Soirmagazine : L’entretien de la semaine
Douakha S., psychologue clinicienne au secteur public, au soirmagazine :
«A l'âge adulte, ce trouble du comportement apparaît sous forme
d'autorité envers l'entourage»
Par Noureddine Guergour
Nous avons tous rencontré ou entendu parler des personnes qui
veulent faire tout elles-mêmes. Ces attitudes sont généralement source
d'une multitude de conflits sociaux. Douakha S., psychologue clinicienne
exerçant à Guelma, nous livre, dans cet entretien, son analyse sur le
sujet et ses répercussions sur la société et la famille.
Soirmagazine : Vouloir faire tout soi-même relève-t-il d'un trait de
caractère ou cache-t-il un dysfonctionnement de la personnalité ?
Mme Douakha S. : Je dirais que c'est un signe qui exprime beaucoup
plus un dysfonctionnement de la personnalité chez certains individus.
Car il s'agit en fait de personnes qui veulent tout contrôler, mais à
des degrés divers, dans le domaine professionnel, familial et parfois
même dans la vie de couple. C'est vrai que nous aimerions parfois avoir
le contrôle sur certains événements, mais cela devient problématique
quand il s'agit de choses qui doivent être forcément hors de notre
contrôle. Il s'agit d'une conduite stérile, souvent source de stress et
d'angoisses chroniques, qui se répercutent sur le comportement, la
personnalité et les perceptions.
On décrit parfois une instabilité de l’humeur non maîtrisable chez
certaines personnes qui présentent une profonde détresse qui n'est pas
sans conséquences sur leurs activités sociales, professionnelles et
éducatives. Pour s'en débarrasser il faut impérativement prendre
conscience de ces aberrations pour «lâcher-prise», un qualificatif
utilisé dans le jargon de la psychologie sociale, pour décrire ce
trouble du comportement. C'est-à-dire changer notre façon de percevoir
certains évènements. Seulement, pour pouvoir changer ces habitudes, il
faut nécessairement faire preuve de souplesse et d'habilité. Donc, c'est
beaucoup plus comportemental que caractériel.
A quel âge peut-on déceler ce type de comportement ?
Généralement, les signes de ce type de comportement apparaissent tôt,
mais considérés comme des réactions normales, ils ne sont pas forcément
remarqués par l'entourage. L'enfant et l'adolescent présentent une forme
d'égoïsme qui se manifeste par une envie folle de toucher à tout, de
contrôler tout... Elle se traduit par des décisions fermes d'accomplir
soi-même certaines tâches à la maison, à l'école ou avec les amis du
quartier, par exemple couvrir les cahiers et les livres, organiser des
jeux et des rencontres de football... Car cela lui procure une grande
satisfaction morale. On note une certaine maturité chez ces jeunes par
rapport aux enfants du même âge, des difficultés d'adaptation dues à un
sentiment de supériorité, un excès d'assurance en classe, avec le risque
d'un jugement négatif de la part des camarades. A l'âge adulte, ce
dysfonctionnement apparaît sous forme d'autorité envers l'entourage, et
ce, en voulant avoir un regard sur tout, donc c'est un comportement qui
attire l'attention de l'entourage.
Quels sont les facteurs déclenchants et peut-on parler d’hérédité
dans ces cas-là ?
Plusieurs personnes sont touchées par ce type de troubles du
comportement, mais seulement peu d'entre elles sont réellement prises en
charge. Il convient donc d’observer quels sont les facteurs déclenchants
de cette attitude dont l'origine demeure jusqu'à maintenant assez floue.
Mais selon les avancées de la recherche, il semblerait que plusieurs
facteurs soient responsables de ces comportements, et ce, de façon très
distincte. Il s’agit des pistes psychique et sociale.
Le facteur psychique est très discuté par les spécialistes. Comme je
viens de le dire, si le caractère ne peut pas être mis en cause, le
dysfonctionnement de la personnalité peut, en revanche, faire partie des
étiologies possibles de ce type de comportement. Des psys ont évoqué des
formes d'égoïsme et d'arrogance qu'ils attribuent à un excès de
confiance en soi, qui, d'après eux, possède une grande part de
responsabilité chez ces personnes. Par contre, selon plusieurs
spécialistes, rechercher le caractère héréditaire de ces comportements
n'est pas du tout logique, ces derniers sont convaincus que cela est
vraisemblablement lié aux expériences vécues durant l'enfance et à
l'influence des parents et de l'entourage en général.
Quelles sont les répercussions qu'engendre cette attitude sur la ou le
conjoint, la famille, l'entourage professionnel ?
A force de vouloir contrôler tout ce qui nous entoure, que ce soit les
collègues, le conjoint, ses enfants, notamment leurs manières de faire
les choses, leurs opinions et parfois même leurs apparences cela crée
des situations inconfortables pour tous. Pour restaurer le climat de
confiance, il faudrait donc lâcher prise, qui est incontestablement une
forme d'acceptation de nos limites. Il s'agit en même temps d'un acte de
reconnaissance des autres dans leurs différences de voir les choses et
leur capacité d'accomplir leurs tâches. malheureusement, la tentation de
refuser est parfois grande car ces personnes trouvent que changer
brusquement n’est pas conforme à leurs désirs. Donc, le besoin de
contrôler tout les oblige le plus souvent à camper sur leurs positions,
et cela est souvent source de plusieurs conflits sociaux. Il est donc
impératif de prendre conscience de l’absurdité de vouloir contrôler ce
qu’on ne peut ni changer ni améliorer.
Si l'on considère que c'est un mal psychologique, peut-on en guérir ?
Pour espérer se débarrasser de ce problème d'ordre psychologique, il
faut d'abord réaliser qu'on ne peut jamais changer le cours des
événements ni les personnes. En revanche, il est très possible de
changer notre façon de percevoir les choses.
A ce moment-là, on peut dire qu'on est arrivés dans le lâcher prise. Un
acte qui nous permettra désormais de nous débarrasser des situations
angoissantes et stressantes.
Donc, c'est beaucoup plus un problème de prise de conscience, pour faire
la part des choses entre les responsabilités et les droits de chacun.
Mais cela n'est possible qui si on fait preuve de souplesse et de
volonté, pour pouvoir se rendre compte de l'absurdité de l'envie de tout
contrôler. Cela nous permettra incontestablement de développer la
capacité à lâcher prise, et donc accepter nos limites et nos véritables
valeurs, mais également accepter les autres. Je dirais enfin qu'avoir
cette volonté de changer, c'est accepter de se débarrasser de cette
conduite stérile.
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