieux de remise en marche de ce formidable potentiel industriel, tant que nous n'aurons pas compris que la terre ne déménagera pas et que son tour viendra quand nous aurons bien assis une bonne organisation foncière et mis la production planifiée à la tête de nos préoccupations, tant que nous n'aurons pas compris que le tourisme ne peut être une primauté dans un pays du tiers-monde sérieux (où en sont l'Egypte et la Tunisie ?), l'importation aura de beaux jours devant elle. Pourtant, tous les indicateurs sont au vert pour reprendre cette politique massive, hardie d'industrialisation sans laquelle il n'y aura pas d'économie prospère en Algérie. Nous avons les premières matières en quantité et en qualité : l'uranium, l'or, la bauxite, le manganèse, le zinc, le plomb, le cuivre, le fer, le phosphate, le molybdène, la magnétite, la barytine, le wolfram, l'étain... Toutes ces richesses sont livrées à des sociétés privées qui n'ont aucune politique de transformation in situ et qui les exportent vers les industries étrangères ! Nous avons une main-d'œuvre qui peut être formée en peu de temps.
Nous avons l'argent qui dort dans les coffres des banques étrangères. Nous avons une énergie parmi les moins coûteuses au monde. Alors, vient à l'esprit une question qui nous taraude depuis que le couple Khelil-Temmar s'est chargé d'abattre les derniers pans de notre industrie : qui a intérêt à abandonner toutes ces richesses et à privilégier leur exportation ? Et qui a intérêt à importer davantage de produits manufacturés, souvent du bric-à-brac de qualité douteuse provenant d'Asie ?
Quand nous comprendrons que la priorité n'est pas d'exporter à tout prix mais d'abord de répondre aux immenses besoins de notre population par nos propres moyens, nous aurons fait le premier pas pour nous dégager des flots sablonneux qui retiennent encore le navire Algérie dans les eaux glauques de l'ultralibéralisme. Deux solutions s'offrent à nous : repartir vers le large et naviguer vers la liberté et le progrès ou nous fracasser contre les rochers.
M. F.

P. S. : Si je republie cette vieille chronique, c'est parce qu'il me semble qu'il y a du nouveau par rapport à la situation décrite ici. Il s'agit de l'intérêt porté désormais à l'industrie publique et qui s'est déjà manifesté par la reprise des mines de l'Ouenza-Bou Khadra et du complexe d'El-Hadjar et poursuivie par les dernières décisions de renforcer ce secteur. Nos lecteurs doivent savoir que le «géant» ArcelorMittal n'a jamais pu égaler les performances réalisées par les ouvriers et les managers algériens du temps où ce complexe était à 100% algérien ! Quant au secteur privé, il a d'énormes possibilités de se développer. Mais qu'il investisse dans la transparence et ne lorgne plus du côté de nos unités bâties par la sueur, les larmes et le sang des braves. Temmar et Khelil, c'est fini ! Les travailleurs de la SNVI Rouiba ont d'ailleurs lancé un avertissement aux aventuriers ! Rouiba ? Ce fut le point de départ du 5 Octobre. Alors, allez voir ailleurs !



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http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2015/02/19/article.php?sid=174900&cid=8