Culture : Noces de sang de Ziani Cherif Ayad présentée au TNA
Grandiloquence et littérature figée
Adaptée de la pièce éponyme de Federico Garcia Lorca,
Noces de sang signe le retour de Ziani Cherif Ayad sur les planches. Le
théâtre national algérien a accueilli la Générale de cette œuvre qui
peine à convaincre.
Le propre d’une adaptation réussie est une totale réappropriation de
l’univers de l’auteur original, une vision globale qui transforme,
quitte à les distordre, les codes de l’œuvre empruntée et, enfin, un
juste équilibre entre cette réécriture contrôlée et la loyauté
indispensable au texte de départ.
Produite par le Théâtre régional Azzedine-Medjoubi de Annaba, Noces de
sang revisite ce drame andalou à la construction typique qui raconte une
histoire d’amour impossible, un mariage arrangé, une fugue des deux
amoureux le soir des noces et un dénouement évidemment tragique... Sur
scène, on découvre d’abord la Madre avec son jeune fils (le Novio)
cernés par les deux photos du père et du frère assassinés, il y a
longtemps, par une famille ennemie. Le Novio se mariera bientôt, ce qui
est loin de réjouir sa mère promise à une fin de vie solitaire.
Les dialogues entre ces deux personnages annoncent la couleur : entre le
littéraire et le vernaculaire, l’écriture très fournie de la pièce
reproduira tous les travers de ce qu’on appelle «la troisième langue»
dont l’alibi poétique ne parviendra pas à en masquer l’aspect dévitalisé
et déclamatoire.
C’est sans doute cette volonté de surligner la tragédie à travers des
dialogues grandiloquents et criards qui relègue le spectacle théâtral au
second plan. Volubiles et statutaires, les comédiens semblent endosser
leurs personnages comme un fardeau tant ils s’engluent dans une
interprétation rigide dont la surcharge sémantique empêche toute
expression scénique convaincante.
Cette dramaturgie volumineuse et néanmoins disloquée est d’autant plus
repoussante que le travail d’adapt/ation se limite à un transfert
linguistique signé Ziani Cherif Ayad et le compositeur de musique
andalouse Noureddine Saoudi. On retrouve d’ailleurs toute la préciosité
de ce répertoire dans les longues tirades des comédiens : une richesse
lyrique qui fait certes la beauté d’une chanson mais qui est loin de
servir le langage théâtral.
L’adaptation ne s’étendra cependant pas à la sociologie de la pièce
puisqu’on gardera tels quels lieux et prénoms de l’œuvre originale ; un
choix qui, à défaut d’être atypique, sera un énième poids pour la
narration et la synergie entre les comédiens et leurs rôles.
On peut donc aisément comprendre qu’une telle profusion de fioritures
littéraires et d’écueils narratifs freine l’élaboration d’une mise en
scène éloquente malgré la densité de la scénographie, parfois même
superflue, signée par l’artiste plasticien Arezki Larbi. Noces de sang
est une pièce où les tableaux se succèdent sous une lumière statique
sans qu’aucun ne parvienne à créer une esthétique visuelle digne de
l’art de scène qu’est le théâtre. L’importance exagérée conférée au
texte grignote ainsi tous les espaces censés revenir en priorité au
langage corporel, au relief psychologique et à l’émotion… Pis encore, on
ne peut pas même arguer que la pièce s’appuie essentiellement sur sa
beauté littéraire (laquelle aurait pu compenser le manque de
propositions formelles) car le texte de Ayad et de Saoudi est construit
sur une certaine idée de la langue populaire qui, dans son attachement
quasi-réactionnaire à la pureté linguistique, finit par perdre tout son
intérêt poétique et devenir tout simplement lassante…
Sarah Haidar
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