Corruptions : Le scandale de la banque HSBC (suite)
Le fichier Algérie a-t-il été «nettoyé» ?
La banque HSBC Genève (Suisse) et l’Algérie, c’est
effectivement une histoire ancienne, ainsi que nous l’écrivions dans «Le
Soir corruption» du lundi 23 février 2015. Et pour cause, en consultant
des documents rendus publics le 9 février dernier par le Consortium
international des journalistes d'investigation (ICIJ), dont le siège est
à Washington, nous avons découvert que parmi les comptes associés à
l’Algérie, il y en a qui remontent à... 1958 ! Et de nous interroger : y
a-t-on placé une partie de ce que l’on a appelé le «trésor du FLN» ?
C’est une piste qu’il serait intéressant d’explorer un jour.
Mais revenons aux comptes à mettre sur... le compte de l’Algérie pour
une période plus récente, 2006-2007 : si à ce jour aucun nom n’a été
rendu public, il est fort probable que la liste en possession du
quotidien français Le Monde ait été «nettoyée» ! Il est utile de
préciser que Le Monde n’a eu ce fichier qu’en janvier 2014, fichier qui
était en possession du gouvernement français depuis le début de 2009 : 5
longues années qui ont permis à certains pays destinataires de leur
«liste nationale» d’effacer des noms, notamment d’hommes politiques ou
d’hommes d’affaires à protéger.
Le listing Algérie d’HSBC Genève ne sera très certainement jamais rendu
public : beaucoup de mystère, de questions et de rumeurs sur la liste
des 440 clients de cette banque associés à l’Algérie dont presqu’une
cinquantaine est de nationalité algérienne.
Il faut rappeler que la liste d’origine est entre les mains du
gouvernement français depuis 2009, gouvernement qui l’a d’abord donnée à
ses alliés occidentaux (européens et américains notamment). L’a-t-il
livrée au gouvernement algérien ? Fort probable. Il y a des précédents :
l'ex-ministre grec des Finances est accusé d'avoir falsifié, en retirant
les noms de membres de sa famille, un document contenant la liste
d'environ 2 000 Grecs détenant des comptes auprès de la filiale suisse
de la banque HSBC et présumés coupables d'évasion fiscal : le procès de
cet ancien ministre s’est ouvert mercredi dernier à Athènes.
Cette liste est connue en Grèce sous le nom de liste «Lagarde», car elle
avait été fournie au gouvernement grec par l'actuelle directrice
générale du Fonds monétaire international (FMI), Christine Lagarde,
lorsqu'elle était ministre de l'Economie et des Finances en France, de
2007 à 2011. A-t-elle fait la même chose avec l’Algérie «pays ami» ?
Faut-il rappeler que le 21 juin 2008 fut signé par la ministre française
de l'Economie et des Finances et son homologue algérien des finances un
«Mémorandum» de coopération financière où il est question notamment du
«renforcement de la coopération institutionnelle existant entre les
départements ministériels des Finances, de l’Economie et du Budget des
deux pays».
Christine Lagarde est une «amie» du pouvoir algérien, pouvoir qu’elle a
conseillé lorsqu’elle était responsable du cabinet d’affaires
international Baker & Mac Kenzie à Chicago à la fin des années 1990,
notamment en matière de gestion des placements et des actifs algériens à
l’étranger. «Elle connaît très bien les Algériens. Elle connaît surtout
les bonnes personnes, celles qui négocient pour le compte de l’Etat
algérien et défendent ses intérêts à l’étranger.
Elle parle leur langage et sait leurs attentes. Et les Algériens lui
font confiance», souligne un habitué des négociations internationales
(«Tout sur l’Algérie» du 1er juillet 2007).
Quand la France impose des restrictions
Ce qu’a fait aussi Christine Lagarde avec le Royaume-Uni en remettant en
2010 une liste de 3 200 noms à la directrice des services fiscaux
britanniques, en posant des conditions très étranges : «Nous ne pouvions
les utiliser que pour des enquêtes fiscales. Nous avions l’ordre strict
de ne pas les partager avec les autres agences britanniques, notamment
celles qui travaillent sur les crimes financiers et la lutte contre le
blanchiment», explique la directrice des services fiscaux britanniques.
Elle a précisé par ailleurs n’avoir reçu que le lundi 23 février 2015 le
feu vert des autorités françaises pour enquêter librement sur l’ensemble
des noms présents dans ce dossier !
Embarras de l’actuel gouvernement français : interrogé par Le Monde le
25 février dernier, le ministre français des Finances avait répliqué «ne
pas comprendre les remarques» britanniques : «Les données sur HSBC leur
ont été transmises en 2010, dans le cadre des conventions bilatérales
qui nous lient. Rien ne leur a été dit depuis.»
Que sont devenus les comptes associés à l’Algérie ?
Pour ce qui est de la liste algérienne, ce qui est sûr, c’est que le
Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) a
déclaré sur son site web qu’il a «trouvé les noms des politiciens
actuels et anciens de Grande-Bretagne, de Russie, de l'Ukraine, de
Géorgie, du Kenya, de Rumanie, de l'Inde, du Liechtenstein, du Mexique,
lde Tunisie, lde a République démocratique du Congo, du Zimbabwe, du
Rwanda, du Paraguay, de Djibouti, du Sénégal, des Philippines et de
l'Algérie, entre autres.»
Pour rappel, et uniquement sur une période de quelques mois — fin 2006
à début 2007, le montant des avoirs algériens à HSBC Genève dépassait
les 670 millions de dollars, ce qui n’est pas peu pour une aussi courte
période. On dénombre 2 590 comptes clients — d’Algériens ou de personnes
associées à l’Algérie (hommes d’affaires étrangers activant en Algérie,
personnes morales, diplomates, etc.) — ouverts entre 1958 et 2006, et
1148 liés à des comptes bancaires.
La plupart des données de comptes clients concerne la période de 1988 à
2007, mais le montant indiqué plus haut correspond aux placements
seulement de fin 2006 à début 2007. 440 clients sont associés avec
l'Algérie (et donc peuvent avoir plusieurs comptes), dont 10% (44
clients) ont un passeport algérien ou de nationalité algérienne.
Les comptes personnels nominatifs représentent 47,77% du total. Les
comptes HSBC transférés en offshore (dans des paradis fiscaux)
représentent 15,04%.
Quant aux comptes uniquement numérotés (compte bancaire ouvert au nom
d'un numéro ou d'un pseudo : sur les relevés bancaires ou lors des
transactions décidées par le client, seul ce numéro ou pseudo
apparaîtra, même auprès des secondes banques vers qui le client opérera
des virements), ils représentent 37,18% du total, ce qui est élevé,
leurs titulaires réels ne voulant pas être identifiés. Le montant
maximum d'argent associé à un client connecté à l'Algérie était de 34
millions de $ : est-ce un compte numéroté ? Concernant les montants
associés aux clients connectés à l'Algérie, 300 clients ont moins de 2
millions de dollars ; 50 clients ont entre 2 et 4 millions de dollars ;
et 90 clients ont entre 4 à 34 millions de dollars.
Le «grand ménage»
Malgré le vol de données en 2008, une amende pour blanchiment d’argent
aux Etats-Unis, une enquête pour trafic de drogue à Genève et des
procédures fiscales en pagaille en Europe, HSBC Private Bank (HSBC PB)
tient encore debout. Selon un document fourni par HSBC, sa clientèle à
Genève a été réduite de 70% depuis 2007.
Le nombre de comptes gérés est passé de plus de 30 000, en 2009, à un
peu plus de 10 000. Les avoirs des clients ont fondu, passant d’un
maximum de 118,4 milliards de dollars, en 2007, à 68 milliards, en 2014.
Ces chiffres en déclin reflètent le «grand ménage» opéré par la banque
depuis 2013 et qui s’est intensifié l’an dernier, selon une source
bancaire. Décrit comme brutal par les banquiers et les clients, ce
processus découle de l’accord judiciaire signé avec les autorités
américaines et britanniques en décembre 2012.
HSBC s’était alors engagée à «ne pas accepter ni conserver les clients
non conformes fiscalement», a expliqué le juriste en chef de la banque,
devant la justice belge, en octobre 2014. Les clients algériens
contactés par HSBC dès 2009 — juste après la disparition des fichiers
fin 2008 — ont très vite clôturé et transféré leurs comptes, sur les
recommandations d’HSBC elle-même vers des cieux financiers plus
cléments, des paradis fiscaux plus particulièrement...
Quand HSBC expédie les affaires courantes…
En juin 2014, HSBC Genève a vendu une part de sa clientèle,
représentant 11,1 milliards de francs suisses, à la banque
liechtensteinoise LGT. Il s’agissait de clients européens, russes,
asiatiques et africains, qu’elle a réussi à céder à bon prix : 2,8 % des
avoirs transférés, soit plus de 300 millions de francs suisses.
Ce chiffre a été donné par le juriste en chef d’HSBC lors d’un
interrogatoire par la justice française, le 18 novembre 2014.
Aujourd’hui, la banque, décidément incorrigible, dit vouloir se
concentrer sur les marchés qu’elle connaît le mieux — et ceux qui sont
le moins risqués fiscalement.
Il s’agit du Moyen-Orient, de l’Amérique latine, mais aussi de certains
gros clients internationaux, comme des oligarques russes domiciliés à
Londres...
Faites semblant de chasser le naturel, il revient au galop !
Djilali Hadjadj
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