Contribution : Problématique de la maîtrise de la demande nationale d’énergie
Par Salah Azzoug
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Les prix du marché international du pétrole et du gaz chutent fortement,
les importations de biens de toutes sortes s’envolent, et, pour corser
le tout, le volume des exportations d’hydrocarbures se contracte du fait
d’une demande nationale d’énergie qui explose. Telles sont les variables
principales de l’équation financière qui se pose à notre pays.
Cette équation, complexe aujourd’hui, risque, si l’on n’y prend pas
garde, de devenir carrément irréductible dans un proche avenir. Comment
maîtriser ces variables est la question à laquelle il faudra apporter
rapidement des réponses. Influer sur le niveau des prix des
hydrocarbures n’est pas possible car ce paramètre relève de facteurs
exogènes indépendants de notre volonté. Restent donc les deux autres
variables sur lesquelles il est encore possible d’agir. S’agissant des
importations, tout le monde s’accorde, à juste titre, sur la nécessité
de les revoir substantiellement à la baisse.
Quant à la demande intérieure d’énergie, il n’est plus possible de se
contenter de la satisfaire sans prendre d’actions à l’effet de la
rationaliser. C’est sur ce dernier volet que je souhaite vous présenter
mon point de vue.
Analyse de la demande : une consommation globale relativement peu
élevée mais un grand gaspillage
La consommation nationale d’énergie primaire a été de l’ordre de 53
millions de tonnes équivalent pétrole (Tep) en 2013. Elle comprenait 35
millions de Tep de gaz naturel, 16 millions de Tep de produits
pétrolières et 2 millions de Tep de GPL. 42% de la consommation du gaz
naturel sont utilisés dans la génération électrique, 32% dans
l’industrie et 26% par le secteur résidentiel et tertiaire. Les produits
pétroliers sont, eux, utilisés quasi-exclusivement dans le secteur des
transports.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, ce niveau de consommation
n’est relativement pas élevé. Il équivaut à une consommation annuelle
moyenne de 1,35 Tep par habitant, soit un taux largement inférieur à la
moyenne mondiale qui est de 1,9 Tep /hab.
Il est encore nettement plus bas que celui des pays développés (4-8
Tep/hab.) et des pays émergents telle l’Afrique du Sud (2,7 Tep/hab). La
consommation électrique nationale est, elle, de l’ordre de 1200 Kwh/hab/an,
soit à peine le tiers de la moyenne mondiale (3045 Kwh/hab/an) et le
quart de celle de l’Afrique du Sud (4604 Kwh/hab/an).
Quant au taux de motorisation de notre pays, il avoisine 80 véhicules de
tourisme pour 1000 habitants. Là encore, ce taux est plus bas que la
moyenne mondiale (123 véhicules/1000 habitants) et que ceux des pays de
l’OCDE (400-600 véhicules/1000 habitants), de l’Afrique du Sud (112
véhicules/1000 habitants) et de la Tunisie (91 véhicules/1000
habitants). Ces statistiques, reprises en majorité sur le site de la
Banque mondiale, indiquent que nous ne consommons pas plus que de
raison.
Par contre, nous ne faisons certainement pas un bon usage de l’énergie
que nous consommons. Nous en gaspillons une bonne partie.
Innéficacité énergétique : un fléau national
Ce gaspillage peut être constaté par tout un chacun dans la vie de tous
les jours. Il est aussi révélé par les indicateurs de performance en
matière d’efficacité énergétique.
L’indice de l’intensité énergétique, qui mesure la quantité d’énergie
nécessaire pour la production d’une unité de PIB de 1 000 $, a été de
l’ordre de 0,17 Tep/ 1 000 $ de PIB pour l’année 2013. Il est une fois
et demie plus élevé que celui des pays de la CEE (0,12 Tep/ 1 000 $).
Ceci veut dire que nous consommons 50% d’énergie de plus que ces pays
pour produire la même quantité de biens. Plus grave, cet indice ne fait
que se dégrader depuis 2004.
Son évolution, telle que représentée dans la figure jointe, indique bien
une régression continue de l’efficacité énergétique. En termes plus
clairs, nous gaspillons de plus en plus.
Réglementation technique des équipements énergivores : une nécessité
absolue
Ce gaspillage n’est, de mon point de vue, pas le fait d’un comportement
«d’ébriété énergétique» intrinsèque du citoyen mais plutôt le résultat
de l’utilisation d’équipements et d’appareils énergivores bon marché qui
inondent le marché national.
En l’absence actuelle de normes, nos appareils domestiques ont un
rendement énergétique qui est deux fois, voire trois fois, plus élevé
que celui des appareils économes. Nos véhicules ne répondent, eux non
plus, à aucune norme de consommation de carburant. Même nos complexes
industriels, qui consomment plus de 70% de la demande nationale du gaz,
fonctionnent à des rendements en deçà des normes internationales.
Pour lutter contre ce fléau de l’inefficacité énergétique, l’expérience
dans le monde montre que seule la mise en œuvre d’une réglementation
technique directive et d’un régime fiscal incitatif peut être efficace.
A titre d’exemple, l’utilisation des lampes à incandescence a été tout
simplement interdite dans plusieurs pays pour des raisons de
rationalisation de la consommation électrique. Les véhicules automobiles
ont, eux, fait l’objet d’une réglementation technique stricte et d’un
système fiscal de bonus/malus un peu partout dans le monde.
En Europe, ces dispositifs ont permis de réduire la consommation moyenne
des véhicules à essence de 7 lit/100km (171gCO2/km) en 2000 à moins de 5
lit/100km (125gCO2/km) en 2014, soit un gain de près de 40% en moins de
15 ans. Selon l’Agence internationale de l’énergie, les programmes de
rationalisation qui ont été lancés dans les pays de l’OCDE auraient
permis de réaliser une économie d’énergie de 60% entre les années 1970
et aujourd’hui. Il s’agit donc de gains potentiels considérables que
l’on ne peut ignorer.
Dans notre pays, le lancement de tels programmes est une nécessité
absolue si l’on veut rationaliser notre consommation d’énergie. Dans une
précédente contribution(1), les principales mesures réglementaires à
prendre à cet effet ont été présentées.
Il s’agit de l’application de normes de consommation de carburant aux
véhicules neufs, de l’alignement du rendement énergétique des complexes
industriels sur celui d’unités similaires installées dans les pays
développés, de la réglementation du rendement énergétique des appareils
domestiques, de l’interdiction de l’importation des lampes à
incandescence et de la généralisation des normes d’isolation thermique
pour toutes les nouvelles habitations.
Relèvement des prix : mesure nécessaire mais non suffisante
Commençons d’abord par démystifier cette notion de vérité des prix des
produits énergétiques qui n’est, dans la réalité, appliquée nulle part
au monde et, surtout pas, chez les chantres du libéralisme.
Si la vérité des prix existait réellement, comment expliquer que le prix
de l’essence soit deux fois plus bas aux Etats-Unis qu’en Europe alors
que le marché du pétrole est des plus mondialisés ? Comment expliquer
que l’électricité d’origine nucléaire soit cédée en France à un prix
plus bas que dans les autres pays européens qui utilisent pourtant des
technologies (centrales à charbon ou à gaz) beaucoup moins onéreuses?
Comment expliquer que le gasoil soit vendu en Europe moins cher que les
essences alors que son coût de revient est plus élevé? Comment expliquer
que les biocarburants soient vendus au même prix que les carburants
classiques alors qu’ils coûtent deux fois plus cher ? La liste de telles
questions peut être allongée à souhait. Elles ne montrent qu’une seule
chose.
C’est que la vérité des prix est un mythe dans le domaine de l’énergie.
C’est effectivement un mythe car le caractère éminemment stratégique des
produits énergétiques contraint tous les pays du monde à les encadrer
étroitement par une politique de prix spécifique.
Que faire en Algérie ? Il faudrait, bien entendu, relever les prix de
l’énergie. Ceux-ci, gelés depuis le début des années 2000, ne
correspondent plus à la réalité du marché. Les augmenter progressivement
en fonction de l’évolution du pouvoir d’achat se justifie donc
pleinement.
Prenons cependant garde de croire que le seul relèvement des prix
réglera tous les problèmes. Il ne réglera pas, par exemple, celui du
gaspillage inouï qui résulte de l’inondation du marché par des
équipements énergivores car ceux-ci se vendent à des prix tellement
compétitifs qu’ils continueront à proliférer. Comme indiqué plus haut,
seule la voie réglementaire peut en juguler le flux. Il ne réglera pas,
non plus, la question cruciale du modèle de consommation national.
Relever, par exemple, de la même valeur les prix du GPL, de l’essence et
du gasoil ne changerait en rien la tendance actuelle à privilégier le
diesel importé aux carburants gazeux produits localement. Ce qu’il
faudrait donc, c’est un système de prix qui serve le modèle national de
consommation. Dans le domaine des carburants, ce système devrait viser à
infléchir la diésélisation du parc et à promouvoir l’utilisation du GPLC
dans les véhicules particuliers et du GNC dans les transports en commun.
Il devrait aussi concerner l’ensemble des secteurs utilisateurs
d’énergie et, notamment, celui des transports massifs. A ce sujet, les
prix des transports publics modernes (métro, tram…) devraient être plus
attractifs par rapport aux moyens de transports classiques (bus,
véhicules), plus énergivores et plus polluants(2).
Les conditions du transport ferroviaire de fret gagneraient aussi à être
revues pour sortir de la marginalisation ce mode de transport propre et
économique.
Conclusion
Actionner le seul levier de l’offre pour satisfaire une demande
nationale d’énergie sans cesse croissante ne peut constituer une
solution durable. Dans le contexte actuel, une rationalisation de la
consommation s’avère plus que jamais nécessaire. Sa mise en œuvre
requiert l’application d’une réglementation technique et d’un système de
prix qui visent mettre à niveau nos équipements avec les standards
internationaux en matière d’efficacité énergétique, à réorienter la
demande nationale vers la consommation des produits les plus disponibles
localement et à promouvoir les énergies renouvelables. De telles
dispositions devraient permettre de contenir la demande à des niveaux
gérables jusqu’à l’horizon 2025-2030.
Au-delà, notre pays, qui ambitionne d’intégrer le club des pays
émergents, devrait voir une amélioration sensible du niveau de vie de
ses citoyens et, fatalement, une consommation d’énergie plus importante.
Ceci l’amènerait à passer progressivement du statut de pays producteur à
celui de consommateur d’énergie, avec toutes les implications qui y sont
associées.
S. A.
* Ingénieur raffinage et pétrochimie.
(1) : Voir contribution du même auteur «Quelques éléments de politique
énergétique», publiée dans le Soir d'Algérie du 28 avril 2014.
(2) : Voir contribution du même auteur «La pollution de la ville d’Alger
et le prix du ticket de métro», publiée dans le Soir d'Algérie du 11
juin 2012.
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