Contribution : «Je suis Mahmoud Mohamed Taha»
Par Naoufel Brahimi El Mili
Trente ans déjà ! Le 18 janvier 1985, à l’aube, dans une prison
soudanaise, Kober à Khartoum, l’homme politique, le penseur et surtout
le théologien Mahmoud Mohamed Taha est exécuté sur décision du président
de l’époque Djaffar El-Noumeyri.
Le verdict est sans appel, après à peine deux heures de procès : «peine
capitale par pendaison». Pourquoi ? Selon ce tribunal expéditif, Mahmoud
Mohamed Taha est condamné pour «hérésie, opposition à l’application de
la loi islamique, trouble à la sécurité publique, incitation à s’opposer
au gouvernement, et reconstitution d’un parti politique interdit».
Des milliers de Soudanais se sont manifestés contre cette décision
inique. La répression aveugle n’a suscité aucune condamnation
internationale, personne n’a twité : «je suis Mahmoud Mohamed Taha».
L’inhumation de son corps a été tenue secrète, comme celle d’un
abominable terroriste. Oui sa pensée terrorise ces régimes qui font
d’une certaine lecture de l’Islam, les lois fondamentales d’un Etat.
En réalité, quel a été son crime ? Il avait simplement demandé haut et
fort l’abolition de la Charia introduite au Soudan comme loi
fondamentale en 1983. Son opposition à l’obscurantisme du régime
dictatorial soudanais est en continuité avec sa pensée et son combat.
Dès 1951, il publie son livre fondamental : «Al-rissala al-thaniya mina
al-islam», traduit en français par «Un islam à vocation libératrice».
Dans cet ouvrage, l’auteur développe la théorie d’un second message de
l’Islam. Il rappelle la différence fondamentale entre les périodes
mecquoise et médinoise du Coran. La première s’articule autour de la
spiritualité à travers la formulation des principes éthiques. Alors que
la seconde étaye une expérience historique dans un contexte figé. Pour
Mahmoud Mohamed Taha, le «Coran mecquois» est en contradiction avec le
«Coran médinois».
Le premier prône la liberté religieuse et l’égalité entre les sexes,
alors que celui de la période médinoise instaure des dogmes et principes
nécessaires à la société de l’époque mais peu adaptés à la vie moderne
et ses réalités du XXe siècle. Il dit clairement que seuls les versets
mecquois doivent constituer la base islamique d’une société moderne, il
les qualifie de «second message de l’islam».
Pour Mahmoud Mohamed Taha, la véritable vocation de l’islam est
libératrice. Il s’oppose clairement au crédo dogmatique et conservateur
dominant qui repose notamment sur la restriction, voire la fermeture de
l’effort d’interprétation du Coran (bab al-ijtihad). Son appel à un
renouveau islamique est à mettre en parallèle, toute chose égale par
ailleurs, avec la théologie chrétienne de la libération.
Pour mener son combat, le «Gandhi soudanais» (son surnom) crée le
mouvement des Frères républicains. En conformité avec son principe
d’égalité entre les deux sexes, Mahmoud Mohamed Taha forme le groupe des
Sœurs républicaines, circonstances aggravantes !
Déjà en 1945, le Gandhi soudanais avait créé le Parti républicain pour
structurer une opposition directe et ouverte à la colonisation
britannique. Nationaliste de la première heure, il connaît les prisons
coloniales et autres restrictions durant deux années.
C’est au cours de cette période qu’il approfondit sa connaissance du
Coran. Il déclara même que tout musulman peut recevoir une compréhension
éclairée de la Parole de Dieu, affirmant ainsi la place centrale de
l’individu en Islam qui peut accéder au «second message». Sa pensée
s’est répandue au Soudan seulement après la révolution d’octobre 1964
qui instaura un régime démocratique.
Son mouvement, le Parti républicain, participe activement à la fondation
du Congrès pour la défense de la démocratie, prémisse de la première (et
dernière ?) société civile dans le monde arabe.
Première confrontation avec Hassan Al-Tourabi et son Front de la Charte
islamique, version locale des Frères musulmans. Comme ces derniers
étaient aussi les ennemis du Grand Frère égyptien incarné à l’époque par
le Raïs Nasser, leur mouvement ne pouvait pas encore s’imposer face aux
Républicains soudanais.
Le coup d’Etat de 1969 de Djaffar Al-Numeyri, alors allié de Nasser,
reléguant les Frères musulmans à la clandestinité, est salué par le
Gandhi soudanais, pourtant libéral et démocrate convaincu, pour qui déjà
l’islamiste est l’ennemi premier. Seulement, le président soudanais
déstabilisé par la visite historique de Sadat à Jérusalem en 1977,
cherche l’appuie des Saoudiens qui l’incitent fortement à faire
participer les Frères musulmans au pouvoir.
Dès 1978, Djaffar Al-Numeyri déclare la réconciliation nationale (mais
sans référendum, même biaisé), Il nomme un an plus tard, Hassan Al-Tourabi,
après trois années de prison et trois années d’exil en Libye, ministre
de la Justice. La Charia est sur orbite, la messe est dite.
Mahmoud Mohamed Taha n’est pas le seul théologien qui prône un islam
libéral et adapté au monde moderne mais cette population de libres
penseurs connaît un taux de mortalité fortement élevé. Alors, éditeurs
occidentaux, vous qui défendez la publication des caricatures des
prophètes, republiez l’ouvrage de Mahmoud Mohamed Taha ou de certains de
ses disciples.
N. B. E.-M.
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