Chronique du jour : CE MONDE QUI BOUGE
Et si on demandait leur avis aux Syriens ?
Par Hassane Zerrouky
Depuis
que John Kerry, le chef de la diplomatie américaine, a déclaré dimanche
qu’«au final, il faudra négocier» avec Bachar Al-Assad, la planète
politique internationale s’est emballée. La Turquie, pays par lequel
transitent les apprentis djihadistes européens et d’autres contrées, et
dont le sud du territoire sert de base arrière aux groupes islamo-salafistes,
n’est pas contente. Lundi, son ministre des Affaires étrangères Mevlüt
Cavusoglu a tenu à le faire savoir. «Qu'est-ce que vous voulez négocier
avec un tel régime ? Bachar Al-Assad a tué 200 000 personnes et utilisé
l'arme chimique contre sa propre population», a-t-il déclaré lors d'une
visite au Cambodge. Ce qui n’est pas tout à fait exact. Selon
l’Observateur syrien des droits de l’Homme (OSDH) basé en
Grande-Bretagne et proche des Frères musulmans, peu suspect de
complaisance envers le régime de Damas, quatre années de guerre ont
provoqué la mort de 215 000 personnes dont 141 784 combattants
appartenant aux deux camps antagonistes et 65 146 civils. Les deux tiers
des victimes de cette guerre sont donc des combattants appartenant aux
deux camps. «Il y a deux problèmes à résoudre en Syrie (…) détruire
Daesh (le groupe Etat islamique) et les autres organisations terroristes
et obtenir le départ du régime Assad pour ouvrir la voie à une
transition politique en Syrie», a ajouté le chef de la diplomatie d’un
pays qui n’a pas bougé le petit doigt quand Daesh assiégeait la ville de
Kobané sous le regard impassible de l’armée turque qui se trouvait à un
jet de pierre de la ville. Plusieurs médias internationaux, dont
l’envoyé spécial de l’Humanité, Pierre Barbancey, ont été témoins de la
complicité active de l’armée turque avec les djihadistes de l’EI contre
les Kurdes.
Autre mécontent, la France. «Notre position est connue et s'inscrit dans
le cadre du communiqué de Genève de 2012: notre objectif est un
règlement politique négocié entre les différentes parties syriennes et
conduisant à un gouvernement d'unité», a déclaré le porte-parole du Quai
d'Orsay, Romain Nadal. Ce gouvernement devrait réunir «certaines
structures du régime existant, la Coalition nationale et d'autres
composantes qui ont de la Syrie une vision modérée, inclusive,
respectant les différentes communautés du pays», a-t-il ajouté, avant
d’asséner : «Il est clair pour nous que Bachar Al-Assad ne peut
s'inscrire dans un tel cadre». Et le ministre français des Affaires
étrangères Laurent Fabius a renchéri : «Toute autre solution qui
remettrait en selle M. Bachar Al-Assad serait un cadeau absolument
scandaleux, gigantesque, aux terroristes de Daesh» a-t-il assuré.
Question : qui a fabriqué Daesh, qui l’a soutenu militairement et
financièrement ? Laurent Fabius le sait puisqu’il est informé par les
services français. Mais comme la France a de gros intérêts dans les
pétromonarchies du Golfe, ces modèles de démocratie comme chacun le
sait, et qu’elle ne désespère pas de leur fourguer quelques avions
Rafales, voire une ou plusieurs centrales nucléaires à usage civil, elle
préfère regarder ailleurs. Qui plus est, Paris n’avait-il pas parié sur
un scénario libyen en Syrie en se précipitant à reconnaître l’opposition
syrienne regroupée au sein de la Coalition nationale syrienne (CNS)
comme seul et unique représentant du peuple syrien ?
Troisième larron, la Grande-Bretagne, alliée de la France contre le
régime de Kadhafi et dont on voit aujourd’hui les résultats et les
conséquences régionales de l’intervention en Libye au nom de la
démocratie. Que dit Londres, qui avait accordé l’asile, le gîte et le
couvert aux islamistes de la planète – Abou Hamza, l’imam de Finsbury
Parc, Abou Qoutada, l’Algérien Kamredinne Kharbane, entre autres – ce
qui lui avait valu le titre peu glorieux de «capitale de l’islamisme
mondial» ? Ceci : Assad n'a pas sa place dans le futur de la Syrie», a
tonné une porte-parole du Foreign office.
Et les Syriens, otages d’une guerre où les deux camps se sont
radicalisés, et dont l’enjeu dépasse les frontières du pays, qu’en
pensent-ils ? Savent-ils que des acteurs régionaux et des grandes
puissances – les Etats-Unis et leurs alliés européens et arabes d’un
côté, la Russie et l’Iran de l’autre – se font une guerre par
procuration via les protagonistes syriens (le régime de Damas et son
opposition) ? Et si une solution basée sur un compromis acceptable par
toutes les parties en conflit verrait le jour, les Syriens seront-ils
prêts à passer l’éponge sur les crimes commis par le régime de Damas
mais aussi par ses adversaires ? Une chose est sûre, personne ne leur
demandera leur avis. On décidera à leur place.
H. Z.
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