Chronique du jour : Les choses de la vie
Apulée et saint Augustin, ces Amazighs pur-sang !


Par Maâmar FARAH
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La matinée est lumineuse. L'hiver n'est pas parti et les giboulées de mars peuvent encore faire des dégâts mais les gens d'ici, en bons observateurs, savent que la gelée ne sera plus aussi nocive qu'elle l'a été tout au long de ces mois de janvier et février qui figurent parmi les plus froids de toutes ces dernières années. En quittant les terres du Nord pour celles des Hauts-Plateaux, j'avais remarqué que l'herbe, si grasse et d'un vert intense jusque-là, devenait basse et clairsemée au fur et à mesure que nous avancions. Les pluies ont-elles été moins abondantes ? «Non, me répond un vieux de la vieille. C'est à cause de la gelée. A partir de maintenant, elle fera moins de mal aux plantes et vous allez voir la belle envolée de cette herbe...»
J'ai alors pensé aux violettes et aux coquelicots qui tapisseront les prés rieurs qui jouxtent les ruines de Madaure. C'est une image qui atteindra sa plénitude au mois de mai, lorsque les pierres fauves, qui sont de la même couleur que les champs blonds en été et en automne, bruns en hiver, s'habilleront de cette belle robe printanière que des photographes ont pu immortaliser sur internet, faisant réagir des commentateurs du monde entier : «ce n'est pas l'Afrique, c'est l'Irlande», a écrit l'un d'eux. Il faut venir à Madaure à la fin du printemps pour admirer ce tableau incomparable. Vue du belvédère qu'offrent les piémonts du djebel Boussessou, la perle jaune au milieu de son écrin de verdure et fleurs multicolores, avec quelques vaches et brebis au premier plan et l'immensité des plaines des Béni Barbar en arrière-plan, a en effet des airs d'Ecosse ou d'Irlande, la citadelle byzantine faisant office de vieux manoir désaffecté au milieu de la brume matinale.
Si je suis ici, en ce mercredi 18 mars, c'est pour recevoir M. Issad, secrétaire général du Haut-Commissariat à l'amazighité qui est en tournée de préparation du colloque sur Apulée de Madaure qui sera organisé à Souk-Ahras les 30 mai-1er juin 2015. L'idée première est de mon ami Arezki Metref qui, ébloui par ce haut-lieu de la culture amazighe, a tout de suite «flashé» sur Apulée et saint Augustin, berbères authentiques et fils de cette région plantée au cœur de la Numidie historique. L'idée fit son chemin et eut le soutien actif du Haut-Commissariat à l'amazighité qui décida de prendre en charge ce colloque. M. Issad, un homme de grande culture, passionné d'histoire et de littérature amazighes, est fier du bilan de son institution qui fêtera cette année son vingtième anniversaire, même si, en homme exigeant, il trouve qu'il reste beaucoup à faire. Son désir le plus ardent est de généraliser à tout le territoire national la cause de la culture berbère en faisant comprendre aux gens que c'est notre identité et notre histoire et que tout doit commencer par l'apprentissage de cette langue à nos enfants. Contre le régionalisme, il développe un discours unitaire et veut faire comprendre à tout le monde, que l'enseignement de la langue amazighe ne doit plus se limiter à une région mais qu'il doit se développer à travers toutes les zones linguistiques où l'on parle le berbère, et plus tard, à tout le pays.
A travers ce colloque qui se tiendra à l'extrême-est de l'Algérie, il veut réhabiliter une langue et une culture qui se perdent ici : le chaoui. En effet, et si cette langue continue d'être pratiquée dans les Aurès et à travers les montagnes, elle a tendance à disparaître dans les plaines, ces couloirs où envahisseurs, mouvements de population, commerce, etc. ont propagé l'arabe dialectal au détriment du chaoui. A M'daourouch ou à Sedrata par exemple, cette langue n'est plus celle de la rue. Rares sont encore les gens qui communiquent en chaoui.
Nous avons longuement discuté autour de la thématique de ce colloque, de ses conférenciers, de son public, de l'animation qui doit l'accompagner et de ses objectifs. Nous sommes en plein dans la mission du Haut-Commissariat à l'amazighité puisque ce séminaire aborde la vie et l'œuvre d'un homme qui se définissait comme «mi-Numide, mi-Gétule», qui était fier de ses origines et qui a pensé en berbère, même si, comme tous ceux qui l'on suivi jusqu'à nos jours, il a utilisé la langue de l'envahisseur et aussi celle qui pouvait lui permettre d’accéder à l'universalité (dans les dimensions géographiques et culturelles de l'époque). Sa philosophie du «contentement» (se satisfaire de peu, savoir jouir de la vie comme d'un don précieux des cieux, ne pas croire que la fortune fait le bonheur, aller sans cesse à la rencontre de l'Autre, s'ouvrir sur les autres civilisations sans renier son identité, etc.), on la retrouvera également chez un autre grand homme de la région, saint Augustin,dont les qualités d'humilité, de don de soi et de générosité feront l'un des pères influents de l'Eglise. Ce fonds commun de contentement et d'épicurisme, je l'ai rencontré dans les douars retirés, au fond des souks bariolés, au gré des rencontres que j'ai faites dans les cafés et les bistrots clandestins. Ici, cette trace d'humilité et de satisfaction philosophique, incrustée au fond de la terre comme un sillon profond, permet toujours à l'homme de rester debout et digne face à l'adversité. Une succession de mauvaises années ne décourage guère le paysan : il garde toujours l'espoir de tomber sur la bonne année, celle de la récolte record qui lui fera oublier les saisons de sécheresse. Il ne perdra pas son sourire parce qu'il a appris, depuis la nuit des temps, qu'il faut savoir apprécier le peu que vous offre la nature. Car vous devez toujours avoir à l'esprit que vos voisins n'ont peut-être pas ce «peu» qui pourrait être, à leurs yeux, synonyme de «beaucoup» ! Cette mentalité a été renforcée par une bonne perception des valeurs de l'islam qui développe les mêmes arguments pour amener les gens à ne pas courir derrière les chimères et savoir dire «al hamdou Lilah», mais entendons-nous bien, nous parlons d'islam authentique tel que nous l'avons connu chez nos parents et pas de ces interprétations wahhabites qui sont en train de détruire nos sociétés à petit feu !
Ces Berbères qui ont brillé, chacun dans son domaine, au firmament du savoir universel, Apulée et saint Augustin sont malheureusement ignorés chez eux, sur leurs terres. Hormis le grand séminaire sur saint Augstin, organisé sous la supervision personnelle du Président Abdelaziz Bouteflika au début de son mandat et qui avait drainé un nombre important de sommités mondiales, l'histoire brillante de cette région est passée aux oubliettes : elle n'est pas enseignée à l'école et peu d'universités s'y intéressent. Pourtant, cette citadelle de la connaissance que fut Madaure mérite d'être mieux connue car elle fut un centre de rayonnement mondial de la culture berbère. Outre ces deux personnalités illustres, on peut citer Maximilien le grammarien ou Martianus Capella, astronome et écrivain né vers 439 à Madaure et dont un cratère sur la Lune porte le nom. Faut-il citer Voltaire qui trouvait, à son époque, qu'il était malheureux d'évoquer notre pays comme celui des Corsaires, alors qu'il avait possédé une université de renom à Madaure et que cette région pouvait être considérée comme un haut lieu et une école de la philosophie antique ?
Ce colloque est un premier pas pour dépoussiérer notre glorieuse histoire, l'histoire des Amazighs dont nous devons être fiers, car n'importe quel peuple de la planète aurait été fier d'avoir enfanté Apulée et saint Augustin !
M. F.



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